D’une pédagogie poétique à une poétique de la pédagogie.

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D’une pédagogie poétique à une poétique de la pédagogie

Publié 25 juillet 2023, Écrit par: Diana Léocadie et Sydalise Dufestin

La pédagogie parle de l’enfant. La poésie s’adresse à l’enfant, celui qu’on a été. Il est peut-être alors possible, dans cette alliance de mots, de trouver quelque chose d’encore inexploré, ou de si simple qu’on n’y a pas pensé. Quelque chose qui ouvrirait de nouvelles portes, de nouveaux chemins, en renouvelant le regard sur l’école.

« On m’a souvent demandé : la poésie, à quoi ça sert ? (…) j’ai beaucoup réfléchi, et aujourd’hui, je sais : la poésie, c’est comme des lunettes. C’est pour mieux voir. »

Jean-Pierre Siméon

Utiliser le prisme de la poésie pour réfléchir à la pédagogie serait-ce mettre des lunettes pour mieux voir ? Parce qu’elle parle de l’enfant, parce qu’elle s’adresse à lui, la pédagogie se veut légère, aérienne et non trop lourde à porter. Pour cela, elle doit sans cesse se réinventer.

De son côté, la poésie touche aux émotions et aux sensations. Elle éduque l’enfant aux valeurs humanistes, au sublime et elle l’élève. Elle donne le pouvoir aux mots, à la parole. Elle le conduit sur le chemin de la connaissance en lui parlant son langage, lui qui sait jouer si savoureusement avec les mots. Elle fait appel à sa créativité.

Au travers des images, des métaphores, la pédagogie prend délibérément une fonction poétique et s’intéresse au rythme. Celui de l’enfant, des programmes, des apprentissages. Tout ce qui va donner au poème sa musique – les temps, les pauses, la mesure, le mouvement, le tempo, les cycles – fait écho à une autre partition qui se joue dans le temps de l’école et celui de l’élève. « De la musique avant toute chose » nous rappelle Verlaine dans son Art poétique.

L’école est un jardin

 The gardener does not make a plant grow. The job of the gardener is to create optimals conditions.” [« Le jardinier ne fait pas pousser la plante. Le travail du jardinier est de créer les conditions optimales. » ]

Sir Ken Robinson

Enseignantes dans un collège en Education Prioritaire Renforcée [1], nous avons co-écrit un ouvrage, L’Ecole est un jardin. L’élève, un être en fleur, qui met en avant et explicite cette démarche. La métaphore florale, en filigrane, propose une entrée novatrice, celle d’une poétique de la pédagogie : L’Ecole, un jardin ; l’élève, un être en fleur, en devenir. Elle montre, à travers diverses expérimentations, qu’il est possible d’appuyer sur le levier de l’environnement, qu’il soit réel ou rêvé, pour renouveler le rapport aux apprentissages et au savoir. Un levier simple d’utilisation, efficace, disponible immédiatement et transposable. Elle place ainsi l’environnement et son impact au cœur des enjeux pédagogiques.

Notre école-jardin prend ancrage dans un concept, celui de la médiation par l’environnement. Concevoir ce dernier comme un médiateur c’est en percevoir toutes les inflorescences au cœur des programmes, des parcours pour recréer les liens entre les disciplines. C’est aussi explorer d’autres chemins pour réconcilier l’élève avec les apprentissages. Pour reprendre un des principes de la pédagogie Reggio Emilia concernant la petite enfance, l’environnement apparait alors comme « ce ou cette troisième professeur·e » qui, en appui au personnel enseignant, aux parents, aux pair·e·s, peut favoriser l’apprentissage et développer le potentiel des élèves. L’espace devient donc à la fois éducateur et objet éducatif. Eduquer par et à l’environnement, c’est à la fois transmettre un patrimoine unique et partager des valeurs. C’est aussi remotiver l’élève à partir de son environnement immédiat, en travaillant à la fois l’ancrage et le voyage au cœur du savoir. Une école, un collège, un lycée ont plus que jamais leur place au milieu des arbres. L’inverse est vrai aussi. Dans son ouvrage, Les Sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Edgar Morin nous le rappelle « La terre est notre patrie, notre maison commune ; elle est notre jardin ». Il s’agit de prendre connaissance et conscience à la fois de son identité complexe et de son identité commune avec toute l’humanité.

Faire résonner l’Ecole

Avant toute chose, l’Ecole est le lieu des relations, des connexions humaines. À travers les alliances éducatives, les valeurs telles que la coopération, la solidarité, la créativité, la confiance, la compassion, nous pouvons tisser des liens, ce lien social qui développe et optimise notre quotient relationnel. Une pédagogie de la résonance, comme l’explique le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa. Pour lui, elle constitue un espace de résonance fondamental : « À l’école, la relation au monde se déploie dans des processus d’interaction très denses, avec les personnes comme avec les choses, à l’intérieur de la classe, mais aussi dans la cour de récréation, sur le chemin de l’école, en voyage scolaire… ». Elle s’inscrit aussi dans une relation poétique avec le monde. C’est lorsque le professeur actionne des leviers de résonance : pratiques artistiques et culturelles, reconnexion avec la nature, engagement des élèves…« que le monde, pour l’élève, commence à chanter ».

Un enjeu de société car ces lunettes poétiques sont une opportunité pour redonner du pouvoir d’agir aux citoyennes et citoyens de demain, en écho aux propos de François Cheng. « Si l’Homme a naturellement besoin de faire, ce n’est pas seulement au niveau d’une production matérielle et directement utile au plan social, c’est surtout dans la dimension de ce que les Grecs appelaient poïen, qui signifie ‘faire’ au sens de la poïesis, la ‘création’. C’est par ce ‘faire’ créatif, par le travail en vue d’une réalisation que l’homme donne un sens à sa vie, qu’il devient le ‘poète’ de sa vie. Telle est sa vocation, ce à quoi il est appelé. »

Penser la pédagogie à travers le prisme de la poésie, oui, c’est mettre des lunettes pour mieux voir. Cette démarche met en avant une vision systémique de l’enseignement et vise au final à induire un changement sociétal dans lequel chacun et chacune d’entre nous est partie prenante. Nous sommes le tout et la partie : cultiver chacun et chacune sa capacité d’émerveillement et de créativité peut changer le tout.

N’est-ce pas une chose vivifiante et qui se pose comme une évidence, que la faculté de trouver de la poésie, de la joie, du sublime dans le monde qui nous entoure et à fortiori dans la pédagogie, art et science qui construit l’homme de demain ?

En France, la politique d’éducation prioritaire se fond sur une carte des réseaux d’établissements primaires et secondaires – REP et REP+ – et vise à réduire les écarts de réussite entre les élèves scolarisé·e·s en éducation prioritaire et ceux qui ne le sont pas.

https://www.ei-ie.org/fr/item/27847:from-poetic-pedagogy-to-a-poetics-of-pedagogy?_