De quoi vivent les syndicats ? Idéalement des cotisations de leurs membres. Celui qui paie commande. Pour avoir une mainmise sur leurs syndicats, les travailleurs doivent eux-mêmes en assurer le financement. Si le syndicat vit des subventions de l’Etat ou d’une quelconque entité, il dépendra de l’Etat ou de cette entité pour son fonctionnement et ses prises de position seront jusqu’à un certain point influencées par les représentants de l’Etat ou de cette dernière. Et l’Etat s’arrangera pour lui donner des moyens médiocres afin de s’assurer de sa dépendance et le maintenir sous tutelle. S’il vit des poches – peu profondes – de ses dirigeants, il sera libre vis-à-vis de l’Etat, mais aussi de ses membres, tendra à être la propriété de ses dirigeants qui, s’ils sont mal intentionnés, peuvent en faire un fonds de commerce personnel. Dans cette hypothèse, il est aussi clair qu’il ne sera pas non plus puissant et, face à l’Etat, souffrira d’un déficit de respect et d’efficacité.
Pour rendre le syndicat indépendant – des autres mais dépendants d’eux – et puissant à la fois, ses membres doivent contribuer chacun à son financement. Pour cela, ils n’ont pas besoin de cotiser des sommes énormes individuellement. 0,5% du salaire de chaque membre, une fraction qui, ajoutée au ou soustraite du salaire mensuel de celui-ci, est strictement insensible, suffit ainsi à bâtir une puissance étonnante à son syndicat, dans le principe d’une économie d’échelle. Et quand votre syndicat est puissant, vous êtes puissant, mais cela ne vous a pas coûté grand-chose. Imaginez que vous puissiez dire à votre chef qui menace d’écrire contre vous sans raison valable à la hiérarchie : « Essayez, et j’avertis le syndicat ! », et que votre syndicat soit suffisamment puissant pour être craint non seulement de votre chef mais également du chef de votre chef, du ministre et même du chef de l’Etat. Croyez-moi, votre menace suffira à persuader votre chef de vous laisser la paix. Oui, la paix sera avec vous, professionnellement je veux dire. Certains types d’organisations exigent jusqu’à la dîme, vous le savez, pour des résultats plus lointains et plus incertains.
On dit qu’on ne prête qu’aux riches. Le syndicat est la seule vraie voix du travailleur. Et elle ne doit pas être la voix d’un pauvre. Le chef hiérarchique au service est la voix de l’employeur. Il est souvent la voix d’un riche. Quand les deux sont face à face, le représentant de l’employeur n’écoute celui du travailleur que s’il le respecte. Les riches respectent rarement les pauvres, vous le savez autant que moi. Et le chef hiérarchique ne respecte le représentant du travailleur que si celui-ci ne dépend pas de l’employeur c’est-à-dire ultimement de son supérieur direct. Il ne le respecte que s’il dépend uniquement des membres du syndicat qu’il représente. C’est pour cela que le syndicat doit se donner les moyens de détacher ses responsables, de supporter leurs salaires pour qu’ils ne dépendent plus que de lui donc de ses membres. Mais les membres sont-ils prêts à assumer cette responsabilité, ce sacrifice modique ? Très souvent, non. Ce refus dans une proportion respectable justifie même le refus de se syndiquer. D’autres raisons ne se justifieraient pas non plus si le syndicat était puissant. Alors, pourquoi les membres des syndicats ne cotisent-ils pas ou pourquoi peu sont ceux qui cotisent ?
On peut se dire : « pourquoi je donnerai mes 1000 F par mois à un syndicat alors que même sans cela ce qu’il obtient, je l’obtiens aussi ? » Calcul rationnel simple donc. On a quand même fait ses maths, n’est-ce pas ? Et sa logique également.
En fait, sans vos 1000 F, souvent, le syndicat n’obtient rien : et ce qu’il n’obtient pas est perdu pour vous comme pour les autres. Les enseignants d’EPS camerounais ont formé leur syndicat en 1996, avec 5 ans de retard sur les autres enseignants du pays. Conséquence directe et immédiate, ils n’ont eu les primes des autres enseignants – 5000+10000+15000 – que plus de 10 ans plus tard, sans rattrapage : calculez le manque à gagner cumulé ! Ils n’ont toujours pas la retraite à 60 ans, plus de 16 ans plus tard !
Sans vos 1000 F, le syndicat peut arriver à obtenir quelque chose, mais ce sera le minimum : et vous aurez perdu le maximum qui vous tendait les bras. En 2009, les syndicats étaient sur le point d’obtenir jusqu’à 25000 F et 40000 F de primes de documentation et de recherche : il leur a manqué, au moment décisif, la puissance nécessaire : ces 1000-1000 F que les enseignants fuyaient les syndicats pour n’avoir pas à cotiser. Les enseignants n’avaient finalement obtenu que 10000 et 15000 F, soit une perte sèche de 15000 et 25000 F par mois, tout cela pour une histoire de 1000F !
Imaginez un marché où vous avez la possibilité d’acheter par anticipation… 25000 F à 1000 F. On vous dit : « donnez 1000 F aujourd’hui, et vous recevrez 25000 F demain, au plus tard après-demain ». Et vous vous dites : « Il me vend 25000 F à 1000 F mais est-il sûr de les avoir au moment de livrer ? Je n’en suis pas certain ». Au lieu de vous dire : « puisque 1000 F ne représente que 0,5% de mon salaire et qu’en m’en séparant cela ne fera pas au présent une différence sensible, je vais prendre le pari ; si je perds, je ne perds qu’une chose assez insensible ; si je gagne, je gagne gros : d’abord en espèce, 25000 F ; puis en sécurité : mon syndicat sera puissant et mon employeur hésitera à m’attaquer parce que j’aurai un défenseur puissant. » Au lieu de cela, vous vous dites : « si je donne 1000 F, mon responsable syndical aura de l’argent à gérer et pas moi ; pourquoi je lui ferai une telle faveur ? » Et là, il perd, et vous aussi. Mais souvent, vous, vous perdez plus que lui : parce que malgré tout, votre employeur commun le respecte pour son courage et le traite différemment.
Dans un lycée de Yaoundé, un chef d’établissement décide que ses collègues enseignants doivent demander audience à son secrétariat avant qu’il ne les reçoive. Et il les fait attendre souvent des heures, voire des jours avant de les recevoir. Ils s’en plaignent entre eux mais à voix basse. Un syndicaliste du lieu décide d’une action : il rédige une pétition dénonçant le comportement du proviseur : sur 180 enseignants, seuls 02 signent ; les autres se défilent. Le syndicaliste déchire la pétition et rédige une lettre syndicale de dénonciation qu’il signe seul et adresse au DDES. Ce dernier débarque et le proviseur met fin à la brimade. Là où 180 enseignants ont échoué comme individus, le syndicat comme structure a réussi, sans exposer qui que ce soit à part le responsable syndical. Mais ce responsable syndical sera encore plus puissant quand le proviseur saura que son syndicat a les moyens de ses actions y compris des actions judiciaires.
Mais ceci n’est qu’une petite esquisse, quelques idées jetées sur du papier. Nous allons approfondir cette réflexion sur l’impact des contributions syndicales. Grâce aux contributions intellectuelles et aux questions des uns et des autres. Alors, à vos plumes et méninges !
Le Secrétaire Général