Sacré Kaffo ! Personne n’aurait fait ce pari, en dehors bien sûr de ceux qui côtoient l’homme et qui le vivent au quotidien. Dans notre univers où la tendance est à la dispute, aux querelles intestines, aux distorsions éhontées des textes pour s’assurer la longévité et parfois l’éternité à la tête des institutions, le camarade Kaffo fait le choix du chemin inverse. Il choisit de partir, de céder la place à une génération nouvelle dont il a contribué à la formation et à l’éclosion ; de s’éclipser pour passer la main à la jeunesse dans un environnement très souvent hostile avec de nombreux défis à relever. Quelle leçon de démocratie sous le ciel du Cameroun lors du 7è congrès ordinaire du SNAES ! Une gifle bien appliquée ce 30 novembre 2024, sur les visages de ceux qui continuent de penser qu’il est toujours trop tôt pour partir. Pour l’ensemble de ses œuvres, le camarade Roger Kaffo a eu droit à une standing ovation digne des grands hommes, de la part des congressistes et de tous invités présents.
Ce ne fut pas un long fleuve tranquille. Loin de là. Le camarade Kaffo en a vu des vertes et des pas mûres tout au long de son magister à la tête du SNAES. Dévoué à en sacrifier son existence à la cause l’éducation, il s’est de tout temps posé en défenseur de l’école et des enseignants, du respect des textes et de la courtoisie républicaine. C’est en cela qu’il est à l’image de Frantz Fanon qui déclarait dans les damnés de la terre : « Nous ne sommes rien sur terre, si nous ne sommes pas d’abord l’esclave d’une cause, celle des peuples et celle de la justice et de la liberté. » Pour cette dévotion sans contrepartie, il lui est arrivé de séjourner dans les cellules parce qu’il portait sur lui les aspirations légitimes des enseignants. Heureusement qu’on ne peut enfermer que le corps. L’esprit lui est d’une liberté infinie.
Au plus fort des multiples grèves des enseignants entre 2022 et 2024, alors que le camarade Kaffo était mangé à toutes les sauces, affublé des épithètes les plus barbares, ce combattant est resté de marbre. Quel Esprit ! Les menaces d’atteinte à sa vie et à sa famille, proférées par quelques brebis galeuses tapis dans la profession enseignante, n’ont pas égratigné sa détermination à faire ce qui est bien et juste. Il est resté debout, défiant les vents de terreur qui lui en voulaient d’avoir une opinion à mille lieux de la violence et du gangstérisme. Sous le manteau du syndicalisme de développement, il avançait serein, conscient de la foudre qui est le lot de ceux qui dans l’histoire, ont commis le crime d’avoir eu raison trop tôt. Aujourd’hui certains parmi ses acerbes détracteurs osent quelques mots en guise d’excuse, le regret lourd d’avoir voué aux gémonies un homme dont ils ne savaient rien, simplement parce que quelques sicarios l’avaient outrageusement pointé du doigt comme étant le coupable. Mais de quoi donc ?
Kaffo c’est un écrivain prolifique auteur de nombreux ouvrages (les générations sacrifiées ; demain sera l’Afrique ; capital, travail et mondialisation ; etc.), un enseignant jaloux de sa liberté pédagogique, un formateur à la qualification reconnue, un homme d’actions engagé avec détermination sur le chemin de ses congénères en quête de perfection. Son blog https://demainlafrik.blog4ever.com est d’une richesse inestimable avec à la page d’accueil, ce propos saisissant de Ezra Pound qui annonce le contenu : « je tiendrais des propos que peu de personnes peuvent se permettre de dire car ils mettraient en danger leurs revenus ou leur prestige dans leurs mondes professionnels, et qui sont uniquement à la portée d’un écrivain libre. Etant donné la liberté dont je jouis, je suis peut-être un imbécile d’en faire usage, mais je serais une canaille si je ne le faisais pas. » C’est tout dire.
Le syndicalisme a cette particularité d’être doté d’une morsure inguérissable. Il vous laisse des marques indélébiles tant sur votre corps que dans votre esprit. Il s’assure par ces précautions, de toujours vous attirer à lui par son magnétisme, comme le ferait un aimant avec un objet ferromagnétique présent dans son voisinage. Prosaïquement on dirait syndicaliste un jour, syndicaliste toujours. Le camarade Kaffo a sans aucun doute changé de trottoir en passant le témoin à la jeune génération, mais il reste et restera dans la sphère syndicale qui a encore besoin de la justesse de ses éclairages et le doigté délicat de ses conseils. Salut bien bas, Camarade.
YONGUI HEUBO, Rédacteur SNAES