Lutter contre la violence en milieu scolaire aujourd’hui : sortir de la dérèglementation et de l’impunité  pour retrouver les fondamentaux

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Par Roger KAFFO FOKOU, AP Français, SG/SNAES,
Membre Cellule anti-corruption MINESEC

Le vendredi 29 mars 2019, un élève du Lycée bilingue de Deido a poignardé à mort un de ses camarades de classe, suscitant une violente émotion au sein de l’opinion nationale. Et du coup, le phénomène de la montée de la violence en milieu scolaire a envahi les écrans et les Unes des journaux. Au cours de la traditionnelle rencontre pour l’évaluation à mi-parcours de l’année scolaire en cours tenue à Nkolbisson en janvier 2019, le Pr Nalova Lyonga, ministre des Enseignements Secondaires, avait déjà fait exposer sur ce thème, pour dire à quel point le sujet est devenu préoccupant. Mais il ne faut pas céder à la tentation d’en donner une vue simplificatrice. Lorsque l’on fait une chute, ce n’est pas l’endroit où l’on a atterri qui importe mais celui où l’on a glissé. Pour bien réussir cette cartographie-là, il faut bien comprendre en quoi consiste la violence d’une part, et quelles sont les spécificités du milieu scolaire idéal d’autre part. On verra alors, et du coup se dessineront les pistes de solution, que la violence en milieu scolaire est le résultat de la violation systématique de ce qui survit à une pratique de déréglementation acharnée qui touche à la fois l’éducation et les autres secteurs de la société.
I. Définition des termes
    A. Du viol à la violence : une relation de cause à effet
Viol :
– fait de transgresser, d’enfreindre, de manquer au respect d’une obligation. Ex : viol du secret professionnel, des feux de circulation, d’une loi, d’un règlement…
– Fait de pénétrer sans permission, sans droit dans un lieu interdit. Ex : violer un temple…
– Fait d’imposer des rapports sexuels à une personne non consentante.
Violenter :
– Obliger en employant la force
– Contraindre/forcer à poser un acte ou à s’abstenir de le faire
Violence :
Procédé matériel, psychique ou moral contraire à la douceur, à la conviction/persuasion, à la modération
Synthèse : la violence peut prendre deux formes principales :
– Sa première forme est violation, c’est-à-dire non-respect/refus de respect des règles, des lois, des us et coutumes, de la morale. On est en situation de transgression, d’effraction, d’infraction… Elle est alors violence contre les institutions, les communautés, les groupes organisés, mais aussi les individus. Ses moyens sont la ruse, la tricherie, la dissimulation, la fraude, les trafics en tous genres, la corruption, les passe-droits, les abus de position dominante ou de fonction, le chantage…
– Sa seconde forme est usage de la force physique pour résoudre un problème ou s’octroyer un avantage dû ou indu : bastonnade, bagarre, agression… Elle est alors essentiellement violence contre les individus, seul ou en bandes organisées.

    B. Le milieu scolaire : un espace en principe clos, fortement règlementé et discipliné par nature
Un milieu est un espace (géographique ou symbolique) doté de spécificités qui le distinguent de ce qui l’entoure. En tant que milieu, l’espace scolaire est en principe clos et ne s’ouvre que sous condition ; il est fortement règlementé, et est discipliné par nature, par la nature-même de ses activités.
       a. Le milieu scolaire, un espace clos :
– IL est inviolable par les forces de l’ordre, sauf cas de réquisition expresse du chef d’établissement, (Cf. La loi d’orientation de 1998, article 27)
– On n’y accède que sur autorisation :
• Les enseignants par décision/note d’affectation
• Les membres de l’administration par actes de nomination
• Les élèves par concours ou recrutement
• Les usagers par autorisation et dans des conditions restrictives : jours, heures, enregistrement, dépôt de pièces d’identification à la guérite…
– On n’en sort qu’en obéissant à certaines règles :
• Les heures de sortie sont connues
• Les sorties en dehors de celles-ci doivent être autorisées : billets de sortie…

       b. Le milieu scolaire, un espace fortement règlementé :
– Le temps et l’espace y sont rigoureusement règlementés : les secteurs, les classes, les heures d’interruption, les sorties momentanées des cours pour se mettre à l’aise, etc. Un individu qui y vadrouille doit en principe être vite repéré et interpellé
– Le travail y est rigoureusement organisé : emplois de temps, fiches de progression, chronogrammes d’activités, circulaires de diverses hiérarchies… Difficile donc d’y faire ce que l’on veut en dehors des règles
– L’évaluation du travail y obéit à une règlementation précise :
• échelle de notation et d’appréciation pour les élèves
• taux de couverture des enseignements et des programmes pour les enseignants
• notation administrative pour tous les personnels
– Les récompenses et les sanctions y obéissent à des textes :
• Règlement intérieur pour les élèves
• Statut de la fonction publique, statut particulier, lois et règlements pour les personnels et les usagers

       c. Le milieu scolaire : un espace discipliné par la nature de ses activités et des acteurs de celles-ci
– Ses activités de base sont des disciplines, c’est-à-dire des règles constantes de pensée et d’agir que l’on assimile pour se développer une rigueur intellectuelle, morale et pratique.
– Ses principaux acteurs sont soit des maîtres, soit des disciples :
• Maîtres, ils sont supposés avoir atteint un degré élevé de maîtrise/domination d’eux-mêmes et de la science pour imposer le respect et l’obéissance absolue aux disciples. Normalement, le maître ne se trompe pas et ses désirs sont des ordres.
• Disciples, ils respectent le maître, lui obéissent et aspirent à devenir comme lui, des maîtres eux-mêmes.

II. Violence en milieu scolaire : déréglementation, violation de la réglementation résiduelle, et montée en puissance de la violence
   1. Le milieu scolaire aujourd’hui : un espace en cours de déréglementation
– La remise en question du statut de l’enseignant : il n’est plus le maître, il doit se contenter d’être un guide, un simple facilitateur : pour cela, l’estrade doit disparaître, il n’est plus devant mais parmi les élèves ; il ne les enseigne plus, il les aide à construire eux-mêmes leurs propres savoirs et compétences
– L’implémentation d’une conception extensive des droits de l’homme à l’école : interdiction des punitions corporelles et progressivement de toutes formes de punition
– Evolution vers l’allègement puis l’interdiction de toutes formes d’évaluation chiffrée considérée comme exercice de violence symbolique ou psychologique
– Liberté de coiffure sous prétexte de particularismes religieux, puis bientôt peut-être de toilette et costume
– Autorisation de contourner les règles d’admission classiques en milieu scolaire : le concours tend à devenir l’exception, la nouvelle règle étant le recrutement sur dossier ou sans dossier
– Les enseignants avec titre (affectés par décision) sont de plus en plus concurrencés par des vacataires sans formation, statut ni salaire

     2. En milieu scolaire aujourd’hui, la violation impunie des règles est devenue un marché qui rapporte gros
         a. En milieu scolaire aujourd’hui, tout le monde est concerné par la violation des règles
– Les élèves par l’indiscipline : retards, absences, insolences, voies de fait sur leurs camarades et sur les personnels divers, corruption, consommation d’alcool et drogues, abus sexuels…
– Les enseignants : notes fantaisistes, punitions sans texte, souvent humiliantes, brutalités verbales et physiques, intimidations, harcèlements sexuels, retards, absences, insolences envers la hiérarchie, corruptions diverses…
– Personnels de surveillance : trafics de billets d’entrée et de sortie, des états de retard et d’absence, brutalités verbales et physiques, harcèlements sexuels, intimidations diverses…
– Les diverses hiérarchiques : trafics de recrutements, d’affectations, de nominations…
         b. En milieu scolaire aujourd’hui, violer les règles entraîne rarement une sanction et rapporte gros
– Aux élèves : ils achètent la liberté d’aller et de venir, de faire entrer ce qu’ils veulent (téléphones portables, alcool, drogues ou armes létales), de s’adonner au sexe, aux jeux de cartes, de faire disparaître le produit d’éventuels vols…
– Aux enseignants : trafics de notes, ventes forcées de polycopiés, sous-traitance de cours pour se livrer à des affaires plus lucratives ailleurs…
– Aux différentes hiérarchies : vente des places, des mutations, des nominations, des faveurs diverses…
          c. Le milieu scolaire : une véritable jungle aujourd’hui
– Il tend à devenir ouvert à tout, à tous et tout le temps :
• Les conditions pour devenir élève ou le rester n’existent plus : on y réussit même sans avoir besoin d’être un bon élève.
• N’importe qui peut y enseigner n’importe quoi : du coup l’enseignant y est rarement maître de quoi que ce soit, ni de qui que ce soit.
• N’importe qui peut y occuper n’importe quelle responsabilité : il suffit pour cela d’avoir le montant requis ou la connexion appropriée.
• Les élèves comme les usagers y vont et viennent à leur guise, à temps et à contretemps, et si un surveillant veut faire du zèle, c’est-à-dire au fond son travail, les textes limitent drastiquement ses moyens et son autorité, ou alors les élèves lui règlent son compte sans conséquence.

Conclusion
La violence en milieu scolaire est devenue un phénomène structurel : on ne l’expulsera donc pas par quelques mesurettes conjoncturelles et quelques sanctions circonstancielles, même si celles-ci font obligatoirement partie de l’arsenal. L’espace scolaire doit se règlementer à nouveau pour retrouver les caractéristique fondamentales d’un milieu scolaire : clôture de principe et ouverture conditionnelle soumise à des règles strictement respectées, espace discipliné où nul(le) n’entre ou ne reste s’il/si elle n’est un maître c’est-à-dire quelqu’un de discipliné qui inspire la discipline, ou un disciple, c’est-à-dire quelqu’un qui aspire, par son comportement et son travail, à devenir à son tour un maître. Quand ces conditions-là seront réunies, il ne sera plus nécessaire d’expulser la violence : elle s’en sera allée d’elle-même.