PERTES D’APPRENTISSAGE COVID-19 : un problème latent et lourd de conséquences auquel notre école devra faire face.

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Il faut le savoir, nos élèves après 7 mois d’interruption de cours due au COVID-19 auront besoin de 3 à 9 mois de remise à niveau dans des conditions normales de cours, afin de retrouver leur niveau du 17 Mars 2020, niveau faut-il le rappeler, déjà incomplet. Trouverons-nous le temps et les moyens pour y parvenir ?

En effet, si on se réfère aux recherches en la matière, notamment celles menées par Cooper et al.(1996) sur la perte d’apprentissage estivale et celles de la prestigieuse organisation NWEA (étude 2015 MAP Growth standard), les faits sont sans appel : privés d’école, les apprenants accuseront des pertes prononcées d’acquis en connaissances factuelles et procédurales construits lors de l’année scolaire 2019/2020.

Ce problème qui se pose donc avec acuité requiert une réponse proportionnelle. Les élèves des classes intermédiaires qui traversent actuellement 7 mois d’interruption de cours perdront selon les estimations en cohérence avec ces recherches et le contexte scolaire actuel, de 58 à 109% des apprentissages linguistiques et de 85,7 à 141,21% des apprentissages mathématiques. Ceci correspond à des périodes estimées entre 3 à 7 mois de cours en ce qui concerne les apprentissages du premier type et de 7 à 9 mois de cours en ce qui concerne le second type. Finalement, il semble que de la moitié à plus de la totalité des enseignements effectués cette année risquent d’être annihilés du background des élèves, d’autant plus que nous savons que dans la pratique, les enseignements au Cameroun sont encore plus orientés vers les savoirs factuels et procéduraux que vers les compétences.

Pour le dire plus simplement par extrapolation et en minorant les pertes d’apprentissage, les enseignants qui vont tenir par exemple les classes de 3ème auront face à eux des élèves avec en moyenne des acquis scolaires équivalents à ceux des élèves du niveau de classe de 5ème + la première séquence de 4ème(en situation normale). Le gap est donc sérieux du fait de cette perte d’apprentissage.

Il serait important de savoir pourquoi la qualité et l’interruption des cours sont susceptibles de provoquer l’extinction des connaissances en jeu.

D’abord Parlons de la qualité des cours. D’après la structure de la mémoire révélée par Robert Gagné, seuls les savoirs qui atteignent la mémoire à long terme sont susceptibles d’y rester définitivement. Mais encore, ces savoirs pour être utiles et utilisables par l’élève doivent être organisés en réseaux cohérents, personnalisés, codifiés, décodables et compréhensibles pour être sollicités et mis en œuvre face à un problème donné. Les savoirs pour être structurés comme tels doivent, selon Gerard Vergnaux, quitter du stade des savoirs sous leurs formes explicites pour atteindre le stade d’invariants opératoires puis de schèmes, pour constituer un élément de compétence ou une compétence. Les cours, pour permettre aux élèves de réaliser des apprentissages qui s’inscrivent dans ce processus et qui atteignent un niveau solide d’ancrage dans le registre des aptitudes, doivent impérativement poursuivre pour but la construction de compétences définies comme étant un ensemble stabilisé de savoirs et de savoir-faire, de conduites-types, de procédures standards, de types de raisonnement que l’on peut mettre en œuvre avec succès pour résoudre un problème donné, sans apprentissage nouveau. Plus un cours a pour cible d’induire chez les apprenants des connaissances opératoires (conditionnelles), en plus de celles procédurales et déclaratives (factuelles et conceptuelles), plus il a de la chance d’asseoir des acquis inaltérables dans le temps, dans les registres de la mémoire.

D’ailleurs, un apprentissage qui se perd en était-il vraiment un ? Etait-il au point ? Ou plutôt ne s’agissait-il pas que d’un processus inachevé ? Car, un savoir ou un savoir-faire qui ne s’est pas fixé en mémoire à long terme ou qui n’a pas franchi le cap de la secondarisation, qui n’a pas été correctement encodé, compris, personnalisé et constitué en ressources dans le répertoire cognitif de l’apprenant, ne constitue pas un apprentissage.

Qu’en est-il de l’interruption des cours ? Nous le savons, il existe des compétences à développer à l’école qui requièrent plusieurs étapes et plusieurs années pour être au point, c’est d’ailleurs pour cela que le processus d’apprentissage dispose d’un temps d’assimilation ou d’accommodation à la nouveauté, un moment d’entrainement, d’autorégulations des savoirs qui alternent essais/erreurs de transfert et transfert effectif des acquis. Ce processus qui est une condition nécessaire à l’apprentissage, doit absolument être maintenu dans une temporalité relativement continue et progressive, pour ne souffrir d’aucune rupture importante susceptible de l’annuler complètement. C’est dans ce cadre que l’extinction des acquis préalable à l’apprentissage peut survenir.

Pour remédier à l’interruption de cours due au COVID-19, plusieurs tentatives ont été mises en œuvre soit par les responsables en charge de l’éducation au Cameroun, soit par les parents via des activités de soutien scolaire avec pour but de maintenir la continuité dans les enseignements. Cependant, ces tentatives n’ont visiblement pas réussi à combler le vide des pratiques pédagogiques à l’école, puisque pour aborder les examens de fin d’année, le gouvernement a décidé de la reprise des cours malgré le risque sanitaire évident, pour préparer les élèves. Preuve s’il en fallait encore, que les moyens alternatifs ont été jugés inefficaces. Tous ces moyens alternatifs présentaient des limites notoires, bien au-delà de leurs caractères exclusifs, ils étaient marqués par un accent excessif sur l’enseignement au détriment de l’apprentissage, caractérisé par l’absence ou une insuffisance de feedback, de contrat didactique et pédagogique, de socio-construction, d’itération dans l’apprentissage, de transfert et surtout d’expérience régulée d’essai-erreur pour apprendre.

Le vin est tiré et servi paraît-il, mais faut-il boire le calice jusqu’à la lie ?

 Il ne nous reste que trois mois avant la date fatidique de la rentrée scolaire prévue en Octobre. Bien que les programmes d’étude soient conçus de manière à permettre à la fois : une excursion dans les pré-acquis avec la possibilité d’y remédier en cas de défaillance et, une continuité dans les leçons permettant d’échelonner les difficultés de façon à asseoir plus solidement certains acquis d’une classe à une autre, ces programmes, sans aménagements sérieux, ne pourront pas compenser les affres de ces pertes de 3 à 9 mois d’apprentissage COVID-19 accumulées.

Cet aspect psychopédagogique de la crise COVID qui s’ajoute aux défis sanitaires n’est pas des moindres et devrait par conséquent mériter un traitement particulier des ministères en charge de l’éducation. Des mesures conséquentes sont donc attendues pour continuer malgré tout à assurer une éducation de qualité et ceci passerait nécessairement par une amélioration des pratiques pédagogiques, un réaménagement du calendrier scolaire et des horaires de cours pour laisser plus de place à la régulation rétroactive. L’éducation est le levier sur lequel une nation compte pour se développer, même face au COVID-19, nous nous devons de tenir bon.

Roland ASSOAH,Conseiller Pédagogique.

Priscille BABIKOUSSANA, Psychologue de l’éducation.