Echecs aux examens 2020 : « La préparation des candidats a été lacunaire. »

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(Interview au quotidien Le Jour)

1. Les taux de réussite aux examens officiels on connu une régression lors de la session 2019/2020. Quelles peuvent en être les causes selon vous?

Roger Kaffo Fokou: Au moins deux causes peuvent être pointées du doigt. La première concerne évidemment l’impact de la pandémie de la covid-19 sur le déroulement de l’année scolaire. Celle-ci a eu pour conséquence d’en faire une année scolaire erratique, interrompue pendant plus de deux mois pour cause de confinement généralisé, puis inégalement reprise parce que la peur de la pandémie n’a pas permis à tous les élèves de reprendre le premier juin 2020 comme fixé par le gouvernement. Au cours de cette reprise, l’injonction de se plier aux mesures anti-covid a modifié la relation pédagogique de façon substantielle : port du masque donc difficultés de communication, distanciation physique donc circulation réduite et suivi limité des apprenants dans le cadre d’une pédagogie qui exige pourtant une grande proximité, l’approche par compétences. La deuxième cause et celle-ci a surtout touché les candidats aux probatoires d’enseignement général, c’est la coïncidence avec la première édition des probatoires APC : les épreuves ont donc connu une série d’innovations qui ont plus ou moins dépaysé les candidats et même nombre de correcteurs. Les épreuves zéros organisées pour mettre à niveau les candidats n’ont pas suffi dans le cadre d’une innovation aussi profonde ; elles sont intervenues tardivement et au moment où de nombreux candidats étaient plus préoccupés d’éviter la covid-19 que de préparer leurs examens. En gros, la préparation des candidats a été lacunaire, de façon plus accentuée pour les candidats aux probatoires ESG.

2. D’aucuns mettent en avant la pandémie du coronavirus. Quelle est la note à payer de la covid 19 dans cet échec massif ?

Roger Kaffo Fokou : comme vous le notez plus haut, la covid-19 a joué le rôle d’amplificateur pour chacune des causes importantes de ce recul de l’efficacité interne de notre système éducatif. La jeunesse a donc payé le prix fort de cette pandémie, alors qu’on lui avait fait croire qu’elle en était à l’abri, qu’elle ne risquait rien. Physiquement bien sûr elle était logée à meilleure enseigne que les catégories plus âgées mais, on aurait dû anticiper et lui dire qu’elle risquait de payer autrement. Et cela n’a pas été fait, en tout cas pas suffisamment. Nous devrons mettre cela au bilan de la gestion de cette crise et partir de cette évaluation implacable pour nous améliorer au cours de l’année scolaire qui commence.

3. Quelle peut-être la responsabilité des parents ? Des enseignants ?

Roger Kaffo Fokou : Il n’y a pas que les parents et les enseignants dont les responsabilités sont engagées mais puisque vous le souhaitez, parlons de celles-là. Les parents comme les Camerounais que nous avons tous rencontrés dans les rues, les marchés, les deuils, mariages et autres, n’ont pas brillé comme des exemples pour les jeunes scolaires ou non scolaires. Beaucoup n’ont pas fait l’effort qu’il fallait pour garder leur progéniture en éveil et connectée à l’école par toutes les voies y compris le télé enseignement proposé, malgré les limites de ladite offre. Ils ne se sont mobilisés à aucun moment pour faire entendre leurs voix et propositions. Cette apathie a laissé au gouvernement le choix solitaire des stratégies et des moyens, en l’absence de toute forme d’exigence. C’est ici l’occasion de dire aux parents d’élèves que les enseignants ne sauraient être plus préoccupés de l’avenir de leurs enfants qu’eux-mêmes. Ce serait croire qu’il est possible d’être plus royaliste que le roi. Quant aux enseignants, leurs organisations syndicales ont fait un travail indiscutable de mobilisation des énergies autour de la riposte : mettant la pression sur le gouvernement, sur les acteurs de la communauté éducative, sur eux-mêmes les enseignants. Le 1er juin à la reprise, les enseignants ont répondu massivement dans les établissements scolaires. Cela a-t-il été suffisant ? Certainement pas. Les enseignants ne sauraient se soustraire à la responsabilité du volumineux taux d’échec de cette session d’examens. Ils n’ont pas préparé leurs élèves autant qu’ils l’auraient pu ou dû. Les limites que leur a imposées le système, ils ne les ont pas suffisamment questionnées, combattues, modifiées. Il y a un peu du Ponce Pilate dans cela. Ils devront se battre davantage dans le futur.

4. Doit-on totalement disculper les élèves ?

Roger Kaffo Fokou : Pourquoi totalement ? Il n’est pas question de les disculper. C’est très commode de les considérer comme des enfants, c’est-à-dire des irresponsables. C’est pour cela que toute une législation a été mise en place, pour supprimer toute forme de sanction ou de punition de l’espace scolaire. Pas seulement les punitions avilissantes et humiliantes, ni les atteintes à l’intégrité physique des apprenants. Celles-là, leur interdiction fait l’unanimité. Mais aujourd’hui, il est presque interdit de faire un feedback à l’élève, de l’empêcher de sortir n fois du cours si cela lui chante, de lui confisquer un outil qui divertit son entourage en même temps que lui, sans voir brandie la menace d’un procès. Il ne faut pas frustrer les enfants ; il ne faut pas leur dire qu’ils n’ont rien compris, qu’ils ont mal raisonné… Il faut les distraire sans limite. L’institution s’est ingéniée à ensauvager l’élève et est en passe d’y réussir brillamment.  Mais il y a toujours un retour de bâton. Nous parlons cependant d’échecs pas seulement au CEP, ni aux CAP et au BEPC, mais également aux probatoires et baccalauréats. La délinquance de plus en plus violente s’installe, à la faveur du climat que nous avons décrit plus haut, sur nos campus scolaires où l’on « deale » et consomme quantité de stupéfiants. Il faut de plus en plus de poigne pour maintenir la tête des élèves baissée sur les livres et les cahiers, et la poigne fait partie des outils non recommandés ou presque. Cette désinvolture a un prix et celui-ci ne va pas s’arrêter à l’échec aux examens.

5. Le système à mi-temps prôné par le gouvernement pour l’année scolaire 2019/2020 est-il un atout ?

Roger Kaffo Fokou : Le système à double flux pour être plus précis est d’abord un pis-aller, pas un atout. Il permet, quand il est bien managé, de limiter les dégâts. Déjà il a pour conséquence la réduction du volume horaire journalier consacré aux apprentissages, de plus de deux heures. Il crée une saturation permanente de l’espace scolaire et rend plus difficile la mise en œuvre des activités post et péri-scolaires pourtant indispensables à l’épanouissement et à la formation complète des élèves. Il appauvrit donc l’éducation offerte et reçue. C’est pour cela qu’il ne doit être appliqué qu’exceptionnellement et accompagné de mesures complémentaires et correctives. Le télé enseignement envisagé va remplir ce rôle-là, à condition à notre avis d’être considéré comme un supplément et non un complement du déficit. Nous ne devons pas oublier que la pauvreté de nos infrastructures et équipements collectifs et individuels de communication et de réception de contenus digitaux ou numériques va créer ipso facto une inégalité devant le télé enseignement. Des larges zones du territoire n’ont pas de couverture électrique ni internet. Nous allons, encore une fois, au devant d’une expérimentation non pas à large échelle mais généralisée, ce qui est contraire au principe en la matière. Si le suivi-évaluation avec correction n’est pas suffisamment réactif au cours de l’année, on pourrait, encore une fois, se mordre les doigts en fin d’année.

6. Comment redorer les résultats aux examens officiels ?

Roger Kaffo Fokou : C’est une tâche immense qui fait penser aux écuries d’Augias de la mythologie grecque. Il faut peut-être détourner un fleuve pour les nettoyer. Plus simplement, il faut redorer le blason de l’école. Les examens ne sont que des phases terminales d’étapes scolaires. Si les autres phases se passent mal, ils donnent de mauvais résultats. Si les acteurs soit ne sont pas à la hauteur, soit ne sont pas mis dans les conditions d’efficacité, il ne faut pas s’attendre au miracle. Qui veut la fin veut les moyens. Le gouvernement a donc un choix simple : mettre les ressources appropriées pour redonner à l’éducation ses lettres de noblesse, où accepter que celle-ci continue à se dégrader.

Merci d’avance