EDUCATION ET COVID-19 : QUELLE ECOLE EN 2020-2021 ?

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Pour étayer son article sur l’hypothèse des cours en mode mi-temps pour l’année scolaire 2020/2021, le journal Le Jour a sollicité l’expertise du SG.SNAES dans une interview parue dans son numéro 3240 du20 août 2020.

Voici les questions :

1- Dans un courrier du délégué départemental du minesec adressé aux chefs d’établissement public, il est mentionné qu’à l’issue  d’une visioconférence avec la ministre des Enseignements secondaire des recommandations ont été formulées sur une hypothèse des cours en mode mi-temps pour l’année scolaire 2020/2021.

Cela est-il applicable ?

Roger Kaffo :  Il faut préciser qu’il s’agit effectivement d’une hypothèse à l’étude, et votre question est bienvenue. Le Ministre des Enseignements Secondaires insiste sur le fait que cela ne doit se faire que là où c’est absolument nécessaire, c’est-à-dire dans les grandes villes où l’on a des effectifs qui justifient une telle organisation.  Il nous semble important d’insister sur cette restriction pour attirer l’attention des responsables de terrain qui pourraient être tentés d’éclater les vannes pour inonder les campus scolaires en quête d’effectifs, parce que nous le savons tous, derrières les effectifs il y a, en plus des frais exigibles, des contributions dites APEE qui sont gérées avec la délicatesse que l’on sait. Organiser un système de mi-temps dans la plupart des grands établissements de nos grandes villes pose bien sûr un problème de faisabilité, mais en termes impératifs. On n’est plus au stade de savoir s’il faut le faire ou pas, mais à celui de savoir comment le faire avec succès et pour combien de temps. Envisager de ne pas le faire, c’est  soit renoncer à appliquer la distanciation physique minimale (50 élèves au plus par classes), soit procéder à une exclusion de masse des surplus d’élèves, donc déscolariser massivement. Qui peut aujourd’hui prendre l’une ou l’autre des responsabilités qu’implique cette alternative ?  Donc, il faut envisager sérieusement l’hypothèse d’un système à double flux (je préfère le dire ainsi plutôt que mi-temps) dans certaines villes. Et se donner les moyens de rendre cela applicable. Cette question des moyens ou plus généralement de ressources diverses nécessaires n’est pas au-dessus des capacités de la république, d’une république soucieuse de son avenir à travers celui de sa jeunesse.

2- Au vu des programmes très fournis, sera-ce possible de les couvrir?

Roger Kaffo  : La question des programmes se pose depuis des années voire des décennies et un Forum national qui permettrait de s’y pencher est constamment différé depuis bientôt une décennie. Nous sommes dans une république qui procrastine de façon habituelle sur les questions essentielles.  De façon plus pratique sur la question des programmes, en ajoutant une journée de classe, le samedi, cette question pourrait se résoudre. Dans la plupart des processus de mi-temps ou de double flux à travers le monde, c’est avec le samedi que cette question a pu se minimiser. Mais le ministre des enseignements secondaires  est opposé à une école qui envahit tout le calendrier des élèves et ne respecte plus les espaces destinés aux activités post et périscolaires, les weekends, les congés et les jours fériés.  C’est une approche que je soutiens personnellement, en principe. Une école qui ne sait pas organiser son temps enseigne à ses produits la confusion organisationnelle du temps. Elle appauvrit le futur citoyen de tout ce qu’il aurait pu apprendre par ailleurs et qui l’aurait mille fois enrichi. Elle le coupe de la vie tout le temps de l’école et l’y rejette à la fin des études, seulement et à ce moment-là, il en est jusqu’à un certain point désadapté. Mais comment achever les programmes sans empiéter sur ces espaces, je ne dirais pas de liberté mais de vraie vie au cœur du parcours scolaire ? Il est prévu un certain pourcentage de cours à distance pour tous les niveaux. Un modèle encore expérimental chez nous. Est-ce raisonnable d’en user de façon généralisée ? Je pense qu’il faut être prudent.  Ce doit être la solution de dernier ressort.

3- D’après vous quelle méthodologie devront adopter les enseignants ?

Roger Kaffo  :  La question implique qu’il faut nécessairement changer les méthodes actuelles, qui posent déjà un sérieux problème d’appropriation chez les enseignants à tous les niveaux. Bouleverser tout du jour au lendemain, dans un délai qui tient dans la paume de la main ne peut être rassurant pour personne. Il faut donc préserver autant que possible les acquis méthodologiques et les supplémenter seulement à la marge. Le télé enseignement envisagé supposera un volume de cours à distance combiné à des cours en présentiel. Cette technologie pédagogique est déjà rodée sous certains cieux mais pas encore chez nous.  Les cours données à distance, pas forcément par internet  – ils peuvent être téléchargés et distribués aux apprenants – sont ensuite l’objet  de revue en présentiel. Cela s’apparente à ce qu’on appelle la « pédagogie de la classe inversée ».  C’est une approche qui combine selon les spécialistes la pédagogie active, la différenciation pédagogique, l’auto-apprentissage, l’apprentissage par les pairs, l’approche par résolution de problème ou l’apprentissage coopératif.  Mais encore une fois, il s’agit d’aller pas à pas, par doses quasi homéopathiques.

4- Cours à mi-temps pour quels résultats ?

Roger Kaffo  :  J’ai tout à l’heure parlé de ma préférence pour le double flux et non le mi-temps, parce qu’il s’agit dans les deux cas de systèmes différents. Dans le double flux, il s’agit d’une classe, deux cohortes d’élèves, deux enseignants (primaire) ou deux groupes d’enseignants (secondaire). Dans le système à mi-temps, on a une classe, deux cohortes et un seul enseignant (primaire) ou groupe d’enseignants (secondaire). L’enseignant ou les enseignants dans le système à mi-temps sont donc astreints à une double vacation. Ainsi, au lieu de 18h de cours, un enseignant de lycée se retrouverait avec 36h de cours par semaine. Cela violerait automatiquement ses droits et handicaperait une exécution efficace de ses obligations. Le second aspect touche comme vous le voyez à votre question, celle des résultats. Quand j’ai commencé à enseigner, – je le raconte dans un de mes livres – il était arrivé qu’on m’imposât jusqu’à 32h de cours par semaine. C’est une expérience vécue que je ne souhaite à aucun enseignant qui veut être efficace. Mais le problème de l’efficacité de ces deux systèmes se pose au-delà de la double vacation éventuelle de l’enseignant. Les craintes habituellement formulées dans ce domaine concernent la faiblesse du taux horaire alloué aux classes, l’absence d’activités extra-muros, le manque d’information, le sentiment de faiblesse du niveau des élèves, la compétence des enseignants… Mais des recherches conduites ailleurs, notamment au Sénégal dans les années 1980 montraient que, bien mené, ceux système est tout autant efficace que le traditionnel. Une des conditions de sa réussite implique l’occupation alternative des samedis par les cohortes de chaque classe.

 

5- Le Minesec dispose-t-il d’un nombre suffisant d’enseignants pour assurer  ce mode?

Roger Kaffo  : cela dépend du modèle choisi. S’il s’agit du système à mi-temps, donc avec double vacation des enseignants, le besoin en enseignants sera le même que précédemment. Mais qui peut imaginer les PCEG/PCET et PLEG/PLET acceptant de prendre 40h et 38h hebdomadaires pour des effectifs de 50 élèves par classes qui sont déjà supérieurs à la norme en vigueur quand j’entrais dans l’enseignement ? Même avec une compensation substantielle et acceptée, cela serait-il viable au regard des contraintes diverses dont dépend l’efficacité de la prestation pédagogique de chaque enseignant ? Je ne crois pas. Il faut donc penser d’ores et déjà à un système à double flux. Et pour cela, il n’y aura pas suffisamment d’enseignants pour faire fonctionner le système. Il est temps de penser à un possible recrutement d’enseignants, à tous les niveaux, ou abandonner la mise en œuvre des mesures anti-covid en octobre.

 

6- Quelle pourrait être l’alternative selon vous?

Roger Kaffo  : Il n’y aura pas d’alternative aux hypothèses que j’ai évoquées plus haut. Soit l’on considère que la covid-19 n’est plus un problème et on laisse l’école fonctionner comme d’habitude, soit l’on prend en compte la pandémie et on trouve des ressources pour organiser l’école en conséquence. Après tout, cette crise peut être transformée en opportunité pour notre école. Toute l’incurie des dernières décennies nous rattrape douloureusement mais nous pouvons en profiter pour mieux faire les choses désormais. Y aura-t-il assez de volonté politique pour cela ? Je n’en sais rien. Vous savez, pour préparer la coupe d’Afrique des nations qui malgré cela nous a échappé, on a augmenté de 100 à 125 milliards de FCFA par an le budget du MINSEP. Il s’agissait là d’investissements de prestige. Investir sur la jeunesse, c’est investir dans la croissance de demain et le développement. J’espère que ce choix-là ne présentera aucune espèce de difficulté.

Merci d’avance