Camarades, collègues,
Envisageant la reprise de l’école le 1er juin 2020 dans le contexte d’une pandémie à la Covid-19 en pleine phase d’expansion, – 10638 testés positifs, 7548 guéris, 282 décédés à ce jour – nous avions essayé d’anticiper les défis à relever pour guider les décideurs. Et comme souvent, ce sont les défis matériels qui avaient le plus retenu l’attention de tous, masquant ceux, beaucoup moins aisés à relever, qui sont immatériels et que constitue le facteur humain.
Matériellement, il était obligatoire de désinfecter les campus scolaires, de pourvoir les acteurs de l’école en masques et outils non souillés, en solutions et gels hydro alcooliques. Matériellement aussi, il fallait équiper les campus en points d’eau coulante et en savon, en toutes sortes de détergents ; il fallait y réorganiser l’espace pédagogique et ludique sur des normes de distanciation sociale établies et validées au départ, prévoir des thermos-flashes pour la riposte préventive au seuil des campus. En clair, une simple combinaison de l’arithmétique et de la géométrie.
Ce volet est en train de se mettre en place, progressivement, surmontant comme il peut les difficultés de la centralisation, d’une centralisation parfois excessive, mais c’est dans l’ADN de la République. La solidarité nationale et internationale est aussi en train d’aider à surmonter ce défi matériel : l’UNICEF, l’OMS, les pays « amis », les grandes entreprises nationales, les collectivités décentralisées, les élites locales, la diaspora, toute une chaîne est en train de se mobiliser et son action produit déjà des résultats. Il ne faut donc pas faire la fine bouche. Il reste à veiller à ce que les moyens ainsi déployés soient effectivement mis au service de la cause, chaque jour et sur la durée. Les campus scolaires, en majorité, ne sont désinfectés qu’une fois par semaine jusqu’ici : c’est trop peu ; les masques reçus ne sont pas toujours mais à la disposition des enseignants et certains chefs d’établissements les réservent à leur personnel administratif : c’est égoïste et irresponsable. Certains seaux et fûts à robinets manquent régulièrement d’eau et servent davantage de décor : c’est comique, ridicule et finalement tragique.
Sur le terrain de lutte, une fois franchi le cap du matériel, des défis immatériels ont surgi, et on les découvre cyclopéens. Le facteur humain, comme on le sait depuis Thilbault le Texier, renvoie au taylorisme et donc en partie aux théories du comportement dont fait partie le behaviorisme. Formatés pour un système libéral et même ultralibéral dans lequel le laisser-faire a ouvert les portes à la permissivité c’est-à-dire au « laisser-tout-faire », notre école aura bien du mal à reformater ses acteurs au respect des mesures anti-coronavirus. Mais il faut le souligner, le « laisser-tout-faire », malgré les apparences, n’est pas une philosophie de la liberté, mais plus exactement de l’anarchie organisée, donc de la destruction de masse. Et celle-ci fonctionne plutôt bien en milieu scolaire aujourd’hui.
La plupart des élèves portent mal les masques, les enlèvent à la moindre occasion, se rient de la distanciation sociale. Mais c’est souvent par défi à la règle. Quelques enseignants, ici et là, leur donnent raison et vont parfois jusqu’à les y encourager. Ils pensent défendre la liberté contre les attaques de l’ordre établi, mais au fond, ils se font auxiliaires d’un ordre profond pour lequel la seule règle valable, c’est l’absence de règles. On n’a eu de cesse de dire à cette jeunesse qu’elle n’est pas une population à risque. Et comme l’on a tué en lui l’esprit de sacrifice en amont, pourquoi se contraindrait-elle pour protéger une société de vieux qui pense d’ordinaire si peu à la jeunesse ? Pendant que des agents habillés comme des cosmonautes désinfectent les espaces publics, nous demandons aux jeunes de balayer et laver des salles de classes sans gants ! Une société de vieux où d’ordinaire chacun pense si peu à son prochain ! Les cantines fermées sur les campus scolaires ont vite été remplacées par des tournedos autour desdits campus. Que de turpitudes !
Et justement, nos turpitudes séniles risquent fort de nous rattraper d’ici le mois d’octobre… Les pénuries d’enseignants, les pénuries permanentes et récurrentes d’infrastructures et d’équipement, la mode si bien installée des effectifs invariablement pléthoriques d’année en année… voilà les places fortes à prendre pour assurer la prochaine rentrée scolaire. Qui n’a expérimenté ces derniers temps la beauté et, j’en suis sûr, l’efficacité des classes à 24 élèves, ne sait pas ce qu’il a perdu. Croyez-moi, après cet intermède enchanteur, irréel, le retour à la réalité pourrait se révéler bouleversant, brutal, violent, frustrant, stressant…dans des classes à 80, 100, 120 élèves. L’après-covid-19 ne pourrait pas ressembler à l’avant sans être proprement insupportable. Il est temps d’y penser maintenant.
Un pour tous, tous pour un !
Yaoundé le 19 Juin 2020
Le Secrétaire Général
Roger KAFFO FOKOU