LA FRANCE, LA FRANCOPHONIE, LES FRANÇAIS ET LES FRANCOPHONES : quelles intersections pour demain ?

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La francophonie soucieuse de son devenir : en tant qu’institution, ou en tant qu’espace francophone ? Difficile à dire. Ce n’est plus vraiment un espace seulement francophone depuis des années. Certains y viennent apprendre le français, ce qui n’est pas du tout un problème. Mais est-ce une solution et pour qui ? Ils n’y prennent la place de personne, personne n’y ayant une place à soi. Pour beaucoup, la francophonie est devenue au fil des années un club de politiciens, souvent clairement ou secrètement, discrètement aussi, au service de la France. La France s’est habituée à y distribuer des strapontins, en fonction de sa vision personnelle de l’organisation, et bien sûr de ses intérêts. Qu’en pense-t-on sur d’autres continents ? Parce que la francophonie est multicontinentale.

En Afrique, le plus grand réservoir francophone d’aujourd’hui et plus encore de demain, les peuples parlent le français d’Afrique – qui n’existe pas parce que chaque pays a le sien mais on s’est habitué à voir l’Afrique comme un pays – et sans doute pour eux la francophonie positive ne va plus loin. Certains, par désespoir, continuent à nourrir le rêve de France, mais beaucoup l’ont perdu ou sont en train de le perdre. La France officielle n’a pas peu contribué à ce résultat, et peut-être n’a-t-elle pas eu le choix, à partir du moment où elle a choisi d’initier ou de poursuivre une certaine politique de la France en Afrique. On ne peut pas toujours avoir le beurre et l’argent du beurre. Beaucoup de francophones d’Afrique, jeunes et moins jeunes, ont aujourd’hui une certaine idée de la France, qui  peut être exécrable, en partie à tort il est vrai. Les mentalités sont à décoloniser des deux côtés de la ligne imaginaire de démarcation. Mais seule la sincérité, je ne dis pas la vérité, pourra y aider.

La francophonie institutionnelle, elle, veut bien s’attaquer au problème. Et elle choisit de s’orienter vers la jeunesse. Choix tactique indéniablement lucide. Faut-il dire qu’elle veut s’en prendre ou s’attaquer aux jeunes francophones d’Afrique ? Ce serait sans doute trop dramatique : l’appel ne cible pas spécialement les Africains. Mais il est connu que parfois la fiction dépasse la réalité, et que d’autres fois c’est l’inverse qui se produit. Voici donc un appel que l’institution francophone officielle lance en direction des jeunes francophones :

« L’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) a procédé au lancement  d’une grande consultation des jeunes de l’espace francophone sur plusieurs thématiques, visant à recueillir les points de vue des jeunes, leurs aspirations et leur vision de la Francophonie de demain. L’objectif est de 1) Déterminer et évaluer le sentiment d’appartenance des jeunes à l’espace francophone pour mieux s’adresser à eux ; 2) Placer la jeunesse au cœur de la réflexion et de l’action de la Francophonie en prenant en compte leurs réelles préoccupations ; et 3) Dégager des domaines d’interventions qui devront être prioritaires pour l’OIF en matière de jeunesse.

« Comme vous le constatez, toute préoccupation peut être abordée. Si vous travaillez avec des jeunes, n’hésitez pas à suivre le lien https://consultation-jeunesse-francophonie.org/?fbclid=IwAR2RWHQu0ATqOUften4GWrj-cBIWMpnzlHGakIJH0h6Y-NnCgEAT-K9xWWw

« Vous y trouverez toutes les informations nécessaires pour la participation des jeunes avec lesquels vous travaillez. Ceci peut par ailleurs être une opportunité d’échanger sur l’état des systèmes éducatifs dans les pays francophones avec à la clé des solutions concrètes à proposer. De tels problématiques portés par les jeunes seront sans conteste, placés au centre de l’action de la Francophonie.

Dès aujourd’hui, les jeunes peuvent participer à la consultation en se connectant à la plateforme www.consultation-jeunesse-francophonie.org  jusqau’au 17 juillet 2020.

« La consultation est organisée en 3 grandes phases : (1) jusqu’au 17 juin : Les jeunes seront invités à partager leurs préoccupations et leurs attentes, ainsi qu’à réagir par rapport à celles des autres ; (2) A partir du 17 juin, les jeunes seront incités à proposer des solutions en faveur de la jeunesse francophone et à débattre sur les moyens pour les mettre en œuvre ; (3) À partir du 8 juillet, les jeunes pourront voter pour les projets qui les ont le plus convaincus. »

En bon francophone, nous voulons bien relayer cet appel, mais en exerçant notre droit de réserve. Cette réserve, nous l’avons adressée à l’organisation qui nous a relayé l’appel de la francophonie, mais elle aurait aussi bien pu être adressée à l’OIF même. En voici le texte :

« Expliquez-moi bien cette affaire de jeunes francophones. La politisation de la francophonie au service des intérêts bien compris, peut-être pas exclusifs mais bien compris de la France nous gêne quelque peu. Il suffit de partir de la récente “nomination” de l’ex-ministre des affaires étrangères rwandaise à la tête de la francophonie. Vous savez que le Rwanda n’est vraiment plus un pays francophone, n’est-ce pas? Vous savez que même pour aller en France c’est plus facile pour les francophones d’Afrique de prendre un visa chez les Belges, les Allemands ou les Hollandais? Dans son dernier rapport sur la situation de la France vis-à-vis de l’Afrique, l’AN française a préconisé un certain nombre de mesures de rapprochement. Si ce processus n’est pas conduit de manière transparente, alors il sera difficile de le considérer comme sincère. Or il me semble que le choix actuel, qui cible les jeunes avec l’ambition de les sonder, emprunte aux techniques bien connues de manipulation et privilégie les zones de vulnérabilité. Les Français ne se considèrent pas généralement comme des francophones mais comme des “français” tout court. Les autres dont nous autres, qui sommes des “francophones” à n’en pas douter mais entre autres, ne sommes pas des ennemis de la France. Il ne faut donc pas appliquer à nos relations L’Art de la guerre de Sun Tzu. Nous ne sommes pas des ennemis de la France parce que nous savons que la France ne se réduit pas à ses coloniaux et à ses néocoloniaux. Ces derniers ne doivent pas toujours s’évertuer à pourrir les relations entre le peuple français et les peuples francophones avec leurs petits calculs souvent mesquins. Ils finissent par installer en francophonie une certaine idée de la France qui n’est pas dans l’intérêt de la France. Les francophones ne sont pas, ne veulent pas être des outils pour la France: ils veulent être des partenaires, peut-être pas à égalité – je ne suis pas naïf sur les relations internationales – mais en tout cas, ils méritent qu’on ne les prenne pas pour des imbéciles. C’est ce qu’on fait quand on pense pour eux sans eux, quand on trafique dans leur dos avec cet implicite qu’ils ne vont rien y comprendre, qu’on se sert d’organisations qu’ils créent ou auxquelles ils adhèrent pour faire avancer des agendas non consensuels et j’en passe. Cela ne dérange pas la plupart de ceux qu’une certaine France a cooptés ou soutient pour caporaliser l’espace francophone africain, ces prolongements locaux de la néocolonie, mais cela dérange de plus en plus les peuples francophones au-delà même de leurs intellectuels, que la francophonie officielle se garde bien de promouvoir. Mais là n’est pas le sujet, j’en conviens, parce que la francophonie pour l’instant n’est qu’une idée très française, qui se vend assez mal parce que, entre autres, le contrat de vente y est un contrat d’adhésion et non de négociation.

Roger Kaffo Fokou