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Echecs aux examens 2020 : « La préparation des candidats a été lacunaire. »

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(Interview au quotidien Le Jour)

1. Les taux de réussite aux examens officiels on connu une régression lors de la session 2019/2020. Quelles peuvent en être les causes selon vous?

Roger Kaffo Fokou: Au moins deux causes peuvent être pointées du doigt. La première concerne évidemment l’impact de la pandémie de la covid-19 sur le déroulement de l’année scolaire. Celle-ci a eu pour conséquence d’en faire une année scolaire erratique, interrompue pendant plus de deux mois pour cause de confinement généralisé, puis inégalement reprise parce que la peur de la pandémie n’a pas permis à tous les élèves de reprendre le premier juin 2020 comme fixé par le gouvernement. Au cours de cette reprise, l’injonction de se plier aux mesures anti-covid a modifié la relation pédagogique de façon substantielle : port du masque donc difficultés de communication, distanciation physique donc circulation réduite et suivi limité des apprenants dans le cadre d’une pédagogie qui exige pourtant une grande proximité, l’approche par compétences. La deuxième cause et celle-ci a surtout touché les candidats aux probatoires d’enseignement général, c’est la coïncidence avec la première édition des probatoires APC : les épreuves ont donc connu une série d’innovations qui ont plus ou moins dépaysé les candidats et même nombre de correcteurs. Les épreuves zéros organisées pour mettre à niveau les candidats n’ont pas suffi dans le cadre d’une innovation aussi profonde ; elles sont intervenues tardivement et au moment où de nombreux candidats étaient plus préoccupés d’éviter la covid-19 que de préparer leurs examens. En gros, la préparation des candidats a été lacunaire, de façon plus accentuée pour les candidats aux probatoires ESG.

2. D’aucuns mettent en avant la pandémie du coronavirus. Quelle est la note à payer de la covid 19 dans cet échec massif ?

Roger Kaffo Fokou : comme vous le notez plus haut, la covid-19 a joué le rôle d’amplificateur pour chacune des causes importantes de ce recul de l’efficacité interne de notre système éducatif. La jeunesse a donc payé le prix fort de cette pandémie, alors qu’on lui avait fait croire qu’elle en était à l’abri, qu’elle ne risquait rien. Physiquement bien sûr elle était logée à meilleure enseigne que les catégories plus âgées mais, on aurait dû anticiper et lui dire qu’elle risquait de payer autrement. Et cela n’a pas été fait, en tout cas pas suffisamment. Nous devrons mettre cela au bilan de la gestion de cette crise et partir de cette évaluation implacable pour nous améliorer au cours de l’année scolaire qui commence.

3. Quelle peut-être la responsabilité des parents ? Des enseignants ?

Roger Kaffo Fokou : Il n’y a pas que les parents et les enseignants dont les responsabilités sont engagées mais puisque vous le souhaitez, parlons de celles-là. Les parents comme les Camerounais que nous avons tous rencontrés dans les rues, les marchés, les deuils, mariages et autres, n’ont pas brillé comme des exemples pour les jeunes scolaires ou non scolaires. Beaucoup n’ont pas fait l’effort qu’il fallait pour garder leur progéniture en éveil et connectée à l’école par toutes les voies y compris le télé enseignement proposé, malgré les limites de ladite offre. Ils ne se sont mobilisés à aucun moment pour faire entendre leurs voix et propositions. Cette apathie a laissé au gouvernement le choix solitaire des stratégies et des moyens, en l’absence de toute forme d’exigence. C’est ici l’occasion de dire aux parents d’élèves que les enseignants ne sauraient être plus préoccupés de l’avenir de leurs enfants qu’eux-mêmes. Ce serait croire qu’il est possible d’être plus royaliste que le roi. Quant aux enseignants, leurs organisations syndicales ont fait un travail indiscutable de mobilisation des énergies autour de la riposte : mettant la pression sur le gouvernement, sur les acteurs de la communauté éducative, sur eux-mêmes les enseignants. Le 1er juin à la reprise, les enseignants ont répondu massivement dans les établissements scolaires. Cela a-t-il été suffisant ? Certainement pas. Les enseignants ne sauraient se soustraire à la responsabilité du volumineux taux d’échec de cette session d’examens. Ils n’ont pas préparé leurs élèves autant qu’ils l’auraient pu ou dû. Les limites que leur a imposées le système, ils ne les ont pas suffisamment questionnées, combattues, modifiées. Il y a un peu du Ponce Pilate dans cela. Ils devront se battre davantage dans le futur.

4. Doit-on totalement disculper les élèves ?

Roger Kaffo Fokou : Pourquoi totalement ? Il n’est pas question de les disculper. C’est très commode de les considérer comme des enfants, c’est-à-dire des irresponsables. C’est pour cela que toute une législation a été mise en place, pour supprimer toute forme de sanction ou de punition de l’espace scolaire. Pas seulement les punitions avilissantes et humiliantes, ni les atteintes à l’intégrité physique des apprenants. Celles-là, leur interdiction fait l’unanimité. Mais aujourd’hui, il est presque interdit de faire un feedback à l’élève, de l’empêcher de sortir n fois du cours si cela lui chante, de lui confisquer un outil qui divertit son entourage en même temps que lui, sans voir brandie la menace d’un procès. Il ne faut pas frustrer les enfants ; il ne faut pas leur dire qu’ils n’ont rien compris, qu’ils ont mal raisonné… Il faut les distraire sans limite. L’institution s’est ingéniée à ensauvager l’élève et est en passe d’y réussir brillamment.  Mais il y a toujours un retour de bâton. Nous parlons cependant d’échecs pas seulement au CEP, ni aux CAP et au BEPC, mais également aux probatoires et baccalauréats. La délinquance de plus en plus violente s’installe, à la faveur du climat que nous avons décrit plus haut, sur nos campus scolaires où l’on « deale » et consomme quantité de stupéfiants. Il faut de plus en plus de poigne pour maintenir la tête des élèves baissée sur les livres et les cahiers, et la poigne fait partie des outils non recommandés ou presque. Cette désinvolture a un prix et celui-ci ne va pas s’arrêter à l’échec aux examens.

5. Le système à mi-temps prôné par le gouvernement pour l’année scolaire 2019/2020 est-il un atout ?

Roger Kaffo Fokou : Le système à double flux pour être plus précis est d’abord un pis-aller, pas un atout. Il permet, quand il est bien managé, de limiter les dégâts. Déjà il a pour conséquence la réduction du volume horaire journalier consacré aux apprentissages, de plus de deux heures. Il crée une saturation permanente de l’espace scolaire et rend plus difficile la mise en œuvre des activités post et péri-scolaires pourtant indispensables à l’épanouissement et à la formation complète des élèves. Il appauvrit donc l’éducation offerte et reçue. C’est pour cela qu’il ne doit être appliqué qu’exceptionnellement et accompagné de mesures complémentaires et correctives. Le télé enseignement envisagé va remplir ce rôle-là, à condition à notre avis d’être considéré comme un supplément et non un complement du déficit. Nous ne devons pas oublier que la pauvreté de nos infrastructures et équipements collectifs et individuels de communication et de réception de contenus digitaux ou numériques va créer ipso facto une inégalité devant le télé enseignement. Des larges zones du territoire n’ont pas de couverture électrique ni internet. Nous allons, encore une fois, au devant d’une expérimentation non pas à large échelle mais généralisée, ce qui est contraire au principe en la matière. Si le suivi-évaluation avec correction n’est pas suffisamment réactif au cours de l’année, on pourrait, encore une fois, se mordre les doigts en fin d’année.

6. Comment redorer les résultats aux examens officiels ?

Roger Kaffo Fokou : C’est une tâche immense qui fait penser aux écuries d’Augias de la mythologie grecque. Il faut peut-être détourner un fleuve pour les nettoyer. Plus simplement, il faut redorer le blason de l’école. Les examens ne sont que des phases terminales d’étapes scolaires. Si les autres phases se passent mal, ils donnent de mauvais résultats. Si les acteurs soit ne sont pas à la hauteur, soit ne sont pas mis dans les conditions d’efficacité, il ne faut pas s’attendre au miracle. Qui veut la fin veut les moyens. Le gouvernement a donc un choix simple : mettre les ressources appropriées pour redonner à l’éducation ses lettres de noblesse, où accepter que celle-ci continue à se dégrader.

Merci d’avance

 

Professeurs, pour nous tous, retrouvez votre fierté !

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Publié le 27/08/2020 à 12:12
Natacha Polony , Directrice de la rédaction de Marianne

Ce texte d’une très grande force sur la situation de l’éducation en France fait puissamment écho à toutes les démissions camerounaises dans le même domaine. Le lire peut aider à nous secouer. Alors que la France décline, et ce texte en donne quelques-unes des raisons les plus importantes, le Cameroun s’enfonce dans la corruption, la délinquance, la perversité, la violence, des raisons semblables. [Roger Kaffo Fokou, DP snaes.org]

 

“La France paye aujourd’hui l’abandon de son école. Elle le paye économiquement, elle qui ne peut plus se prétendre une nation d’ingénieurs et de techniciens. (…) Professeurs, nous avons besoin que vous retrouviez cette fierté d’œuvrer pour la nation, et en particulier pour ses enfants les plus fragiles”, argumente Natacha Polony.

La rentrée scolaire, on l’a bien compris, c’est l’enjeu du moment. Emmanuel Macron décide de décaler l’annonce du plan de relance parce que l’économie, le chômage de masse, les dépôts de bilan, la désindustrialisation, ça peut attendre : les parents d’élèves ont peur. La rentrée scolaire est au cœur des préoccupations, mais on a de plus en plus l’impression que l’école, en revanche, est le cadet de leurs soucis. Pouvoirs publics, politiques de tous bords, syndicats enseignants et fédérations de parents… l’école, ça ne leur dit rien. Ah ! Si, ce lieu où les enfants se font des copains pendant que leurs parents travaillent…

Le protocole et les syndicats

Il est bien entendu parfaitement légitime de s’arrêter sur le protocole sanitaire, de mettre l’institution devant ses responsabilités et de poser quelques questions cruciales, comme celle de savoir qui sera isolé et testé, et selon quelles modalités, en cas de découverte d’un cas de coronavirus dans un établissement scolaire. Mais cela doit-il effacer totalement le fait que certains enfants, depuis le vendredi 13 mars, n’ont pas eu le moindre contact avec l’école, et qu’il s’agit évidemment de ceux pour qui elle eût été indispensable ? Les syndicats enseignants, dans leur acharnement à détruire tout ce qui pouvait persister de la figure du professeur comme pilier du projet républicain, ont soigneusement tiré une balle dans le pied du corps professoral en réclamant le report de la rentrée, comme ils avaient protesté contre la réouverture des écoles en juin. Ou comment expliquer à la nation qu’ils ne sont pas indispensables et qu’il est des impératifs plus grands que d’enseigner à tous les enfants ces savoirs qui doivent les rendre libres.

Mais c’est bien tout le nœud du problème. L’été que nous venons de passer, et qui a vu s’égrener les faits divers atroces et les accès de violence gratuite, nous confronte à un vertige. Ces gens qui massacrent un chauffeur de bus ou frappent une jeune fille qui leur demandent de se conformer à la règle et de porter leur masque, ces autres qui cassent et pillent systématiquement après un match de foot, gagné ou perdu, ont passé des années sur les bancs de cette école républicaine. Comme les frères Kouachi, dont l’ombre planera sur le procès qui s’ouvrira le 2 septembre autour des attentats de janvier 2015. Comme tous ces jeunes gens qui trouvent qu’après tout ils ont eu bien raison et qu’on « n’insulte pas impunément le Prophète ».

Ce que l’école peut

Oh, bien sûr, personne n’a la naïveté de croire que, par magie, l’école va éradiquer la violence, la connerie et la frustration. Personne n’imagine que l’école peut tout, dans un océan d’abandon. Mais, sauf à considérer que tout ce qui fonde notre pacte politique et social depuis deux siècles est à jeter aux orties, il devrait tout de même se trouver quelques esprits dans ce pays pour penser que les lumières du savoir sont une arme pour combattre l’obscurantisme, la haine et les grandes peurs irraisonnées, et pour offrir à chacun les capacités, non seulement de maîtriser ses pulsions, mais aussi de décider par lui-même, sans dépendre de quelque gourou que ce soit.

Hélas, la foi en ce pouvoir émancipateur de l’école tient de la prophétie autoréalisatrice : c’est parce que les parents y croient qu’ils maintiennent leurs enfants dans l’état d’esprit qui leur permet de s’approprier les savoirs transmis et de les faire fructifier. C’est parce que la nation croit en l’école comme creuset que les citoyens, collectivement, y trouvent le récit qui les rassemble plutôt que d’y chercher la reconnaissance de leur différence. Il y a déjà longtemps que la question de savoir à quoi sert l’école donne lieu à toutes les réponses possibles, sauf celle que pouvaient lui donner les théoriciens et fondateurs de l’école républicaine, de Condorcet à Jules Ferry, et jusqu’à Jean Zay ou Paul Langevin et Henri Wallon (le Conseil national de la Résistance, quant à lui, voyait en l’école la « possibilité effective, pour les enfants français, de bénéficier de l’instruction et d’accéder à la culture la plus développée, afin que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités requises pour les exercer et que soit ainsi promue une élite véritable, non de naissance, mais de mérite, et constamment renouvelée par les apports populaires » ). Il y a déjà longtemps que les résultats de toutes les réformes imposées aux professeurs – avec le consentement sincère et masochiste de beaucoup – ont érodé la confiance nécessaire entre les citoyens et l’institution.

Une année bien particulière

Le confinement, et l’épreuve qu’il a constituée pour les parents et les professeurs, a prouvé, si nécessaire, qu’il y a chez ces derniers la même proportion de gens courageux et dévoués – et la même proportion d’incompétents et de planqués – que parmi le reste de la population. À ceci près que les dégâts occasionnés par les incompétents sont un peu plus problématiques que pour un manutentionnaire ou un employé de bureau. Mais, surtout, et c’est sans doute ce qui mine nombre de professeurs, le dévouement ne suffit pas. La réussite de l’école en tant que projet d’émancipation par le savoir et de renouvellement des élites sur la base du mérite repose sur de nombreux facteurs.

La formation des enseignants, bien sûr, et la maîtrise de leur métier, de ses techniques, mais aussi la certitude, chez eux, du sens de leur mission. Car, seule cette certitude leur donne l’autorité nécessaire face à des enfants arrivant désormais à l’école sans rien qui les prédispose à devenir des élèves. C’est cette certitude qui leur permettra de sanctionner un élève qui transgresse systématiquement les règles, car c’est dès cet âge que s’impose le respect de l’autorité ou qu’au contraire s’installe le sentiment d’impunité (les voyous qui ravagent les Champs-Élysées et caillassent du flic ont accumulé depuis des années ce mépris de l’autorité et de ceux qui l’incarnent, et savent visiblement de quel côté est la peur). C’est cette certitude qui les fera résister aux contestations des fanatiques en herbe et des complotistes de bazar, ou de leurs parents, et leur permettra de rappeler qu’on ne joue pas opinion contre opinion, car un savoir n’est pas une opinion, et qu’il existe, au sein d’une classe, une hiérarchie entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas.

Reconnaissance

Mais cette certitude se nourrit de la reconnaissance de la nation. Le salaire de nos professeurs, comparé à celui qui est pratiqué chez nos voisins européens, en dit long sur notre considération pour le savoir. Cette certitude se nourrit également du soutien de l’institution. Et les chefs d’établissement, si prompts à désavouer un professeur face à un petit caïd ou à ses parents, sont les premiers à traiter l’école comme un supermarché. Elle se nourrit, enfin, des résultats obtenus. Rappelons-le : professeur n’est pas exactement un métier dans lequel on élabore un plan de carrière. À part les points qui tombent à l’ancienneté et permettent d’obtenir un établissement plus demandé par les autres, aucune progression. Seulement celle que l’on s’impose dans son enseignement, dans sa pédagogie. Aucune reconnaissance, non plus, ou si peu. Alors, la réussite d’un professeur, c’est la réussite du système. C’est le maintien de la promesse républicaine, de la méritocratie. Et là, avec l’école la plus inégalitaire des pays de l’OCDE, avec des résultats qui condamnent les plus pauvres à leur destin social, la France devrait être à temps plein sur la reconstruction de son système éducatif. Une honte. Une trahison.

La France paye aujourd’hui l’abandon de son école. Elle le paye économiquement, elle qui ne peut plus se prétendre une nation d’ingénieurs et de techniciens.

Les professeurs, qui vivent depuis trente ans la démolition, pierre par pierre, de l’édifice à coups d’idéologies délirantes, qui s’entendent accuser par les uns de développer un « racisme systémique » ou de discriminer des jeunes gens issus de l’immigration, dont on a décidé qu’ils ne devaient surtout pas s’intégrer et s’approprier la culture et la mémoire du pays où ils vont vivre, par les autres de pratiquer un élitisme coupable, de traumatiser les chers petits dès qu’ils leur demandent un effort ou leur signifient qu’ils n’ont rien fait et de les endoctriner à coups de grandes œuvres surannées au lieu de les laisser « acteurs des apprentissages », sont des héros s’ils conservent encore un semblant de vocation.

Retrouver le chemin de la raison

La France paye aujourd’hui l’abandon de son école. Elle le paye économiquement, elle qui ne peut plus se prétendre une nation d’ingénieurs et de techniciens. Elle le paye politiquement et culturellement, alors que l’obscurantisme, les haines identitaires et les pulsions violentes détruisent peu à peu la communauté nationale. Les professeurs sont en première ligne. Alors que nous voyons combien la civilisation est une notion fragile, nous avons plus que jamais besoin d’une école fondée sur l’exercice de la raison. Et c’est une urgence plus ardente que la quête d’un risque zéro sanitaire. Professeurs, nous avons besoin que vous retrouviez cette fierté d’œuvrer pour la nation, et en particulier pour ses enfants les plus fragiles. Nous avons besoin que vous soyez persuadés que chaque jour de transmission des savoirs est un jour essentiel de progrès des Lumières.

 

EDUCATION ET COVID-19 : QUELLE ECOLE EN 2020-2021 ?

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Pour étayer son article sur l’hypothèse des cours en mode mi-temps pour l’année scolaire 2020/2021, le journal Le Jour a sollicité l’expertise du SG.SNAES dans une interview parue dans son numéro 3240 du20 août 2020.

Voici les questions :

1- Dans un courrier du délégué départemental du minesec adressé aux chefs d’établissement public, il est mentionné qu’à l’issue  d’une visioconférence avec la ministre des Enseignements secondaire des recommandations ont été formulées sur une hypothèse des cours en mode mi-temps pour l’année scolaire 2020/2021.

Cela est-il applicable ?

Roger Kaffo :  Il faut préciser qu’il s’agit effectivement d’une hypothèse à l’étude, et votre question est bienvenue. Le Ministre des Enseignements Secondaires insiste sur le fait que cela ne doit se faire que là où c’est absolument nécessaire, c’est-à-dire dans les grandes villes où l’on a des effectifs qui justifient une telle organisation.  Il nous semble important d’insister sur cette restriction pour attirer l’attention des responsables de terrain qui pourraient être tentés d’éclater les vannes pour inonder les campus scolaires en quête d’effectifs, parce que nous le savons tous, derrières les effectifs il y a, en plus des frais exigibles, des contributions dites APEE qui sont gérées avec la délicatesse que l’on sait. Organiser un système de mi-temps dans la plupart des grands établissements de nos grandes villes pose bien sûr un problème de faisabilité, mais en termes impératifs. On n’est plus au stade de savoir s’il faut le faire ou pas, mais à celui de savoir comment le faire avec succès et pour combien de temps. Envisager de ne pas le faire, c’est  soit renoncer à appliquer la distanciation physique minimale (50 élèves au plus par classes), soit procéder à une exclusion de masse des surplus d’élèves, donc déscolariser massivement. Qui peut aujourd’hui prendre l’une ou l’autre des responsabilités qu’implique cette alternative ?  Donc, il faut envisager sérieusement l’hypothèse d’un système à double flux (je préfère le dire ainsi plutôt que mi-temps) dans certaines villes. Et se donner les moyens de rendre cela applicable. Cette question des moyens ou plus généralement de ressources diverses nécessaires n’est pas au-dessus des capacités de la république, d’une république soucieuse de son avenir à travers celui de sa jeunesse.

2- Au vu des programmes très fournis, sera-ce possible de les couvrir?

Roger Kaffo  : La question des programmes se pose depuis des années voire des décennies et un Forum national qui permettrait de s’y pencher est constamment différé depuis bientôt une décennie. Nous sommes dans une république qui procrastine de façon habituelle sur les questions essentielles.  De façon plus pratique sur la question des programmes, en ajoutant une journée de classe, le samedi, cette question pourrait se résoudre. Dans la plupart des processus de mi-temps ou de double flux à travers le monde, c’est avec le samedi que cette question a pu se minimiser. Mais le ministre des enseignements secondaires  est opposé à une école qui envahit tout le calendrier des élèves et ne respecte plus les espaces destinés aux activités post et périscolaires, les weekends, les congés et les jours fériés.  C’est une approche que je soutiens personnellement, en principe. Une école qui ne sait pas organiser son temps enseigne à ses produits la confusion organisationnelle du temps. Elle appauvrit le futur citoyen de tout ce qu’il aurait pu apprendre par ailleurs et qui l’aurait mille fois enrichi. Elle le coupe de la vie tout le temps de l’école et l’y rejette à la fin des études, seulement et à ce moment-là, il en est jusqu’à un certain point désadapté. Mais comment achever les programmes sans empiéter sur ces espaces, je ne dirais pas de liberté mais de vraie vie au cœur du parcours scolaire ? Il est prévu un certain pourcentage de cours à distance pour tous les niveaux. Un modèle encore expérimental chez nous. Est-ce raisonnable d’en user de façon généralisée ? Je pense qu’il faut être prudent.  Ce doit être la solution de dernier ressort.

3- D’après vous quelle méthodologie devront adopter les enseignants ?

Roger Kaffo  :  La question implique qu’il faut nécessairement changer les méthodes actuelles, qui posent déjà un sérieux problème d’appropriation chez les enseignants à tous les niveaux. Bouleverser tout du jour au lendemain, dans un délai qui tient dans la paume de la main ne peut être rassurant pour personne. Il faut donc préserver autant que possible les acquis méthodologiques et les supplémenter seulement à la marge. Le télé enseignement envisagé supposera un volume de cours à distance combiné à des cours en présentiel. Cette technologie pédagogique est déjà rodée sous certains cieux mais pas encore chez nous.  Les cours données à distance, pas forcément par internet  – ils peuvent être téléchargés et distribués aux apprenants – sont ensuite l’objet  de revue en présentiel. Cela s’apparente à ce qu’on appelle la « pédagogie de la classe inversée ».  C’est une approche qui combine selon les spécialistes la pédagogie active, la différenciation pédagogique, l’auto-apprentissage, l’apprentissage par les pairs, l’approche par résolution de problème ou l’apprentissage coopératif.  Mais encore une fois, il s’agit d’aller pas à pas, par doses quasi homéopathiques.

4- Cours à mi-temps pour quels résultats ?

Roger Kaffo  :  J’ai tout à l’heure parlé de ma préférence pour le double flux et non le mi-temps, parce qu’il s’agit dans les deux cas de systèmes différents. Dans le double flux, il s’agit d’une classe, deux cohortes d’élèves, deux enseignants (primaire) ou deux groupes d’enseignants (secondaire). Dans le système à mi-temps, on a une classe, deux cohortes et un seul enseignant (primaire) ou groupe d’enseignants (secondaire). L’enseignant ou les enseignants dans le système à mi-temps sont donc astreints à une double vacation. Ainsi, au lieu de 18h de cours, un enseignant de lycée se retrouverait avec 36h de cours par semaine. Cela violerait automatiquement ses droits et handicaperait une exécution efficace de ses obligations. Le second aspect touche comme vous le voyez à votre question, celle des résultats. Quand j’ai commencé à enseigner, – je le raconte dans un de mes livres – il était arrivé qu’on m’imposât jusqu’à 32h de cours par semaine. C’est une expérience vécue que je ne souhaite à aucun enseignant qui veut être efficace. Mais le problème de l’efficacité de ces deux systèmes se pose au-delà de la double vacation éventuelle de l’enseignant. Les craintes habituellement formulées dans ce domaine concernent la faiblesse du taux horaire alloué aux classes, l’absence d’activités extra-muros, le manque d’information, le sentiment de faiblesse du niveau des élèves, la compétence des enseignants… Mais des recherches conduites ailleurs, notamment au Sénégal dans les années 1980 montraient que, bien mené, ceux système est tout autant efficace que le traditionnel. Une des conditions de sa réussite implique l’occupation alternative des samedis par les cohortes de chaque classe.

 

5- Le Minesec dispose-t-il d’un nombre suffisant d’enseignants pour assurer  ce mode?

Roger Kaffo  : cela dépend du modèle choisi. S’il s’agit du système à mi-temps, donc avec double vacation des enseignants, le besoin en enseignants sera le même que précédemment. Mais qui peut imaginer les PCEG/PCET et PLEG/PLET acceptant de prendre 40h et 38h hebdomadaires pour des effectifs de 50 élèves par classes qui sont déjà supérieurs à la norme en vigueur quand j’entrais dans l’enseignement ? Même avec une compensation substantielle et acceptée, cela serait-il viable au regard des contraintes diverses dont dépend l’efficacité de la prestation pédagogique de chaque enseignant ? Je ne crois pas. Il faut donc penser d’ores et déjà à un système à double flux. Et pour cela, il n’y aura pas suffisamment d’enseignants pour faire fonctionner le système. Il est temps de penser à un possible recrutement d’enseignants, à tous les niveaux, ou abandonner la mise en œuvre des mesures anti-covid en octobre.

 

6- Quelle pourrait être l’alternative selon vous?

Roger Kaffo  : Il n’y aura pas d’alternative aux hypothèses que j’ai évoquées plus haut. Soit l’on considère que la covid-19 n’est plus un problème et on laisse l’école fonctionner comme d’habitude, soit l’on prend en compte la pandémie et on trouve des ressources pour organiser l’école en conséquence. Après tout, cette crise peut être transformée en opportunité pour notre école. Toute l’incurie des dernières décennies nous rattrape douloureusement mais nous pouvons en profiter pour mieux faire les choses désormais. Y aura-t-il assez de volonté politique pour cela ? Je n’en sais rien. Vous savez, pour préparer la coupe d’Afrique des nations qui malgré cela nous a échappé, on a augmenté de 100 à 125 milliards de FCFA par an le budget du MINSEP. Il s’agissait là d’investissements de prestige. Investir sur la jeunesse, c’est investir dans la croissance de demain et le développement. J’espère que ce choix-là ne présentera aucune espèce de difficulté.

Merci d’avance

Cours de vacances : le MINESEC sort un arrêté d’interdiction qui passe mal

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Dans un communiqué publié le 14 Août dernier , la ministre des enseignements secondaires Pauline Nalova Lyonga a interdit l’organisation des cours de vacances sur toute l’étendue du territoire tant pour les établissements privés que publics

 

1- Mr Kaffo Fokou, comment avez-vous apprécié cette nouvelle ?

Réponse : Diversement.

  1. La motivation de la décision apparaît assez faible même si le contexte peut la faire comprendre. La lutte contre la covid-19 ne saurait justifier à elle seule une telle interdiction, puisqu’elle n’a pas empêché la reprise des classes en juin ni l’organisation des examens.
  2. Il y a cependant, explicitement et implicitement dans le texte, des motivations suffisantes.
    • Règlementairement, c’est un rappel à l’ordre par rapport au respect de l’arrêté conjoint MINEDUB/MINESEC portant périodes d’interruption des cours qui a d’ailleurs subi de nombreuses modifications cette année en raison de la covid-19. Il s’agit ici au fond d’un appel au respect d’un principe d’organisation de l’activité et du temps scolaires qui est fondé scientifiquement et dont les objectifs sont :
    • Permettre aux élèves de passer à d’autres formes d’apprentissage directement liés à la vie d’où la référence aux valeurs sociales et culturelles
    • Enseigner intrinsèquement l’organisation et la structuration du temps comme facteurs d’efficacité dans tout ce que l’on fait

Ce texte aurait cependant gagné à être plus clair et précis sur certains aspects et on peut le regretter. L’interdiction devrait viser clairement les administrations scolaires, leurs infrastructures et leurs enseignants. Si ces administrations organisent des cours de vacances, ces cours deviendront ipso facto systématiques et obligatoires et violeront

  • Les droits des élèves aux vacances ;
  • Les droits des enseignants aux congés annuels
  1. Cette nouvelle ne va-t-elle pas impacter sur les élèves des classes intermédiaires qui depuis le mois de mars sont à la maison ?

 Je ne pense pas que nous prenons le problème par le bon bout. La covid-19 a impacté douloureusement l’année scolaire 2019-2020 surtout pour les élèves des classes intermédiaires. D’éventuels cours de vacances peuvent-ils corriger cela ?  Je dis partiellement et inégalement. De nombreux enfants ne pourront pas participer aux cours de vacances, parce que rien ne les y oblige, parce qu’ils sont déjà en vacances ailleurs ou dans d’autres activités, parce qu’ils n’ont pas le moyen de se les payer, une infinité de raisons existe. Il faut donc trouver une autre solution au problème. C’est pourquoi nous en appelons aux différents ministres de l’éducation de faire tenir compte au courant de l’année qui vient, dans l’élaboration des programmes, des 20% des programmes non couverts au cours de l’année qui s’achève.

  1. Comment les parents peuvent-ils rattraper cette situation dans le cas ou leurs enfants seraient dans le besoin de ces cours ?

 Il y a toujours eu des cours de vacances et cette liberté-là existe toujours à mon avis. Il s’agit seulement de l’encadrer pour éviter qu’elle ne se transforme en contrainte pour les élèves et les enseignants.  Les droits des uns et des autres pour les vacances et les congés doivent être respectés. Les institutions qui répondent de l’école et de son organisation pour l’Etat ne doivent pas être les acteurs de la violation de ce droit. En dehors de cela, d’autres formes d’organisation des cours de vacances, avec d’autres acteurs dans d’autres cadres restent, à mon avis, tout à fait libres.

  1. La rentrée académique en octobre prochain avec cette pandémie du coronavirus, comment vous la voyez?

 Je la vois difficile et pleine de dangers. Il y aura des difficultés d’infrastructures : en moyenne statistique, il faudra 19 salles et 273 tables-bancs en plus par établissement. Nous sommes déjà en retard sur la réalisation de ces objectifs dont les fonds sont prévus dans les fonds anti-covid. Il faudra également beaucoup d’enseignants supplémentaires et rien n’est encore prévu nulle part pour cela. Au final, nous courrons le risque de voir l’année scolaire 2020-2021 s’organiser comme d’habitude avec 80 à 120 élèves par classes et tant pis pour le corona virus.

  1. Le gouvernement prévoit faire des cours à mi-temps pour les élèves, quel est votre avis sur cette potentielle solution ?

Les cours à mi-temps, cela suppose une double vacation pour les enseignants. Mon avis là-dessus est clair et net : ce n’est pas pensable d’imaginer que l’on puisse doubler le quota horaire hebdomadaire des enseignants et atteindre par exemple les 38 ou 40h par semaine pour les professeurs des collèges et des lycées. Il faut penser à un système à double flux où deux enseignants se divisent la même classe au primaire, où deux groupes d’enseignants se partagent la même classe au secondaire. Pour cela, il faudra plus d’enseignants et c’est déjà le moment d’y penser.

DISCIPLINE : RENFORCER L’ARSENAL.

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A l’heure triomphante des libertés et au royaume victorieux des droits de l’enfant, le « tout permis » semble s’ériger en règle de comportement dans nos lycées et collèges, publics notamment. Un véritable drame !

 

 

AUTRE TEMPS AUTRES MŒURS.

« Autant de fautes, autant de coups de bâton ». C’est à cette dure école que Mamadou et sa sœur Bineta ont été formés, dressés et finalement sont « devenus grands ». (C.M.I & II) pour avoir appris « à lire et à écrire couramment »(C.E.I & II) sous la férule de Maître DIALLO. Ne dit-on de la crainte de Dieu, aussi bien que celle du fouet, qu’elle est «  le commencement de la sagesse ? »

En effet, la justice sans la force est faible. Peut-on rendre justice, faire prévaloir le droit au pays de l’impunité ? Equité et fermeté doivent se fondre en un projet unique : l’éducation.

Mais de quelle fermeté s’agit-il de nos jours ?  L’époque coloniale du règne qui a ses « oreilles aux fesses » est bel et bien révolue. Trêve de nostalgie.

LES FAILLES DU SYSTEME

En milieu scolaire, la « table des lois » a un nom : Règlement Intérieur. C’est ce document officiel qui codifie les droits et devoirs de l’élève et précise l’échelle des sanctions subséquentes aux diverses infractions, ce conformément aux instructions ministérielles en la matière. C’est un pacte, un contrat.

Mais à l’analyse, à la pratique et surtout au regard de la déliquescence actuelle des valeurs morales, nos Règlements Intérieurs souffrent de nombres d’insuffisances. Ils sont devenus obsolètes.

A titre d’illustration : le pouvoir de sanction. Celui-ci relève :

  • Des responsables administratifs : Surveillant Général ; Censeur ; proviseur ;
  • Du conseil de discipline ;
  • Du conseil de classe.

Ainsi l’enseignant, premier éducateur dans sa classe, se retrouve sans autorité aucune sur ses élèves. Il ne peut ni les mettre à genoux, ni les expulser de la  classe, encore moins leur « frotter le nez ». Et s’il ose, bonjour la prison ! A la limite, il peut les traduire au conseil de discipline ou attendre patiemment le conseil de classe de fin d’année qui fait aussi office de conseil de discipline et qui peut ainsi se prononcer sur une décision d’exclusion. Entre temps, l’élève s’installe dans l’impunité avec tous les avatars subséquents : insolence ; insubordination ; violence verbale voire physique.

De même, si les infractions mineures peuvent faire l’objet d’une sanction immédiate n’excédant pas trois jours d’exclusion temporaire avec corvée, il n’est pas de même des infractions majeures. Ex : coups et blessures ; vol ; viol ; agression sur encadreur ; consommation de stupéfiants. Celles-ci relèvent du conseil de discipline dont les décisions doivent au préalable être validées par la hiérarchie.

Par ailleurs, les sanctions d’exclusion temporaire avec corvée, disciplinaire par essence ont malheureusement des incidences pédagogiques : cours et évaluations perdus ; note zéro à la clé avec au bout du rouleau l’échec et l’exclusion définitive. Dans un tel contexte, comment garantir la qualité de la pédagogie et relever le taux de réussite ?

Enfin, la transhumance scolaire vide de toute substance la sanction d’exclusion définitive ou de redoublement. Avec la complicité active des parents et à la faveur de faux bulletins, l’élève exclu ou admis à redoubler au lycée X se retrouve inscrit et admis en classe supérieure au lycée voisin Y, narguant allègrement ses maîtres d’hier.

LA FORCE DU DROIT.

Dès lors, comment restaurer ordre et discipline dans nos établissements scolaires ? Que faire pour recoudre le tissu moral qui s’effrite et s’en va en lambeaux ? Quel avenir pour notre jeunesse au royaume du libertinage et de l’impunité ?

Vivement, que force demeure à la loi ! Au droit de la force que nous opposent les élèves délinquants doit se substituer la force du droit. D’où qu’elle vienne, la brutalité doit succomber devant la légalité qui, elle, exige deux piliers : équité et fermeté.

Aussi, s’impose-t-il de nos jours l’urgente exigence d’une relecture de nos Règlements Intérieurs, un renforcement du pouvoir disciplinaire au sein de nos établissements scolaires. Restaurer la souveraineté et l’autorité du Maître- « Magister dixit ! » : voilà l’impératif catégorique. Notre quête de l’excellence est à ce prix.

 

Jean Calvin NKENFON

CPJA

IPR/vie scolaire-AD

 

 

Privatisation de l’éducation au Maroc, bras de fer entre écoles privées et parents d’élèves : Saaïd Amzazi, ministre de l’éducation, s’exprime sans langue de bois…

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Rien ne va plus entre les parents d’élèves et les écoles privées. Supportant des coûts supplémentaires (ordinateurs, tablettes, internet…) et obligés, pour la plupart, de jouer aux professeurs, les parents d’élèves des écoles privées ne veulent pas s’acquitter de la totalité des frais de scolarité du troisième trimestre, sur lequel s’étale la durée du confinement. Alors que la tension continue de monter entre les deux parties, le ministère de tutelle tente d’éteindre le feu. Quelle marge de manœuvre pour le département de l’Education nationale ? Où en est le dossier ? Déjà, beaucoup de parents d’élèves menacent de migrer massivement vers l’enseignement public. L’école publique a-t-elle les capacités? Les éclairages de Saaïd Amzazi. 

Challenge : Quelle place le système éducatif national accorde-t-il à l’enseignement privé ? 

Saaïd Amzazi  : L’enseignement privé est une composante à part entière de notre système éducatif, tel que le stipulent la Charte Nationale de l’Education et de la Formation ainsi que la Vision Stratégique, deux textes fondateurs de ce système qui voient en lui un partenaire stratégique de l’enseignement public dans sa mission de service public, incarnée par une offre éducative équitable, diversifiée, de qualité, et qui préserve l’égalité des chances pour tous les marocains.

La loi cadre 51-17 de l’éducation n’a pas non plus manqué de reconnaître cette place de partenaire stratégique à l’enseignement privé, et précise en outre que ce secteur est lui aussi appelé à s’impliquer dans la lutte contre les disparités en matière d’éducation, notamment les disparités territoriales et sociales concernant les enfants des familles en situation d’indigence, mais aussi celles qui concernent les enfants en situation d’handicap ou à besoins spécifiques. Un autre apport important de cette loi cadre est qu’elle prévoit, dans son article 14, une refonte et une actualisation de la loi 06.00 qui régit l’enseignement privé en vue de pallier les dysfonctionnements constatés depuis des années.

Le Ministère s’est d’ailleurs déjà attelé à cette tâche, en coordination avec les représentants du secteur privé et ceux des fédérations de parents d’élèves, et travaille sur un projet de décret en ce sens permettant de mieux redéfinir les modalités de fixation des frais d’inscription, d’actualiser les frais d’assurance et mieux préciser les coûts des différentes prestations fournies par les établissements de l’enseignement privé.

Challenge : Que représente en chiffres le secteur de l’enseignement privé sur le terrain ?

L’enseignement privé primaire et secondaire abrite environ 14%, soit un peu plus de 1 million de nos effectifs d’élèves. Toutefois, la répartition des effectifs d’élèves inscrits dans des établissements privés montre une grande hétérogénéité, avec une concentration marquée dans 5 régions sur 12, lesquelles abritent plus de 78% de ces effectifs : Casablanca-Settat, Rabat- Salé-Kénitra, Fès-Meknès, Marrakech-Safi et Tanger-Tétouan. Cette forte disparité territoriale s’exprime non seulement entre régions, mais également au sein d’une même région. J’en veux pour exemple, le cas de Rabat qui abrite près de 45% des élèves du privé de sa région alors que Sidi Slimane n’en accueille que 8%.

En outre, l’enseignement privé au Maroc ne se résume pas simplement au nombre d’élèves qui y sont inscrits : c’est un secteur qui génère beaucoup d’emplois : 71.194 enseignants, 22.261 personnels administratifs et 42.467 emplois dans les services, ce qui représente tout de même environ 135.922 salariés qui travaillent dans ce secteur, et qui sont soumis au code du travail marocain.

Challenge : Comment expliquez-vous l’engouement des marocains pour les écoles privées ?

Je ne parlerais pas vraiment d’engouement…Rappelez-vous : en 2010, 12 % des élèves marocains étaient inscrits dans le secteur privé. Dix ans plus tard, le fait que ce taux atteigne 14% ne démontre pas forcément un engouement, mais plutôt ce que je qualifierais de simple préférence de certains marocains pour ce secteur.

Bon nombre de parents n’inscrivent pas leurs enfants dans le privé uniquement pour qu’ils aient un meilleur niveau scolaire, mais aussi, et surtout, pour l’environnement qu’ils y trouveront. Les établissements du secteur privé sont généralement sécurisés, offrent un encadrement important et des opportunités en matière de transport et de cantines et d’épanouissement à travers les activités périscolaires qu’ils proposent. Ils dispensent également plus d’enseignements en langues étrangères et proposent plus de flexibilité dans leurs horaires pour s’adapter à ceux des parents. Ces familles ont donc opté pour ce système et préfèrent voir leurs enfants évoluer dans un tel contexte. Ce qui a abouti d’ailleurs au triste phénomène de fermeture de nombreux établissements publics dans des quartiers favorisés des grandes villes où l’école publique ne parvenait plus à «trouver preneur»…

Challenge : Comment les écoles privées marocaines ont-elles assuré l’enseignement à distance au cours du confinement ?

Suite à la décision du ministère de suspendre les enseignements en présentiel le vendredi 13 Mars, il va de soi que le défi de l’enseignement à distance, unique moyen d’assurer une continuité pédagogique pour nos élèves, s’est très vite posé pour tous les établissements scolaires, publics ou privés. Grâce à sa plateforme « Telmidtice » et la création de  classes virtuelles ainsi que la contribution des chaînes de télévision nationales, cette continuité pédagogique a pu être assurée aussi bien au profit des élèves du public que du privé. En ce qui concerne les établissements privés, les données émanant des directions régionales nous permettent d’estimer à environ 96% le taux d’écoles privées qui se sont engagées et impliquées afin de garantir cette continuité pédagogique à travers ces différents moyens cités ci-haut, ou d’autres mis en place par les établissements ou les enseignants.

Challenge : Quid du conflit qui oppose actuellement les parents d’élèves à ces écoles ?

En fait, tout ce conflit repose sur le paiement des frais de scolarités correspondant au trimestre qui a suivi la suspension des cours en présentiel. D’un côté, une très grande majorité de parents d’élèves ont refusé de s’acquitter de leur facture ou ont été dans l’incapacité de la régler et réclament une réduction sur ces frais, voire même, une exonération totale, notamment pour les parents d’élèves en arrêt de travail pour cause de crise sanitaire, ou ceux dont le salaire a été impacté dans ce contexte. D’autres parents estiment que les cours à distance dispensés ne justifient pas le paiement des frais de scolarité dans leur intégralité, puisque ceux-ci correspondent à un enseignement en présentiel. Sans compter que la nécessité pour leurs enfants de suivre les cours à distance leur a imposé des frais supplémentaires d’acquisition de matériel informatique et de connexion internet.

De l’autre côté, les établissements privés qui estiment avoir rempli leur part du contrat en assurant la continuité pédagogique et qui se déclarent également pénalisés par la crise du Covid-19, ce qui a d’ailleurs incité la ligue de l’enseignement privé à demander le soutien du Fonds spécial de gestion de la pandémie du coronavirus. Sans compter que, malgré les dispositions de la circulaire du ministère de l’Education nationale n° 80 du 24 juin 2003 qui invitent à renforcer la création des associations des parents d’élèves, 80 % de ces établissements ne disposent même pas d’association de parents d’élèves, qui constitue normalement leur véritable interlocuteur, ce qui a compliqué la gestion de ce conflit à l’échelle nationale.

Challenge : Comment le ministère peut-il intercéder au sein de ce conflit ?

La vraie question est plutôt de savoir quelle marge de manœuvre la loi marocaine accorde au ministère pour intercéder au sein de ce conflit… Dans son article 22, la loi 06.00 stipule que le ministère, à travers ses académies régionales de l’éducation, n’a d’autorité que sur l’autorisation de création des établissements privés ainsi que leur suivi et leur contrôle pédagogiques. Les rapports entre les familles et ces établissements, notamment en matière de frais de scolarité, ne sont pas de son ressort et sont régis par un contrat de droit commun. Il en va de même pour les employés de ces établissements qui sont soumis au code du travail national et ne peuvent donc être contrôlés que par les inspecteurs du travail.Sans cette assise légale et réglementaire qui lui permettrait de trancher dans ce débat interminable, le ministère ne peut donc que se contenter d’une médiation entre les deux parties dans un objectif de conciliation, ce qu’il a fait en menant des négociations à l’échelle centrale mais aussi au niveau des AREF ( Académie régionale de l’éducation et de la formation , NDLR) et des directions provinciales.

De nombreux établissements, qui sont à saluer, ont fait l’effort de réduire ou de reporter les échéances de paiement des frais de scolarités, voire même de les annuler, au regard du contexte difficile lié à la pandémie de Coronavirus. Mais pour une minorité d’entre eux, le blocage perdure, et je profite de cette interview pour, une fois de plus, faire appel à leur sens du patriotisme et de la solidarité humaine pour faire en sorte que cette situation conflictuelle, qui n’a que trop duré et qui nuit à l’image de l’enseignement privé aux yeux des marocains, se débloque et s’assainisse. En fait, la vraie marge de manœuvre qui revient au ministère aujourd’hui, qu’il compte exploiter au plus vite, lui est donnée, comme je le disais précédemment, par la loi cadre qui a permis de réellement baliser le terrain et nous donne autorité pour réviser la loi 06.00 de façon à ce qu’elle se conforme aux dispositions juridiques de la loi-cadre, qui stipulent que les frais d’inscription, des études, des services et d’assurance sont fixés par décret.

Nous avons donc entamé ce chantier de révision. Une proposition en ce sens sera prochainement soumise au parlement, ce qui constituera, vous en conviendrez, un acquis immense pour notre système d’éducation national, comme ce fut le cas d’ailleurs avec la loi-cadre adoptée l’été dernier. Compte tenu du fait que sur le terrain, l’offre du secteur de l’enseignement privé est très hétéroclite, aussi bien sur le plan des capacités d’accueil que sur le plan pédagogique ou sur celui des infrastructures et bien sûr des tarifs pratiqués, il nous faut, en premier lieu, élaborer un modèle de catégorisation des établissements privés sur la base de véritables indicateurs permettant une  fixation objective des frais de scolarité, en fonction de la catégorie et des prestations réellement fournies par chaque établissement.

Par ailleurs, en vertu des articles 13 et 14 de la loi cadre 51-17, le nouveau texte réglementaire devra également se pencher sur la contribution du secteur privé de l’éducation au service public, et fixer un taux de participation des établissements privés en matière d’offre pédagogique gratuite au profit des enfants issus de familles défavorisées, ou en situation de handicap ou à besoins spécifiques. Des mesures incitatives diverses pourront être mises en place au profit des établissements privés pour leur permettre également de contribuer à l’effort de réalisation des objectifs de lutte contre l’analphabétisme et de l’éducation informelle.

Enfin, il ne faut pas perdre de vue que les établissements privés sont tenus, dans un délai de quatre ans, d’assurer leurs besoins permanents en cadres pédagogiques et administratifs, afin de se conformer à la loi cadre 51-17.

Challenge : Suite à ce bras de fer opposant les établissements privés aux familles, nombre de parents d’élèves menacent de migrer massivement vers l’enseignement public. Doit-on s’attendre à la rentrée prochaine à ce qu’un tel scénario puisse se réaliser ?

Déjà à la rentrée 2019-2020, donc bien avant cette crise, 52.000 élèves ont quitté les établissements privés pour s’inscrire dans le système public. Il faut toutefois mesurer les conséquences de ce transfert massif d’effectifs vers le système public à la lumière de la réalité du terrain. Tout d’abord, il est absolument incontestable que l’éducation est un droit consacré par notre Constitution, et que l’Etat marocain est tenu d’assurer à chaque enfant sa place dans un établissement scolaire public. Donc, tout enfant quittant le système privé pour le système public lors de la prochaine rentrée devra trouver sa place dans un de nos établissements publics.

Toutefois, les réformes récentes entreprises par le ministère pour améliorer le système scolaire public, commencent à porter leurs fruits, tel que le démontre la réduction de la massification au sein des classes, qui a nécessité des années d’efforts en matière de réhabilitation et de construction de nombreuses écoles, collèges et lycées, ainsi que de recrutement d’enseignants. Notre objectif était de limiter l’effectif des classes à 30 élèves pour la première et deuxième année du primaire et 36 pour les autres années. Grâce à ces efforts, le nombre de classes du primaire qui dépassent un effectif de 45 élèves ne va pas au-delà de 5% actuellement. C’est une avancée majeure. Mais aujourd’hui, ce risque d’exode massif de nos élèves vers le système public, qui est un droit acquis, je tiens à le préciser, risque de compromettre tous les efforts accomplis : nombre de nos établissements scolaires publics verront leurs capacités d’accueil dépassées et renoueront avec le phénomène de massification au sein des classes, ce qui affectera considérablement la qualité des apprentissages scolaires. Et vous en conviendrez, ce n’est pas du tout dans l’intérêt des élèves…

Sans compter que même si nous envisageons le scénario le moins lourd, à savoir la migration de 20% seulement des effectifs du privé, cela représente tout de même plus de 200.000 élèves à accueillir, ce qui nécessiterait l’ouverture d’ici deux mois pour la rentrée scolaire, de plus de 400 établissements, sur la base de 500 élèves par établissement. Autant dire que nous parlons d’une mission impossible.

Challenge : Votre dernier mot ?

Il va de soi que la crise du Coronavirus a eu le mérite de révéler au grand jour les limites de l’organisation et de fragilité de la gouvernance de nos établissements privés et constitue l’élément déclencheur de profonds changements au cœur de notre système éducatif. La révision très prochaine de la loi qui régit ce secteur, apportera des améliorations notables, c’est incontestable, notamment pour recadrer les rapports établissements – familles. Le secteur de l’enseignement privé est érigé par la loi en tant que véritable partenaire du secteur public, et accueille plus d’un million de nos élèves. Il mérite à ce titre toute notre attention, nos efforts et notre soutien. Il est donc de notre devoir de l’accompagner dans sa restructuration et de le sauvegarder.

 

 

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