Monsieur le Préfet du Département du Noun ;
Monsieur le Sous-préfet de l’Arrondissement de Foumban ;
Monsieur le Maire de la Commune de Foumban ;
Monsieur le Président du tribunal de Grande instance de Foumban ;
Monsieur le Procureur de la république auprès dudit tribunal ;
Sa Majesté le Sultan-Sénateur, Roi des Bamoun ;
Mesdames et Messieurs les Autorités Politiques, Religieuses et Traditionnelles
Messieurs les Délégués Départementaux chargés de l’encadrement des jeunes
Camarades Secrétaires Généraux des syndicats ici représentés ;
Mesdames et Messieurs les Chefs d’Etablissements ;
Chers enseignant(e)s ;
Camarades syndicalistes ;
Chers invités ;
C’est au nom des syndicats d’enseignants représentés dans le Noun qu’il m’échoit l’honneur une fois de plus en cette année 2019, de prendre la parole devant vous, en ce jour de célébration de la Journée Mondiale des Enseignants. Permettez-moi, au nom de ces différentes organisations, de vous souhaiter à la suite des propos aimables de Monsieur le Maire, une chaleureuse bienvenue sur cette place historique des fêtes de Foumban.
Pour comprendre l’histoire de cet évènement important, retenons que Ce Samedi 05 octobre 2019 nous permet de commémorer le 53è anniversaire de la signature de la Recommandation OIT/UNESCO concernant la condition du personnel enseignant de 1966. Cet important texte de la communauté internationale concernant la condition du personnel enseignant a été adoptéeconjointement par l’OIT et l’UNESCO le 5 octobre 1966, lors d’une conférence intergouvernementale spéciale réunie par l’UNESCO à Paris en coopération avec l’OIT. Elle énonce les droits et devoirs des enseignants, ainsi que les normes internationales applicables dans les domaines suivants : la formation initiale et le perfectionnement, le recrutement, l’emploi, les conditions d’enseignement et d’étude. Elle contient aussi de nombreuses propositions destinées à favoriser la participation des enseignants à la prise des décisions en matière d’éducation par la procédure de consultation et de négociation avec les gouvernements. Depuis son adoption, la Recommandation est considérée comme un ensemble de directives important visant à améliorer la condition du personnel enseignant au profit de la qualité de l’éducation.
Pour compléter la Recommandation de 1966, une autre sera adoptée en 1997 et concerne le personnel enseignant et les chercheurs de l’enseignement supérieur.
Avec l’adoption de l’Objectif Du Développement Durable (ODD4) relatif à l’éducation, et sa cible 4.c, qui souligne la place décisive qu’occupent les enseignants dans la réalisation de l’agenda Éducation 2030, la Journée mondiale des enseignants est devenue l’occasion de dresser le bilan des résultats obtenus et de réfléchir aux moyens de lever les obstacles à la promotion de la profession enseignante. L’UNESCO et les institutions coorganisatrices de la Journée Mondiale des Enseignants (OIT, UNICEF, PNUD et IE) dédient également cette journée à la célébration d’un engagement moral intergouvernemental unique, seul instrument normatif international concernant les enseignants, tout comme, elle réaffirme sa volonté d’être au plus près des enseignants dans leurs luttes pour la valorisation de leur profession. Les enseignants sont donc appelés ce jour à rappeler à leurs gouvernements respectifs les engagements de ces derniers et à exiger d’eux l’aménagement des conditions nécessaires à leur plein épanouissement dans l’accomplissement de leur lourde mission.Ainsi, avec ou sans pagne, mais surtout avec beaucoup de dignité, la réflexion, la mobilisation et, partout où cela s’avère nécessaire, la revendication doit être de mise.
Le thème de la journée mondiale des enseignant(e)s 2019 est «LES JEUNES
ENSEIGNANT(E)S , L’AVENIR DE LA PROFESSION». Ce thème pourrait a priori ouvrir une porte aux polémiques car donnant l’impression d’exclure ou de méconnaitre les sacrifices incommensurables des « vieux enseignants », mais il en est nullement question. La thématique d’aujourd’hui pose en réalité le problème d’une crise aux racines profondes. Une crise que l’on pourrait décliner dans une problématique de fond que voici : Comment attirer les jeunes vers la profession enseignante ? bien plus, comment maintenir en poste les jeunes enseignants ? Ces questionnements trouvent leur fondement dans un contexte international et national marqué par un déficit sans cesse croissant d’enseignants, bref, une crise de vocation.
Tenez par exemple, l’UNESCO estime à 69 millions le nombre d’enseignants qu’il faudra recruter d’ici 10 ans afin de satisfaire aux objectifs de l’agenda 2030, c’est-à-dire, garantir un accès universel à l’école primaire et secondaire pour tous. Relever ce défi permettra à priori de maintenir ou d’introduire dans les circuits de l’éducation primaire environ 265 millions d’enfants qui y échappent chaque année.
La situation au Cameroun n’est guère enviable. Avant la crise anglophone, le DSSEF estimait en 2013 à environ 100 milles par an le nombre d’enfants qui échappent au circuit de l’éducation pour une population globale d’analphabètes évaluée aujourd’hui à environ 3 millions de personnes. Cette situation ne peut s’interpréter qu’avec l’aide d’une donnée essentielle qui est ici l’enseignant. Et au Cameroun, Monsieur le Préfet, Mr le Sous-préfet, Mr le Maire, Mrs Les Délégués, l’enseignant continue d’être une denrée si rare au regard du déficit pharaonique observé à tous les niveaux de notre système éducatif, mais curieusement l’enseignant au Cameroun reste cette denrée méprisée, avilie, paupérisée, martyrisée. C’est le seul secteur ou les recrutements font fi de tout critère objectif ; les volontaires maitres des parents qui enseignent parfois au prix d’un franc symbolique dans nos contrées les plus lointaines ne sont pas toujours ceux-là qui sont recrutés dans la fonction publique le moment venu. Et ceux-là même qui après moult obstacles, chantages, rackets et sacrifices sont recrutés, ne sont pas au bout de leur peine car ils doivent désormais faire face aux contrats de travail inadéquats et surtout à des salaires n’ayant aucun rapport avec le coût réel de la vie. C’est aussi le début d’une autre épreuve encore plus rude ; celle la grande épopée des comptoirs à pourcentages solidement installés au MINFI, MINESEC, MINEDUB ou au MINFOPRA. C’est le cercle vicieux où tout a un prix, premier salaire c’est 50%, un avancement c’est 15%, une indemnité de sujétion 25%, prestations familiales 25%, toutes les promotions ont généralement un prix connu tous etc…
Au regard de tout ce qui précède l’on se demande comment un tel environnement kafkaïen peut fidéliser, rassurer, conforter, tranquilliser tout jeune enseignant qui sonne aux portes de la profession malgré sa volonté !!! Dans les régions en conflit de notre pays, les enseignants comme leurs élèves sont, ces dernières années, les cibles de choix pour de nombreuses mains criminelles. Piégés dans l’étau cynique de la crise anglophone, les injonctions martiales de la hiérarchie et des autorités administratives, ces malheureux enseignants abandonnés à eux-mêmes, sans aucune protection, sont chaque jour victimes des exactions, les unes toujours plus sauvages que les autres.
Doigts tranchés, mains coupées, la sauvagerie a atteint son point culminant lorsque le collègue Wountai Olivier du Lycée de Nitop à Bamenda, longuement martyrisé par des criminels, a été décapité et sa tête exposée par ses bourreaux dans un lieu public à Bamenda.
Va Olivier et repose en paix !!! Nous osons espérer que l’ignominie ne restera pas impunie.
A côté de ces violations graves des droits de l’homme en général et des droits des enseignants en particulier, il faut signaler pour le regretter que depuis quelques temps, l’on assiste de façon de plus en plus régulière au Cameroun, à une incursion très zélée et problématique de certaines autorités administratives, policières dans les écoles. Ce qui constitue une violation grave des franchises académiques consacrées non seulement par cette recommandation internationale que nous célébrons aujourd’hui mais aussi la loi d’orientation du Cameroun de 1998 qui stipule à l’article 38 que : « L’enseignant jouit, dans le cadre des franchises académiques et dans l’exercice de ses fonctions, d’une entière liberté de pensée et d’expression dans le strict respect de la liberté de conscience et d’opinion des élèves » ; tandis que l’article 5 alinéa 5 de cette même loi oblige l’enseignant d’initier ses apprenants à la culture et à la pratique de la démocratie, le respect des droits de l’homme, la justice, la tolérance et le dialogue. C’est dans ce sens que nous dénonçons de façon véhémente la correspondance du Sous-préfet de Manjo datant du 13 septembre menaçant et intimidant les enseignants ; l’arrestation à Sangmelima il y a trois semaines d’un enseignant dénoncé par ses élèves, transformés en sbires à l’occasion parce qu’il aurait pris un exemple en rapport avec la situation de crises que le Cameroun traverse ou encore la situation de ce sous officier de l’armée nationale qui est rentrée par infraction dans le campus d’une école primaire à Bafoussam et a violemment agressé plusieurs enseignantes et leur directrice.
Le Noun n’échappe pas à ce cycle de violence, moi-même j’ai été violemment incommodé la semaine dernière à mon lieu de service par un individu qui n’avait rien à y faire au moment des faits. La regrettable série noire s’est poursuivie mercredi passé au Lycée Bilingue de Foumbot où plusieurs personnels ont été violemment agressés dans le campus. Devant ces derniers cas, nous tenons à témoigner notre sollicitude aux autorités administratives, policières et judiciaire sans toutefois oublier notre hiérarchie. Monsieur le Préfet, chères autorités, une mauvaise herbe semble de plus en plus s’épanouir et de façon insolente dans nos campus scolaires, menaçant profondément l’institution éducation dans le Noun. Vous sachant attachés à l’orthodoxie républicaine, nous savons que vous continuerez de prendre les bonnes décisions permettant de reculer sans cesse les frontières de l’analphabétisme dans le Noun.
En bref, c’est sans doute une telle atmosphère que nous décrivons depuis peu, qui justifie les nombreux décrochages professionnels des jeunes enseignants vers de nouveaux horizons. Ceci creuse sans cesse le déficit au plan national. Ils sont des milliers à avoir quitté leurs postes de travail juste après quelques années pour aller au Gabon, en Guinée ou encore au Canada. A coté de ces cas, il faut noter que la moitié des enseignants formés au Cameroun exerce dans les ministères autres que le MINESEC et le MINEDUB. Voilà donc mesdames et messieurs le sens à donner à ce thème.
L’on évalue à environ 100 milles le besoin nécessaire pour résorber le déficit d’enseignants aujourd’hui au primaire et au secondaire. Il est de plus en plus difficile de recruter et de former en nombre des enseignants de vocation, et il est tout aussi difficile de garder longtemps en fonction ceux qui exercent. Les chiffres de démissions augmentent partout dans le monde et particulièrement chez les jeunes enseignants du Cameroun. Comme nous le Savons tous, la grande majorité des enseignants continue d’exercer leur métier dans des conditions de vie et de travail particulièrement précaires, inacceptables voire dégradantes. Ces conditions sont entre autres les contrats de travail inadaptés, les formations initiales et continues lacunaires et insuffisantes, une absence de considération sociale, des promotions sans aucun rapport avec les profils de carrière, des salaires sans aucun rapport avec le coût de la vie. Pour ce dernier cas particulièrement, nous tenons à dénoncer le traitement cruel auquel sont soumis les milliers d’enseignants vacataires dans nos lycées et collèges pire encore est le traitement des maîtres des parents de nos écoles primaires.
Rompus à la tache, leur pauvre pitance dépend très souvent de l’humeur du proviseur, du directeur ou des tous puissants présidents des APEE. Etienne de la Boétie dans son discours sur la servitude affirmait que « l’on ne peut tenir aucun être en servitude sans lui faire du tort : il n’y a rien de plus contraire à la nature, toute raisonnable que l’injustice ». Cela dit, le traitement vicieux et vicié du personnel non fonctionnaire de l’éducation est tout à fait contraire à cette recommandation du 5 octobre 1966 qui dit en son article 60 : « Les enseignants qui ont un service régulier à temps partiel devraient:
a) Recevoir proportionnellement la même rémunération et béné¿cier pour l’essentiel des mêmes conditions d’emploi que les enseignants à plein temps;
b) Jouir de droits correspondant à ceux des enseignants à plein temps, sous réserve de l’application des mêmes règles, en matière de congés payés, de congés de maladie et de congés de maternité;
c) Bénéficier d’une protection adéquate et appropriée en matière de sécurité sociale, y compris des régimes de pensions servies par les employeurs ».
Pour le cas des APEE mentionnées il y a peu, nous tenons à féliciter Monsieur le Sous-préfet de l’arrondissement de Foumban qui a commencé un exercice périlleux d’assainissement de ses organisations qui ponctionnent indéfiniment des pauvres ressources limitées des parents sans jamais proposer un service proportionnel aux sacrifices ; et fonctionnant tout bonnement comme des groupuscules maffieux.
C’est donc cet environnement stressant, violent, managé avec inhumanité et surtout en toute opacité qui décourage les nouvelles recrues, et qui empêchera à coup sûr le Cameroun d’être présent au Rendez-vous de l’agenda 2030.
Mais alors, au bout de ce diagnostic, quelle est la part des enseignants et surtout des jeunes enseignants dans la situation actuelle ? Rassurons-nous que l’enseignant n’est pas exempte de toutes reproches ici. Pour illustrer le comportement des jeunes enseignants ou tout simplement des enseignants d’aujourd’hui, je vais convoquer une sagesse que j’ai trouvée dans un ouvrage que j’ai récemment consulté et que je partage avec vous :
Les hommes nés sous le joug, puis nourris et élevés dans la servitude, sans regarder plus avant, se contentent de vivre comme ils sont nés et ne pensent point avoir d’autres biens ni d’autres droits que ceux qu’ils ont trouvés ; ils prennent pour leur état de nature l’état de leur naissance.
Toutefois il n’est pas d’héritier, même prodigue ou nonchalant, qui ne porte un jour les yeux sur les registres de son père pour voir s’il jouit de tous les droits de sa succession et si l’on n’a rien entrepris contre lui ou contre son prédécesseur.
Sinon chers enseignants, chers collègues, si nous consultions le testament à nous léguer par nos dignes devanciers dans la profession, nous allions découvrir qu’il fut un temps où les enseignants avaient des salaires de 500 milles francs et plus : c’était de la motivation, qu’ils recevaient des billets d’avions pour rejoindre le nord-Cameroun ou pour quitter ce Nord-Cameroun : c’était de la considération, qu’ils n’étaient pas obligés de payer les pourcentages pour rentrer dans leurs droits statutaires : c’était la justice, qu’ils roulaient pour la plupart dans la très célèbre 504 : c’était de l’estime de soi, qu’ils étaient enviés par d’autres corps socioprofessionnels : c’est de l’histoire et beaucoup d’eau aujourd’hui a coulé sous le pont.
Chers collègues, tous ces acquis qui se sont amenuisés peu à peu, pour nous proposer le visage hideux et répugnant que nous avons de cette profession aujourd’hui étaient le fruit de la considération nationale, de l’engagement fort de nos prédécesseurs dans l’action militante, dans l’action syndicale.
C’est donc ici Chers collègues, chers enseignants, un appel à la prise de conscience, à l’engagement, à l’union. Prise de conscience de nos responsabilités mais également de nos droits oubliés. Engagement à exceller, à donner le meilleur de nous pour notre pays, mais aussi à nous battre debout pour que nos sacrifices soient reconnus à leur juste valeur. C’est pourquoi nous saluons tous les valeureux récipiendaires des Palmes académiques de ce jour. Nous demandons en même temps que celles-ci soient dorénavant prises en compte pour leur promotion. Nous voulons cependant préciser que c’est à l’aune de la valeur que nous, enseignants, accorderons à nous-mêmes, que la société fixera la liberté ou le prix qu’elle nous accorde. Mettons la barre très haute, consentons les sacrifices qu’il faut pour l’y maintenir. Ayons le courage de rejoindre les syndicats. Tout autre choix, quoi qu’on dise pour le justifier, ne peut être que fuite en avant et lâcheté. Donc, rejoignons en masse les syndicats et exigeons :
- x Que les textes transmis au Président de la République dans le cadre des dernières négociations soient signés ;
- x Que le processus de mise en œuvre de la convention collective de l’enseignement privé soit mené à son terme ;
- x Que des négociations franches soient engagées avec les syndicats sur les innombrables maux qui continuent de miner la profession d’enseignant ;
- x Que le forum sur l’éducation promis depuis bientôt une décennie à la communauté éducative soit organisé pour remettre de l’ordre dans notre système éducatif.
Je ne saurais terminer sans féliciter la convocation du Grand Dialogue National par le Président de la République, nous osons croire que le casting des acteurs a été le judicieux et inclusif, que les débats ont été francs, sincères et que les résolutions prises à l’issue de la rencontre seront implémentées avec célérité pour un retour prochain de la paix et de l’école sereine au Cameroun.
Je vais aussi me permettre une digression en évoquant un sujet non moins important qui me tient à cœur en tant que géographe et activiste. Monsieur le Préfet du Département, Monsieur le Sous Préfet, Monsieur Délégué de l’environnement, la nature, la végétation violemment agressée depuis un certain temps dans le département du Noun vous appelle urgemment au secours. Tendez l’oreille et écoutez cette nature qui se lamente terriblement. C’est notre attitude et nos rapports à la nature aujourd’hui qui détermineront les crises ou la paix de demain.
Vive la Journée Mondiale des enseignants !
Vive le Cameroun uni et indivisible !
Je vous remercie