Management de l’éducation : la Ministre des enseignements secondaires désavoue ses collaborateurs ?

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Management de l'éducation : la Ministre des enseignements secondaires désavoue ses collaborateurs ?

Le 30 mai 2023, madame Nalova Lyonga, Ministre en charge des enseignements secondaires au Cameroun a publié un communiqué radio sous la référence 70/23/CR/MINESEC/SG/ DRH/SDP/SFCP dont la teneur est la suivante :

Le ministre des enseignements secondaires informe tout le personnel de son département ministériel qu’il est désormais possible de dénoncer, sous anonymat, les personnels en position d’absence irrégulière à l’adresse www.minesecdrh.cm.

Le Ministre invite tous ceux qui ont connaissance des enseignants absents de leurs postes de travail à bien vouloir le signaler à l’adresse susmentionnée.”

Cette correspondance fait depuis sa publication, les gorges chaudes dans le milieu enseignant dont les forums sont inondés de messages par milliers. Entre ceux qui accueillent favorablement l’appel de Madame Lyonga et leurs collègues qui lui adressent une fin de non recevoir dans des joutes teintées à la fois de bon sens et de passion, un élément unit les deux camps: la sincérité de cette démarche ministérielle.

En effet, que cache l’invitation de la Ministre des enseignements secondaires à “tous les personnels de son département ministériel” pur dénoncer “les personnels en position d’absence irrégulière”, et pourtant toute une administration mise en place est chargée de remplir cette mission d’assainissement ?

Une réponse à cette question réside dans la crise de confiance au sein de la chaîne hiérarchique. Disons-le sans langue de bois: le milieu scolaire est gangrené par la prolifération des pratiques malsaines sous le regard complice de la hiérarchie. Tout est faux. Des rapports des assemblées générales aux recensements des personnels en passant par les statistiques, rien n’échappe à l’industrie du trucage des données. En somme, le travail est bâclé, voguant ainsi dans des eaux troubles au gré des vents capricieux de ceux qui ont les godasses pour s’accrocher. Tenez par exemple : en pleine période COVID, alors que de nombreux établissements scolaires avaient adopté le système de double flux entraînant l’érosion d’un nombre important d’heures d’enseignement, le taux de couverture des programmes contre toute attente, a pris une trajectoire inverse, tutoyant sans scrupule les 80%. Et tout le monde a applaudi sans aucune réserve, donnant ainsi de l’amplitude à cet exploit mortifère. Ce malaise qui transpire du “SOS” de madame Nalova Lyonga augure-t-il d’un grand coup de balai pour donner au “Green School” et au “Clean School” toute leur envergure ? Ceux qui vivront verront.

L’illusion du mouvement peut également être convoquée pour expliquer l’appel à la “dénonciation” lancé par madame la Ministre. L’art de faire semblant d’avancer tout en marquant le pas sur place que nous empruntons au professeur Claude ABÉ, pourrait également justifier cette sortie et étayer le doute que les enseignants projettent sur la sincérité de l’auteur. Rappelons que cette correspondance intervient en pleine période d’examens certificatifs avec toutes les menaces à leur déroulement comme autant d’épées de Damoclès pendus au-dessus de ces derniers. Les enseignants boudent de plus en plus ces examens et ne supportent plus que leurs dus leurs soient payés dans des délais qui se dilatent à l’infini. Ils en ont marre de ces tâches ingrates, rémunérées en monnaie de singe tandis que certains de leurs collègues se la coulent douce sous des cieux paisibles, avec la bénédiction de la hiérarchie qui les couvre de sa bannière protectrice.

Une autre illustration de ce deux poids deux mesures: en plein examen du probatoire de la session 2021, la rareté des épreuves dans les centres d’examen à défrayé la chronique conduisant ainsi à des retards inédits. Ce dysfonctionnement hautement préjudiciable à plus d’un titre est curieusement passé sous silence alors que c’était là une occasion idoine de siffler la fin de la récréation. Mais il n’en a rien été. Cette impression de deux mondes parallèles aux destins opposés jette un voile de doute légitime sur les intentions actuelles de madame Nalova Lyonga. L’ouverture d’une fenêtre d’impunité pour les uns (bourgeois, haut placés et leurs affidés) et l’application de la tolérance zéro pour les autres (ouvriers, travailleurs) crispent l’atmosphère de la collaboration.

Au-delà de toutes ces questions qui émergent avec plus ou moins de réponses satisfaisantes, se pose celle de la finalité de la démarche. Qu’espère obtenir madame la Ministre ? Nous pensons humblement que rien. Peut-être quelques victimes expiatoires seront servis en holocauste justement pour donner l’illusion du mouvement. Les enseignants dans leur immense majorité n’y croient pas, nargués qu’ils sont sur le terrain par ceux qui ont le bras long.

Cette approche hautement clivante et à tête chercheuse réfute la voie officielle (qui part du Surveillant Général aux services centraux en passant par le Proviseur et les délégations du MINESEC) pour lui préférer celle de la dénonciation anonyme. Or il est connu que l’action sous anonymat porte très souvent en elle les germes de l’irresponsabilité et de la délation.

Comment dont feront-ils pour démêler l’écheveau, pour distinguer la dénonciation de la délation, face à ce flux important de données disparates dont sera inondé le site web dédié à cet effet? En plus des nouveaux comptoirs qui seront ouverts pour accroître le mal qu’on dit vouloir combattre avec le lot de harcèlement qu’il pourra charrier, il y a que les personnels visés par le communiqué de la Ministre pourront être les principaux dénonciateurs/délateurs, leur action consistant à saturer les serveurs dans l’optique de noyer la cellule informatique sous une masse d’informations plus ou moins exactes, l’objectif final étant de rendre impossible leur exploitation.

Pourquoi tant de gesticulations pour des résultats chétifs au détriment de véritables solutions à même de réduire le mal à sa plus simple expression ? Les chemins sont balisés et les acteurs connus. Seule manque à l’appel la volonté authentique pour le plus grand désarroi de l’école qui se meurt.

YONGUI HEUBO Patrick William

Rédacteur SNAES.