Entre crise sanitaire et crise sécuritaire : la marge étroite !

Engagée sur fond de crise sanitaire en raison de la pandémie du Covid-19, la rentrée scolaire 2020-2021 est également durement marquée du sceau de la crise sécuritaire au Cameroun.

Au plan sanitaire, les établissements scolaires, avec l’appui des autorités de l’Etat, des Organisations Internationales, des collectivités locales et des bonnes volontés se battent pour mettre à disposition les moyens matériels de lutte contre la propagation du virus. Une cellule d’accompagnement psycho sociologique est également en train de se mettre en place. On verra bien quels seront ses moyens d’action et son efficacité en temps opportun. Mais la société, désinvolte quant à l’application des mesures barrière, risque fort de contaminer l’école par son mauvais exemple. Pour être le laboratoire de la société de demain, l’école doit être protégée des maux de celle d’aujourd’hui, et ce n’est certes plus le cas pour notre école. Une révolution de la gouvernance scolaire devra se faire dans ce sens.

Au plan sécuritaire, deux zones constituent, malgré de légères améliorations dues à un début de reprise en main certes fragile mais bien réel, des foyers d’insécurité générateurs de grandes tensions.

Dans l’Extrême-Nord, le Mayo Sava et le Mayo Tsanaga   sont toujours difficiles et dangereux. Les populations dans les localités de Tourou et de Mozogo dans le Mayo Tsanaga restent traumatisées par les incursions meurtrières des bandes de Boko Haram malgré la présence militaire de l’Etat. Une psychose s’est développée dans ces zones perdues souvent sans routes dignes de ce nom, sans infrastructures minimales de santé a fortiori de confort, où une situation d’urgence est plus souvent là-bas qu’ailleurs une situation mortelle. L’école n’est pas forcément la priorité des populations dans ces lieux où la vie, intrinsèquement, devient plus précieuse que l’éducation en dépit du droit à l’éducation. On y voit, quelquefois, des enseignants exercer en gilets pare-balles, ou des éléments de la brigade d’intervention rapide (BIR) jouer aux instituteurs de substitution, mais tout cela, on le devine, ne peut être que marginal. La règle là-bas, c’est encore et toujours l’absence d’une véritable protection pour les enseignants une fois sorti des grands centres urbains. En dernière analyse cependant, c’est la population scolaire qui est la plus pénalisée : la refonte de la carte scolaire y a laissé une belle proportion de celle-ci en cours de route ; l’assiduité erratique des enseignants y impacte durement la qualité des prestations, la désertion d’un grand nombre d’enseignants y a saigné les effectifs à blanc. La région se recroqueville au fond des classements de presque tous les examens des récentes sessions.

Dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, de nombreuses zones vertes commencent à faire leur apparition sur la carte du sinistre quasi uniforme d’hier. Plus d’établissements scolaires sont en train de rouvrir, plus d’élèves reprennent le chemin de l’école. C’est une dynamique positive et encourageante, mais qui a besoin d’une bonne stratégie de consolidation. Ces zones vertes, éparses, sont souvent enceintes de vastes arrière-pays qui demeurent des lacs d’insécurité. Wum dans le Nord-Ouest ou Fontem dans le Sud-Ouest sont plus vivables qu’il y a un an mais pour les relier à Bamenda, à Buea ou à Dschang, il faut une escorte fortement armée, dont tout le monde ne bénéficie pas ou pas tout le temps.

Les enseignants opérant dans ces zones ont enduré des années de stress et beaucoup sont plus traumatisés, intérieurement abîmés qu’on ne pourrait le soupçonner.  L’administration fait des efforts pour les escorter à leurs postes depuis cette rentrée scolaire, dans le cadre de convois militarisés organisés exprès. Il demeure de grandes réticences de la part des plus traumatisés, ou des plus pusillanimes, ou simplement des plus calculateurs. Ces réticences ne sont pas toujours infondées, puisque la garantie à l’entrée n’implique pas une garantie à la sortie. Il ne faut surtout pas qu’en situation d’extrême urgence, ces zones vertes ne deviennent des pièges mortels, des prisons de haute sécurité. Les enseignants doivent être rassurés sur cette préoccupation, et nous devons continuer à les encourager, à les motiver. Nous devons le leur rappeler puisqu’ils le savent, que le droit à l’éducation doit être plus sacré pour l’enseignant que pour quiconque d’autre : c’est ce droit qui fonde sur un socle inébranlable la place centrale de l’enseignement comme profession dans les sociétés humaines. C’est pourquoi le SNAES invite les enseignants de l’Extrême-Nord et du NOSO à ne pas relâcher les efforts et les sacrifices consentis jusqu’ici, même si le prix payé a été jusqu’ici peu reconnu. Le cas français encore frais dans les mémoires du collègue Samuel Paty interpelle notre République. Mais Oui, collègues, dans cette longue nuit que traversent ces régions sinistrées de notre pays où le sort a voulu vous jeter, l’étincelle qui y ramènera de la lumière demain sachez-le, pensez-y, ne viendra pas des soldats et chefs de guerre, ni de leurs hiérarchies diverses, mais de vous, car c’est dans l’esprit des hommes que naissent les guerres et c’est aussi là-bas qu’il faut les éteindre si l’on veut être efficace.

Nous avons cependant dit au gouvernement notre approche de la sanction pour ceux qui sont incapable de mourir pour la République, qui refusent de porter le drapeau des « éducateurs sans frontières » en zones de conflits. Il est vrai, la sanction, surtout quand elle emprunte le visage répressif (suspension de salaire par exemple) est une forme de motivation ; appliquée avec discernement, elle rend justice à ceux qui assument leurs responsabilités. Mais la justice doit s’efforcer d’être véritablement juste quand elle se déploie. Sinon, gare à ses effets pervers. Il suffit de penser au nombre d’enseignants qui changent de ministères chaque année. Pour être juste, le service en zones de conflits, de guerre, ne saurait être permanent pour quelques-uns exclusivement. Dans l’armée, c’est un principe bien établi que celui de relever les troupes au front à échéances périodiques. Dans l’éducation, certains enseignants sont dans ces zones d’extrême insécurité depuis des années : il faut songer à les y relever, à faire roter les troupes, pour que chacun prenne sa juste part des sacrifices consentis au nom de la République.

Le Secrétaire Général

Roger KAFFO FOKOU