Recensement biométrique des enseignants: le MINESEC doit des frais de mission à tous ceux qui ont été déplacés !

Roger KAFFO FOKOU, SG/SNAES

0
979

Le ministère des enseignements secondaires a organisé ces deuxième et troisième trimestres 2021 une opération de recensement dit biométrique des personnels qu’il utilise. Le prétexte de celle-ci, que l’on peut comprendre, était le nettoyage d’un fichier des personnels entaché de nombreuses irrégularités : absents, détachés non signalés, immatriculés fictifs, etc. Un an auparavant, la même opération avait été conduite avec les mêmes meilleures intentions, et avant celle-là une foultitude d’autres recensements de même nature, conduits avec le même sérieux apparent pour des résultats, au finish, toujours aussi peu convaincants. Outre que ces recensements occasionnent des dépenses budgétaires qui ne se justifient guère au regard des résultats régulièrement insatisfaisants, ils déplacent nombre d’enseignants sans frais de mission – ce qui est irrégulier – et tournent in fine à la tracasserie, voire à la brimade, nous allons dire en quoi.

Commençons par le côté tracassier de ces recensements. En règle générale, demander à un fonctionnaire de se faire recenser chaque année trahit soit une incompétence, soit une volonté délibérée des responsables desdites opérations d’empêcher d’atteindre les buts recherchés. On se retrouve devant l’un ou plusieurs des cas de figure suivants : soit la procédure n’est pas bien pensée, soit elle l’est mais est mal exécutée ; si elle est mal exécutée, c’est soit par incompétence, soit intentionnellement pour des raisons inavouées ; enfin, soit la procédure est bonne et est bien exécutée mais les résultats sont mal traités, encore une fois par incompétence ou intentionnellement.

Quel que soit le cas de figure qui se vérifie, ceux qui conduisent les opérations de recensement n’on rien à perdre : ils font leur travail et sont même en mission pour cela quand l’opération peut leur coûter financièrement. Ceux qui sont recensés à répétition ont toujours ou presque quelque chose à perdre dont l’importance est variable.

Ceux qui vivent et travaillent dans les villes/localités centres de recensements n’ont que du temps à perdre, mais généralement le déficit d’organisation les expose à de nombreuses humiliations : ils doivent s’aligner sous le soleil ou la pluie – aucune disposition n’est généralement prise pour les en préserver – des heures durant (il suffit parfois de contingenter pour fluidifier mais qui se soucie un tant soit peu du bien-être de ces enseignants qu’on identifie comme s’ils étaient déjà des prévenus ?), souvent ils doivent se bousculer, se froisser les habits et froisser leurs documents, se marcher sur les orteils, s’invectiver, en venir quelquefois aux mains, etc. Au dernier recensement, on a décidé de punir le Lycée Technique de Douala Koumassi parce que les pauvres enseignants de ce Lycée avaient attendu au soleil leur tour deux jours de suite, et n’avaient été admis en salle de recensement qu’en fin d’après-midi du deuxième jour, ce qui naturellement n’avait pas favorisé la sérénité des opérations et du coup, des voix s’étant élevées, les recenseurs avaient jugé cela intolérable. Le recensement de ce lycée avait été annulé, et pour faire bonne mesure, une lettre d’observation collective avait été aveuglement adressée à tous les personnels de ce lycée.

Mais il y a ceux qui vivent dans les périphéries des chefs-lieux de départements et doivent se déplacer pour se faire recenser. Cela fait un déplacement qui peut aller de quelques kilomètres à plus d’une centaine de kilomètres. Il faut alors voyager, se loger et se nourrir. Aux frais de qui ? Juridiquement, la question ne devrait même pas se poser. Le recensement ayant été décidé par l’administration dans l’intérêt de l’administration – elle veut assainir le fichier solde de ses personnels – tous les agents mis dans l’obligation de sortir de leur arrondissement de travail sont d’office en mission aux frais de l’employeur. Mais ce n’est pas ce qui a été fait dans le cas présent. Des enseignants ont été déplacés non pas parce qu’ils sollicitaient un recensement mais parce que l’administration avait besoin de les recenser, mais n’ont pas vu leurs déplacements pris en compte et les frais de ces derniers ont pesé lourdement sur leurs budgets. Et cela n’a pas suffi : certaines personnes ont estimé que ces premiers frais n’avaient pas suffi et n’avaient pas été  suffisamment élevés. Ils ont donc imaginé qu’il fallait recommencer le recensement pour une seconde catégorie de personnels, à déplacer cette fois-ci non plus aux chefs-lieux des départements mais à Yaoundé. On n’est alors plus dans une course de quelques kilomètres, mais dans des déplacements de plusieurs centaines de kilomètres pour de nombreux enseignants concernés. Que ces déplacements se justifient ou non – dans la plupart des cas ils ne se sont guère justifiés : on a ainsi fait venir des enseignants de Guidiguis pour Yaoundé aux seules fins de les prendre en photos, ou de rectifier une peccadille sur leurs noms ou prénoms – n’enlève rien au fait qu’ils sont normalement des missions, doivent être considérés et traités comme tels. On est tellement habitué, depuis le temps, à déplacer les enseignants sans frais, pour des séminaires pédagogiques par exemple, pour les mutations même d’office sans frais de relève, pour les congés annuels, ou quand on fait un petit effort pour des taux forfaitaires qu’aucun texte de la République ne reconnait et c’est le cas dans le cadre des examens, que demander aux administrateurs installés à Yaoundé de payer aux enseignants leurs dus quand ils les déplacent, c’est comme s’il s’agissait de prendre sur leurs salaires pour donner à ces collègues. On n’est point étonné que le moindre prétexte soit bon pour déplacer des enseignants, puisque cela ne coûte strictement rien à l’utilisateur ou au donneur d’ordre.

Dans le cas de l’actuel recensement dont le seul qui y a intérêt est le MINESEC il faut insister là-dessus, les profils des personnes convoquées à Yaoundé sont très variés et posent de nombreuses questions. On y trouve des enseignants en poste, à qui rien n’est reproché, et à qui au terme de ce double recensement on ne trouve toujours pas de faute à leur imputer. Entre temps, ils auront, pour certains, dépensé tout leur salaire d’un mois pour venir à Yaoundé faire constater que leur proviseur avait oublié de nettoyer ou mettre à jour son fichier du personnel, ou que l’agent recenseur avait omis un détail lors de son recensement initial. Il y a des enseignants de retour du second cycle de l’ENS, affectés dans de nouveaux établissements mais que l’on considère absents sur la base des documents de leurs anciens établissements, lesquels ont conservé leurs noms sans tenir compte de ce qu’ils étaient retournés en formation et qu’à l’issue de celle-ci, il est de tradition de les affecter ailleurs. Il y a des enseignants passés dans l’Enseignement supérieur depuis des années et qui pour cela ont obtenu une autorisation écrite du MINESEC, mais dont les noms sont restés dans les fichiers des enseignements secondaires… parce que personne n’a jugé bon de bien faire son travail, et il faut qu’ils reviennent de Buea, Maroua, Dschang, Bamenda pour se justifier à Yaoundé, à leurs frais, parce qu’une certaine administration et ceux qui l’incarnent ne sont jamais responsables de rien. Mais il y a aussi des absents tout court, partis vers d’autres cieux brouter une herbe plus verte. Et face à ceux-là, il y a tous ceux qui travaillent et se sacrifient pour des salaires que certains dédaignent, et il faudra leur expliquer pourquoi il faut les tracasser chaque année, les faire dépenser chaque année, comme s’ils étaient comptables des indélicatesses de ceux qui ont désertés.

Nous voulons ici informer tous les enseignants qui ont été déplacés à l’occasion de ce recensement qu’ils ont droit à une feuille de mission pour ceux qui n’ont effectué qu’un déplacement, et à deux feuilles de mission pour ceux qui ont effectué deux déplacements. Et un droit, cela se revendique si l’on veut qu’il soit pris en compte. Le MINESEC, au nom de l’Etat, leur doit ces feuilles de mission et les frais y afférents. Ces missions que l’on refuse de payer aux enseignants, les fonctionnaires et agents d’autres administrations se les voient payer, et ils ne sont pas pour cela plus travailleurs que les enseignants, ni plus Camerounais que les enseignants. Si ces frais avaient été pris en compte depuis le temps qu’on déplace les enseignants pour les recenser, puis les re-recenser et recommencer encore et encore, soit ces recensements auraient été mieux organisés, mieux exécutés et leurs données mieux traitées, soit on réfléchirait à deux fois au moins avant de les multiplier.