La mondialisation marchande ultralibérale et l’éducation : les racines d’un projet

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Cet agenda n’est pas nouveau. Il se trouve au coeur de la stratégie de l’ordre marchand depuis toujours. Il suffit de lire The Principle of Scientific Management (1911) de Frederick Winslow Taylor: analyse détaillée et rigoureuse des modes et techniques de production (gestes, rythmes, cadences…), établissement de la « meilleure façon » de produire (définition, délimitation et séquençage des tâches)… On dirait le programme d’une école d’ingénierie en robotique. Avec le déclin de la grande industrie en Occident et le boom du secteur tertiaire, ces principes ont été transcrits mutatis mutandis dans le néo-management. La mondialisation marchande est productiviste et pour réaliser toujours plus de gains de productivité, elle doit robotiser le travail, à moyen terme en robotisant le travailleur, à long terme en remplaçant ce dernier par des robots de plus en plus intelligents donc autonomes. D’où la nécessité de remplacer tout de suite l’éducation par le formatage.

A la fin du XIXe siècle, le cadre spatial de l’entreprise et temporel du travail limite la portée du formatage du travailleur. On se souvient du grand choc que cela fut pour le grand public lorsqu’il découvrit le phénomène en 1936 dans Les Temps modernes de Charlie Chaplin. Mais insatiable, la mondialisation néolibérale en veut toujours plus. Ses maîtres-mots sont vision, mission, valeurs, engagement, mobilisation, prospective, réseau, coopération, actions, résultats… Mais cette volonté de marchandisation-subordination du travail se heurte encore et toujours à une part irréductible d’autonomie que le travailleur conserve malgré la dictature de la rationalité sous laquelle il opère, malgré le contrôle des horaires, le principe de rentabilisation mis en avant même dans le secteur public, le quadrillage des services par une armada de petits chefs et sous-chefs… Comment vaincre cette part d’homme, d’autonomie qui persiste au fond du travailleur, et en faire enfin l’homme-robot idéal pour la production marchande ? D’une part en installant en douceur le robot dans l’imaginaire collectif (par le biais du cinéma) pour mieux préparer le terrain de son atterrissage social. Ainsi, le robot domestique, serviable, humanoïde bonhomme de compagnie (il est souvent la réplique de personnages de dessins animés), contribue progressivement à évacuer ces peurs tapies dans le subconscient et prépare à l’indispensabilité, d’abord domestique puis générale des robots. D’autre part et transitoirement, l’idée est née de s’en prendre à l’école.

« Les évolutions des systèmes éducatifs en Europe (Souto Lopez, à paraître ; Maroy, 2010) montrent que ceux-ci sont caractérisés par une intégration progressive du modèle managérial et par une soumission croissante aux impératifs du marché de l’emploi », écrivent Philippe Hambye, Vincent Mariscal et Jean-Louis Siroux.26 La mondialisation néolibérale s’est emparée de l’espace économique et détient les clés du coffre-fort ; elle contrôle désormais l’espace politique et s’assure que les lois sont à sa convenance ; elle tente de refaçonner l’homme par le biais des techniques du Taylorisme puis du néomanagement, dans l’espace dilaté de travail. Mais comme cela ne suffit pas et que l’ère des robots véritablement intelligents se fait attendre, elle est en train de prendre le contrôle de l’éducation.

 

Roger Kaffo Fokou, Eduquer pour une mondialisation humaniste, L’Harmattan, 2015, p.44