JME 2018: Voici le Discours des syndicats interdit à Douala

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Allocution des syndicats enseignants du Wouri

(O.N.E.C., SNAES, SYNTESPRIC)

Monsieur le Gouverneur de la Région du Littoral

Monsieur le Préfet du Département du Wouri

Monsieur le Délégué du Gouvernement auprès de la Communauté Urbaine de DOUALA

Madame et Messieurs les Délégués Régionaux des Ministères en charges de l’Education

Mesdames et Messieurs les Fondateurs des Etablissements Scolaires Privés

Mesdames et messieurs les Chefs d’Etablissements

Autres Autorités en vos rangs et titres respectifs

Honorables Invités

Chers Enseignants

Mesdames et Messieurs

C’est pour moi un grand honneur et un agréable devoir de prendre  la parole, ce 5 octobre 2018 à l’occasion de la célébration de la 24ème édition de la Journée Mondiale des Enseignant(e)s. D’emblée, permettez-moi d’exprimer toute ma gratitude à mes paires, leaders Syndicaux du Secteur de l’Education, qui m’ont permis de porter la voix des enseignants au cours de cette cérémonie. En mémoire de tous les enseignants qui nous ont quittés au cours de l’année passée, de ceux emportés  par la violence le 03 septembre 2018, jour de rentrée et de tous ceux que l’intolérance et l’égoïsme de tout origine ont poussé loin des salles de classes dans les régions du Nord-ouest, du Sud-ouest, de l’Adamaoua, de l’Est et de l’Extrême-nord, je nous invite à observer une minute de silence.

Autorités de la région du Littoral, Messieurs les Fondateurs et Autres Chefs d’Etablissements, les Enseignants par ma voix vous disent merci d’être venus constater que leur cœur bat encore ; votre indifférence, doublée de mépris et d’ingratitude n’ont pas été assez  forts pour couper la dernière veine qui les relie à la vie. Mesdames et Messieurs, La communauté internationale, par l’UNESCO, nous invite à avoir à l’esprit que « le droit à l’Education, c’est aussi le droit à un Personnel Enseignant Qualifié ». L’an dernier, notre attention avait été portée sur : « Enseigner en liberté, Autonomiser les enseignants ». En attendant le bilan que nous ne ferons jamais, comme de tradition chez nous, il convient de  rappeler, que ces deux thèmes apparemment distants, ont un socle commun : la promotion d’une éducation de qualité. En effet, après le forum mondial sur l’Education, tenu en 2000 à Dakar  au Sénégal, forum à l’issue duquel le monde, dont le Cameroun, avait pris des engagements fermes en vue de l’école pour tous à l’échéance  2015, à Incheon en Corée, après évaluation le 21 mai 2015  et l’adoption par les Nations Unies de 17 objectifs pour le développement durable dont le 4ème porte sur l’accès à « une Education inclusive et équitable  de qualité, et les possibilités d’apprentissage pour tous, tout au long de la vie » , l’Unesco s’est retrouvé en novembre 2015 à Paris, lors de sa 38ème session de la Conférence Générale, pour adopter un cadre de travail appelé  ‘’Plan d’Action de l’Education 203O’’. Dans les modalités de mise en œuvre des stratégies arrêtées, 4 cibles ont été visées dont l’une est : « accroitre de façon substantielle l’offre d’enseignants qualifiés … ».C’est dans ce contexte qu’il faut situer l’orientation des thèmes successifs soumis à notre attention.

Cela étant, il faut dire que les efforts du gouvernement à travers la création des Ecoles Normales Supérieures pour l’enseignement général et technique, des Ecoles Normales d’Instituteurs et des initiatives privées dans le secteur , à quoi il faut ajouter les séminaires de Recyclage des Enseignants durant l’année scolaire, montrent que le Cameroun n’a pas attendu l’invitation majeure de cette célébration, pour investir dans la formation initiale et continue de ceux qui ont la charge d’éduquer ses enfants. D’ailleurs, comment pouvait-il en être autrement face aux incessantes innovations pédagogiques qui imposent que notre pays, pour ses besoins de développement, soit  connecté à l’évolution du monde ? Seulement, peut-on dire que le Cameroun est complètement au-dessus des besoins en Personnel Enseignant qualifié ?

Les acteurs de notre système éducatif, même les plus chauvins ne peuvent l’affirmer ; la montée incontrôlée de l’offre privée de l’éducation, où l’essentiel du personnel ne jouit que du savoir académique ou universitaire, confondrait toute mauvaise foi. A coté de cette réalité dans l’Enseignement Privé, un autre fait paradoxal côtoie les écoles publiques : l’insuffisance des Enseignants Qualifiés à coté d’un grand vivier du personnel formé. en effet, selon le rapport national  de ‘‘ l’Ecole Pour Tous’’(E.P.T) sorti en 2015 et les donnée de l’UNESCO, Mputu(2018), 42% d’enseignants dans le primaire et 47% dans le secondaire, encadrent nos enfants sans formation initiale. Pourtant, on a encore à l’esprit, la troisième phase  de contractualisation où, au dire de Monsieur le Ministre de la Fonction Publique et de la Reforme Administrative sur les antennes des médias nationaux, sur les 50 000 dossiers reçus, 9000 seulement ont été retenus. Or la Stratégie Sectorielle de l’Education 2006 (P. 98),  prévoyait le recrutement de 8000 Instituteurs Contractuels par an. Mais déjà en 2014, la roue avait cessé de tourner jusqu’en mai 2018, date de la publication des listes de la récente phase. Pour comprendre cette curiosité, il faut chercher dans les moyens financiers que l’Etat consacre pour l’éducation de ses enfants. Cette année (2017/2018) la dépense publique pour l’Education  a été de 14% soit 3% du P.I.B., moins qu’en 2OOO où elles étaient de 14,3%, alors que la moyenne de la sous-région était de I8,3 % (RESEN).En 2013, Le pouvoir s’était engagé à atteindre 22% en 2020. Doit-on espérer que, ce qui n’a pas été fait en 5 ans 8 mois le sera en un an 2 mois ?  Les arbitrages nationaux interministériels font pourtant croire chaque année, que l’Education absorbe le plus gros budget. Malheureusement,  une vérité masque  la réalité du faible financement de l’Education au Cameroun: en 2016, au MINFI on trouvait 143 900 personnes pour le MINEDUB et 104 348 pour le MINESEC. Or ces deux Ministères ne comptaient que 56 000 et 60 119 Enseignants respectivement. Soit une différence totale de 132 129 personnes qui émarge dans ces Ministères sans êtres Enseignants (stat. MINFI, MINEDUB, MINESEC). La non prise en compte de cette réalité, donne une fausse appréciation du budget des deux Ministères.

Il faut reconnaitre en passant, que l’insécurité qui s’est installée au Cameroun depuis l’avènement de Boko Haram et aujourd’hui, les revendications des compatriotes de culture britannique sont venus justifier une volonté politique déjà moindre.

Quoi qu’il en soit, doit-on laisser penser que la garantie d’une formation initiale et continue des formateurs, aujourd’hui  au Cameroun, est une assurance d’une Education de Qualité dans nos lycées et collèges ?

Monsieur le Gouverneur de la Région du Littoral, mesdames et messieurs les Délégués en charge de l’Education, la responsabilité qui est la nôtre, nous invite à vous dire, que la tête des Enseignants en général, n’est pas dans ces formations pédagogiques qui ne s’accompagnent pas des améliorations salariales. Elles tombent sur eux comme des charges supplémentaires sur des crânes en voie d’exploser à force de réfléchir  à comment assurer le minimum vital quotidien. Les enseignants sont plus préoccupés par la recherche des équilibres financiers pour couvrir des  mois  devenus de plus en plus longs  à cause du ‘‘ s.i.d.a.’’ (Salaires insuffisant, difficilement acquis). Monsieur le Gouverneur, en tant que parent, sans porter atteinte à votre conscience, pouvez-vous affirmer que l’éducation est une priorité au Cameroun ? Si oui, comment une priorité n’est -elle pas prioritaire ? L’Etat du Cameroun et ses complices les fondateurs d’Etablissements  vilipendent les enseignants ; ils les payent mal.  Et ce qui est plus sadique encore, c’est que l’Etat  en est conscient ; puisque  dans son ‘‘ Examen national 2015 pour tous : Cameroun’’ il affirme : « …. La rémunération des Enseignants reste en-dessous de la moyenne des pays comparatifs… » (4.4 fois le PIB/h pour le primaire et 6,9 fois le PIB/H pour le secondaire). Et Cà, ce n’est que la réalité de Tanga NORD (l’Enseignement Public). Dans le Tanga sud (Enseignement Privé), c’est l’esclavage nouvelle formule dans la majorité des Etablissements. Monsieur le Gouverneur, êtes-vous au courant qu’ici à Douala, en 2018, des Enseignants gagnent 30 000frs par mois, qu’il y a des salaires de base de 37 000 avec les frais de scolarité de 100 000frs, accompagnées  des rames de papiers, des boites de craies, de l’achat des tenues personnalisées ?  Des calculs simples font savoir  que deux classes de quarante (40) élèves chacune, assurent toutes les charges salariales d’un Etablissement primaire de dix ( 10 ) travailleurs pendant douze ( 12) mois. Où va le reste ? Et quant on sait que l’année dans ces lieux finit parfois en Mai, et généralement, le personnel est permanemment vacataires, on comprend pourquoi les bâtiments  se superposent, les complexes se multiplient. L’Agenda 2030 du développement durable mentionne, comme un des gros défis à relever, la réduction des inégalités.  Chères autorités,  êtes-vous conscients des menaces que vous faites planer sur le Cameroun en entretenant des injustices si criardes ?  Légalement, vous avez vendu le bien public qu’est l’école, en donnant aux promoteurs  d’établissements scolaires privés le droit de fixer les taux de scolarité, sans exigence sur les salaires à payer aux travailleurs. Est-ce cela le vivre ensemble ? La paix n’est  pas le fruit des incantations. A titre d’information, en Côte-d’Ivoire, un Instituteur Adjoint gagne 300 000 frs CFA dans le secteur public. La base dans les privées laïcs, gelée  depuis 11 ans est de 103 000frs ; chez les catholiques elle est de 230 000 frs.  Au Cameroun, dans l’enseignement privé, depuis 1992, il n’y’a plus de base de salaire mais des salaires en baisse ; c’est-à-dire, en fonction du degré de générosité de l’employeur ; les plus humains  utilisent  une grille vieille de  33 ans. On est  alors en face des mystères que seuls les patriotes de discours peuvent nous  expliquer. Par exemple, un camerounais qui a le B.E.P.C, Enseignant  Contractuel de son état, gagne plus qu’un docteur exerçant la même fonction dans un Collège Privé. (Grille 1985 dans le secteur privé et grille 2008 pour Fonctionnaires et Contractuels). Que peut apporter la formation pédagogique dans des esprits si méprisés ? L’Etat du Cameroun reconnait que : « les Enseignants du privé ont une efficacité pédagogique supérieure à celle des Enseignants Fonctionnaires et Contractuels… » (DSSEF. 2013 – 2020). Pourquoi cela n’est-il pas  suffisant pour qu’au moins, LA CONVENTION COLLECTIVE, négociée au rabais pour plaire aux fondateurs, depuis 4 ans, soit signée ?

 Mesdames et Messieurs ici présents, si en tant qu’ autorités, vous vous êtes accoutumés à cette injustice mêlée d’ingratitude vis-à-vis des Enseignants  d’un secteur qui a formé la fine fleur des dirigeants de ce pays, pour ne pas dire certains d’entre vous, il nous parait surréaliste que, malgré les sommes parfois faramineuses que vous déboursez pour la formation de vos rejetons, vous vous enfermiez dans le silence lorsque cet argent, destiné à assurer en partie les salaires de ceux à qui incombent l’éducation de vos enfants, est scandaleusement orienté vers le seul confort matériel et financier des fondateurs.
Comprendrez-vous un jour que les enseignants constituent le maillon essentiel dans l’objectif d’offrir à tous les enfants une éducation de qualité ? Que pour réaliser cet objectif, le Cameroun a besoin d’enseignants plus nombreux, mieux formés et mieux soutenus ? L’amélioration des qualifications devrait conduire à des salaires plus élevés et à de meilleures conditions de travail, ce qui accroitrait l’attractivité de la profession et la fidélisation des enseignants, élément très déterminant pour la qualité l’éducation. Manifestement, la beauté des bâtiments et les résultats parfois menteusement bons vous intéressent  plus que la situation des ‘‘esclaves’’ qui les préparent. Et quand on vous dit qu’après  les 5 premières années du primaire, sur 100 enfants, c’est seulement 37 et 30 qui s’en sortent respectivement en lecture et en mathématique, cela ne peut- il pas susciter en vous une révision d’attitude ?

Mesdames et Messieurs les fondateur, ce n’est point par haine de votre entreprise que nous nous exigeons  défenseurs  de vos employés ; notre combat c’est pour la justice, seule garantie pour la paix. À vrai dire, humainement parlant, vous n’êtes pas le véritable problème ; vous ne profitez que des couloirs à vous tracés par l’organisation ou le dysfonctionnement de notre Etat. Où iraient les centaines de milliers d’enfants qui sont sous votre encadrement si vous n’existiez pas ? Votre apport est donc louable et même incontournable. Mais, faute de lois, est-il exagéré de vous demander un peu de foi, si tant est que même en passant il vous arrive d’évoquer le nom de Dieu ? Il importe de savoir  que Les enseignants qui sont soutenus par leur administration scolaire obtiennent de meilleurs résultats dans leur classe ; que la brimade  ne reporte que vos difficultés, que la pérennité de votre action réside dans la qualité de l’organisation que vous mettez en place. Les congés annuels que vous êtes entrain de faire disparaitre, sont aussi un droit pour vos Enseignants (C. T. art. 92 ; 1, 5) leur performance en dépend. La prospérité que vous voulez pour votre investissement sera toujours menacée, non par les Syndicats ou les Délégués du personnel que vous redoutez, mais par l’encadrement injuste que vous réservez à ceux qui font  votre gloire. L’absence ou l’insuffisance de loi n’autorise pas l’absence d’éthique. Toute augmentation de scolarité doit s’accompagner d’une augmentation de salaire. Comme l’a dit Mr Guy Ryder le Directeur Général du Bureau International du Travail, « … la dignité, l’espoir et le sens de la justice sociale….. Contribuent  à construire et à préserver la paix sociale. » Comment peut-on maudire le feu, tout en entretenant les braises ?

Chers Enseignants du public, déshérités du privé,  que faites-vous pour vous-mêmes pour que la situation change ? Dans le public, c’est la chasse à la nomination et la phobie des affectations loin des répétitions.

Dans le privé, vous êtes environ 100 000 ;  vous avez tout pour vous faire entendre, pour vous faire respecter. Pourquoi avez-vous enterré vos cerveaux dans l’estomac au point de vous faire guider par le moindre bout de pain, la première goutte d’alcool ?

Pourquoi croyez-vous que vos jérémiades suffisent pour ébranler la quiétude de vos patrons ou la complicité tacite du gouvernement ?

Il nous arrive souvent de penser que la poussière de craie qui tombe sur vous contient une substance abrutissante. Sinon comment comprendre votre torpeur, votre attachement à la précarité ? Qui vous donnera encore des répétitions à la retraite ?

Et la délation que certains ont arborée  comme compétence pour gagner les postes, à quoi servira-t-elle encore ?  La propension de la majorité à déserter toute mobilisation pour se réfugier dans la critique ou dans l’église de Bacchus au grand dam de leur dignité et de l’éducation des enfants, nous désole. Votre responsabilité d’Educateurs vous impose de dénoncer tout ce qui empêche le travail de qualité. La formation initiale et continue est un impérieux devoir ; l’habitude de boycotter les séminaires de formation ou de recyclage pour les cours de vacation et autre répétition, est une atteinte grave à la Qualité de l’Education. Ne l’oubliez  pas, « qui cesse d’apprendre doit cesser d’enseigner ». Refuser la formation sous prétexte des mauvais traitements que vous avez peur de dénoncer fortement, est une contribution à la médiocrité, un crime contre des innocents. Dire non à une injustice est un acte de bonne éducation, une option positive pour la construction. L’Education de Qualité demande des Enseignant(e) s de qualité, c’est-à-dire des hommes et des femmes d’honneur. Notre société en a besoin pour un Cameroun viable pour tous.

Vive les Enseignants sérieux et travailleurs,

Vive la mobilisation de tous pour une Education de Qualité,

Vive le Cameroun,

Je vous remercie.