ENSEIGNEMENT À DISTANCE AU CAMEROUN : une entrave supplémentaire qui creuse les inégalités dans l’accès à l’éducation.

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Du fait de la mise en œuvre du e-learning qui ne fait que prendre de l’ampleur depuis bientôt quatre ans dans le système éducatif sans jamais tenir compte de certains préalables, le gouvernement accentue les inégalités dans l’accès à l’éducation, ceci en installant des contraintes supplémentaires qui se muent en limitations pour les apprenants d’une certaine catégorie sociale, ainsi que pour ceux vivant dans les zones déconnectées des réseaux de télécommunication. Cette tranche de la population étant majoritaire, on constate que, si rien n’est fait, l’enseignement à distance va laisser l’essentiel des éducables en marge de la trajectoire du train de la digitalisation des enseignements au Cameroun.

Depuis 2019, le Cameroun comme la plupart des pays du monde a été frappé de plein fouet par une crise sanitaire marquée par la pandémie à corona virus qui s’est faite ressentir dans tous les domaines. Dans le secteur de l’éducation particulièrement, nous avons assisté impuissamment le 19 mars 2019 à l’arrêt brutal et involontaire des cours en présentiel dans le souci de protéger la population en freinant autant que faire se peut la propagation de la maladie ceci en limitant les contacts physiques entre les personnes. Pour atténuer le déficit éducatif causé par la pandémie, les ministères en charge de l’éducation au Cameroun (le MINEDUB, le MINESEC et le MINESUP) ont opté pour l’enseignement à distance.

Cette pratique jusqu’à date encore peu connue par la plupart des citoyens camerounais, a été imposée à la communauté éducative en vue de :

  • Assurer la continuité avec les enseignements brusquement interrompus suite à l’arrivée virulente du corona virus
  • Éviter une déconnexion totale avec l’école (les apprenants étant à quelques mois des examens officiels)
  • Limiter le plus possible les contacts humains entre élèves, élèves-enseignants… ainsi qu’une prolifération rapide du virus (les enfants étant des porteurs sains) ➢ Développer et vulgariser l’enseignement à distance au Cameroun
  • Répondre au déficit imposé par le fractionnement des apprenants en cohortes (système de double flux)

Seuls les trois derniers points restent d’actualité.

Cependant, bien que ce projet soit parti d’une bonne intention, l’on ne peut tout de même s’empêcher de constater amèrement que l’enseignement à distance tel que pensé reste et demeure un mirage dans sa mise en œuvre au Cameroun dans son ensemble. Cette pratique qui pour l’instant se résume à une diffusion télévisée des leçons présentées par des inspecteurs nationaux et des enseignants, via des médias sociaux comme YouTube ou encore via des interactions virtuelles (meet, jitsi meet, zoom, whatsapp…) pénalise tous les apprenants issus des familles à situation économique difficile, des familles « analphabètes » dans le domaine des NTIC ou encore simplement ceux qui vivent en marge des zones couvertes par les réseaux de télécommunication.

De ce constat, l’on est en droit de se poser les questions suivantes : l’enseignement à distance tel que pratiqué au Cameroun ne serait-il pas finalement un freint à l’éducation de nos enfants ? cette pratique telle que perçue n’induirait-elle pas dans son processus de mise en œuvre une forme de marginalisation, de discrimination à l’égard des éducables ? Dans quelle mesure l’enseignement à distance peut-elle profiter à tous les apprenants sur l’étendue du triangle national ?

Le e-learning, qui permet d’enrichir les formations en présentielles par des cours à distance (Karsenti, Karmis ; 2007), constitue assurément comme l’affirment Poliakov et Abramova, (2003)  « un objet d’intérêt en contexte africain dans la mesure où il est considéré comme un outil au service d’une population donnée, et qui la modifie en retour, mais présente néanmoins de nombreux défis liés à la question de la distance (spatiale, temporelle, pédagogique, administrative et socio culturelle) en Afrique ». Au Cameroun, ces défis sont marqués par la non prise en compte des prérequis nécessaires à l’enseignement à distance dont on peut citer entre autres :

  • la non maitrise de l’outil informatique tant par les apprenants que par certains enseignants et parents
  • l’absence de moyens financiers (pour se procurer un smartphone et ou acheter la connexion)
  • l’absence de couverture internet et d’électricité dans de nombreuses parties du pays
  • l’absence de télévision dans certains ménages

Conséquences, les apprenants n’ont pas la possibilité de suivre ni de recevoir les cours ou TP qui leur sont destinés, accusant ainsi un grand retard dans l’apprentissage. Pour ceux des élèves vivant en zones urbaines et disposant des outils et moyens appropriés (téléphones, ordinateurs, électricité, frais de connexion…), ils sont souvent confrontés à de sérieux problèmes tels que la non maitrise de l’outil informatique.

Dans un souci de la bonne marche de l’école post-covid relative à la mise en œuvre effective et optimale de l’enseignement à distance comme méthode palliative aux limitations constatées ou comme innovation dans notre système d’enseignement, il serait donc judicieux de la part des pouvoirs publics de s’assurer continuellement de la mise en place de certaines mesures qui passeraient entre autres par :

  • l’amélioration du taux de couverture nationale des réseaux de communication;
  • un Partenariat efficace entre les opérateurs téléphoniques et les ministères en charge de l’éducation au Cameroun ceci en vue de mettre à la disposition des familles des terminaux numériques (tablettes, smartphones…) des forfaits internet moins couteux;
  • multiplier les campagnes de formation pour la prise en main et la maitrise de l’outil informatique; tant par des enseignants que par les apprenants et les parents;
  • l’instauration d’une prime de connexion pour les enseignants.

En attendant, sur le terrain les inégalités ne cessent de se creuser et de s’accentuer aux grand damne des apprenants qui ne savent à quel sein se vouer.

Par Priscille Babikoussana Oki, Psychologue de l’Education