Sept mois de vacances, Covid-19, double flux, insécurité : peut-on sauver l’année scolaire 2020-2021 au Cameroun ?

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  • De trop longues vacances peuvent-elles baisser le niveau des élèves?

Roger Kaffo Fokou : En principe, les vacances sont un moment de répit entre deux plages d’apprentissage où l’apprenant a traversé une certaine dose de tension (vouloir-être), fourni un volume important d’effort pour exploiter des matériaux divers afin de conquérir des savoirs, construire des compétences qui sont des savoir-faire mais idéalement également des savoir-être. Il faut rappeler que, généralement, ces vacances ont une durée variable entre deux et trois mois pour les élèves selon qu’ils sont dans une classe intermédiaire ou d’examens. Considérées comme un moment de décompression, elles permettent à l’élève de faire autre chose que ce qui l’a occupé pendant l’année, de s’amuser, de s’ennuyer même un peu, ce qui lui permet de se creuser les méninges et cela peut être positif pour l’imagination donc pour l’innovation, la créativité. Selon les scientifiques, les vacances entrainent une perte d’acquisition de l’année précédente d’environ un mois. Le niveau de ces pertes serait inégal en fonction des domaines et de l’origine sociale. Ainsi, en langue, ces pertes peuvent aller jusqu’à trois quatre mois, plus accusées pour les enfants des classes populaires, surtout chez ceux qui ont une langue d’éducation différente de celle parlée à domicile.  On comprend donc que lorsque les vacances passent de trois à sept mois, le niveau des pertes d’acquisitions scolaires peut devenir véritablement problématique.

  • Comment?

Roger Kaffo Fokou : Nous savons que pour beaucoup de parents, les vacances sont surtout un moment de repos  et de distraction, d’amusement. En fonction des ressources des parents, ces distractions peuvent être connectées à, ou entièrement déconnectées de l’école. C’est ici qu’interviennent les inégalités de classes sociales. Jean-Paul Sartre avait la riche bibliothèque de son grand-père dans laquelle il passait ses loisirs et est devenu écrivain et philosophe. D’autres ont l’entreprise parentale et en ressortent à la fin des vacances nantis de compétences en gestion, techniques diverses, qu’ils réinvestissent avec profit dans leurs études. D’autres n’ont que des terrains vagues ou la brousse et les oiseaux, et cela fait tout un monde de différences. Pendant que certains entretiennent, même indirectement un savoir et des compétences qui conservent un certain lien avec les contenus d’éducation, maintiennent l’intelligence en éveil, d’autres sont complètement coupés de l’univers d’apprentissage pendant la durée des vacances et en reviennent complètement lessivés, comme des pages blanchies.

  • Ce passage à vide dure-t-il longtemps?

Roger Kaffo Fokou : Vous avez raison, cela crée des passages à vide. Nous avons parlé d’à peu près un mois de perte d’acquisition pour des vacances normalement longues. A la rentrée, l’école doit être consciente de ce phénomène pour pouvoir le prendre en charge dans le cadre de sa programmation. Sinon, on considère ces vides comme des préacquis et non des prérequis.  Vous savez, les acquis d’une année scolaire sont des fondations pour les apprentissages de l’année d’après. Si ces acquis n’existent pas ou sont lacunaires, il faut les combler, sinon, les lacunes pris en compte dans l’édifice vont imposer d’autres lacunes. C’est comme en maçonnerie : vous ne pouvez poser une nouvelle brique que sur une brique déjà posée ; là où vous trouvez un vide, soit vous le comblez, soit vous agrandissez le vide. Et plus ce phénomène s’accumule, plus il devient difficile de le corriger. Et vous savez, les élèves qui accumulent des lacunes au long de leur parcours voient celui-ci abrégé pour certains (déperditions scolaires), ou leurs performances s’étioler (Mozarts assassinés).

  • Comment y remédier?

Roger Kaffo Fokou :  Il y a d’abord la question du “qui?”. D’un côté l’institution scolaire, de l’autre le parent, chacun avec ses moyens.  Pour l’institution scolaire, la première solution consisterait à allonger l’année scolaire. Selon les pays, la durée de l’année scolaire est d’ailleurs variable : elle serait de 32,4 semaines en France, 36,4 en Belgique, et jusqu’à 48 semaines au Japon.  La deuxième solution serait de rééquilibrer les rythmes scolaires en raccourcissant  les vacances scolaires au profit des congés de Noël et de Pâques.  La troisième serait d’investir dans des classes de remédiation pendant les vacances dites d’été. Du côté des parents,  ils doivent organiser les vacances de leurs enfants de manière à y programmer des activités qui, sans occuper entièrement le loisir de ces derniers, permettent de mobiliser des savoirs et des savoir-faire en rapport avec les apprentissages scolaires, soit directement, soit indirectement : lectures, visites de bibliothèques, de musées, spectacles de théâtres, stages en entreprises, etc.

  • Quels conseils pratiques aux élèves et aux parents en panique?

Roger Kaffo Fokou : Cette année spécialement, les élèves vont démarrer avec d’importantes lacunes, de l’ordre de deux à trois mois de perte d’acquisitions sur l’année précédente.  Le contexte de la covid-19 va les aggraver. En effet, loin de favoriser un rattrapage, il va imposer de nouvelles restrictions de calendrier. Déjà l’année scolaire commence avec un mois de retard. Dans les établissements à doubles flux, il y aura perte de 2h à 2h 30 mn de temps d’enseignement pas semaine. Les enseignants vont se sentir obligés d’aller vite, souvent à l’essentiel. Plus que jamais, les élèves doivent être très attentifs et concentrés pendant les cours : ce qu’ils n’auront pas compris pendant le déroulement de la leçon, ils pourraient ne plus avoir la possibilité de le comprendre : ils n’auront pas le temps à domicile, l’enseignant n’aura pas le loisir d’y revenir. Les parents qui le peuvent doivent faire accompagner leurs enfants mais sur la base de leurs problèmes réels et non supposés. Pour cela, ils pourraient faire établir un diagnostic là-dessus soit par le conseiller d’orientation, soit par le professeur principal de la classe.