REPRISE DES COURS LE 1ER JUIN 2020 : L’ENJEU EN VAUT-IL LE SACRIFICE HUMAIN ?

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Les établissements scolaires rouvrent ce 1er juin. Si nous essayons d’analyser les faits, on se rend vite compte que cette reprise des cours s’apparente fort bien à un jeu de hasard où c’est le syndrome de l’autruche qui dicte ses règles. Les enseignants tels des moutons sont invités à suivre le pas en allant à l’abattoir ? Au fond, qu’est-ce qui a changé depuis le 17 Mars 2020, date à laquelle les écoles ont fermé?

D’après les chiffres de notification se référant à la pandémie à corona virus au Cameroun, la semaine du 25 Mars 2020 qui succède à celle de la fermeture des écoles a enregistré 201 nouvelles contaminations et 11 décès. La semaine où le gouvernement a décidé de la reprise des cours, celle du 22 Avril 2020 (un mois plus tard) a enregistré 728 nouvelles contaminations et 26 décès, contre actuellement plus de 1426 nouvelles contaminations et 30 décès à seulement une semaine de la reprise des cours. Il n’est donc pas nécessaire d’être un spécialiste en épidémiologie pour comprendre que le nombre de contaminations est continuellement en hausse depuis le début de la pandémie et ceci malgré les mesures barrières et les dépistages non systématiques. Les choses se sont donc aggravées. Les raisons qui ont poussé le gouvernement à fermer les écoles pour permettre le ralentissement de la propagation du virus se sont amplifiées, mais paradoxalement, les écoles s’ouvriront !

Pour vraiment appréhender ce paradoxe, il est intéressant de comprendre qu’une épidémie se reproduit en fonction de trois paramètres fondamentaux : (1) la période de contagiosité de la maladie; (2) le nombre de contacts sociaux et (3) la probabilité de transmission. C’est pour cette raison que pour freiner une pandémie, il faut agir sur les paramètres (2) et (3) en limitant les contacts sociaux et en renforçant l’autoprotection efficace à travers les gestes barrières. D’après les experts, c’est seulement lorsque le taux de reproduction Rzéro devient inférieur à 1 que la pandémie peut commencer à régresser. Pour avoir un ordre d’idée, certains pays autorisent le déconfinement à partir d’un Rzéro inférieur à 0,6. Sans aucune mesure barrière efficace, le Rzéro du COVID-19 est estimé entre 2 et 4 (c’est-à-dire qu’une personne peut contaminer entre 2 et 4 autres personnes). Au Cameroun sachant que les nouvelles contaminations ont connu une hausse de 371% cinq semaines après la fermeture des écoles et de 709% cette semaine, il est évident que le taux de reproduction du COVID 19 au Cameroun est dans une phase croissante par rapport au 17 Mars 2020. C’est pourtant dans ce contexte que les écoles s’apprêtent à s’ouvrir avec des contraintes qui ne pourront qu’augmenter les contacts sociaux (transport, pédagogie, évaluation, socioconstructivisme…) et partent la reproduction du virus.

 

Il est indéniable que des effectifs de 50 par classe, scientifiquement, rendent impossible le respect de la distanciation sociale. Il est aussi clair que le port du masque pendant 8 heures d’affilées est tout simplement impossible à tenir ou même à garantir, tout comme la disponibilité continue de tout le matériel sanitaire nécessaire à tous les établissements scolaires, sans parler de la couverture sanitaire médiocre au Cameroun. En d’autres termes, ouvrir les écoles serait faire le jeu du COVID19 en mettant à sa disposition des millions de nouveaux vecteurs potentiels de transmission que sont les apprenants, les enseignants et les parents.

Une fois de plus, les enseignants, encore eux, seront au front et on fera comme s’ils étaient en contexte normal. Après les zones de conflits sans protection ni entrainement, la violence en société et en milieu scolaire sans protection ni assistance adéquate, c’est cette fois contre un ennemi invisible que les enseignants sont appelés à livrer une guerre sanitaire avec pour seul gage, la certitude d’être traités comme à l’accoutumée, sans considération. Il ne faudra donc pas s’attendre à grand-chose comme mesure d’accompagnement. Nous devons simplement comprendre que les enseignants sont appelés à se sacrifier une fois de plus pour le salut de la société, pour une grande cause, espérons-le!

Mais quelle est-elle cette grande cause ? Sauvez le Cameroun d’une année blanche ? Non, les cours ont eu lieu pendant exactement 26 semaines, ce qui est supérieur aux 25 semaines recommandées par l’UNESCO et de plus, cette reprise ne concerne que les classes d’examens. D’habitude au Cameroun, les enseignements durent 33 semaines avant que les examens ne commencent en Mai. Il s’agit donc de risquer la vie de la nation pour 7 semaines de cours inachevées ? Non une fois de plus, car la majorité des apprenants se retrouvent dans les classes intermédiaires. De quoi s’agit-il alors ? La seule réponse logique, c’est « sauver et/ou crédibiliser les examens de fin d’année ». Nous savons qu’une épreuve d’examen doit couvrir au moins 70% du programme et donc les 24 premières semaines de cours seraient suffisantes pour cet exercice, et là nous en avons couvert 26, ce qui est largement suffisant. Durant une guerre, assurer le minimum requis, c’est l’essentiel ; et le reste peut être considéré comme du luxe. C’est d’ailleurs pour cela que pour le passage en classe supérieure, le gouvernement a choisi de ne considérer que les deux premiers trimestres. Le passage en classe supérieure serait-il moins important que l’évaluation certificative ? Finalement, cette grande cause pour laquelle les enseignants doivent se sacrifier n’est donc qu’un luxe ! Je crois que les enseignants ont le droit de refuser de procéder à une telle transaction : leur vie et celle de la nation, contre un luxe, une lubie en somme.

En attendant d’aller au grand sacrifice humain assuré, du fait du renforcement du taux de reproduction par la réouverture des écoles, à une semaine de cet événement fatidique, les enseignants ne savent toujours pas dans quelles classes ils interviendront : ils n’ont pour la plupart aucune information sur l’emploi du temps, même ceux qui durant toute l’année n’ont enseigné que les classes intermédiaires, qui n’ont aucun cours ou ressources disponibles sont encore en attente de savoir quels cours ils doivent préparer ; pire encore, les enseignants ignorent quel sera le protocole sanitaire pendant cette période d’enseignement : désinfection des copies ? coiffure ? désinfection des blouses ? lavage des mains toutes les heures ? médiation pédagogique de distance ? En tout cas, il y a plus d’interrogations que de préparation. Décidément, même ce luxe auquel on tient tant à sacrifier la vie des enseignants et de la nation toute entière risque d’être mal exécuté. Pourquoi donc insister ?

Par Roland ASSOAH