Les études en matière de chronobiologie sont formelles : les parents qui enverront leurs enfants faire l’école de l’après-midi du lundi à vendredi (13h à 17h30 puis le samedi de 07h30 à 12h30) doivent savoir que ces derniers seront réceptifs uniquement la moitié du temps (2 heures en moyenne par jour) et ceci à condition que les enseignants pratiquent la classe inversée, sinon ils ne le seront pas, excepté le samedi matin.
Avec la pandémie à COVID 19, le système éducatif camerounais qui n’offre que quelques 2342 établissements secondaires publics[1] pour un peu plus de 1,3 millions d’élèves[2] (PME 2020) ne parvient pas à offrir à tous les élèves, dans des conditions de scolarisation respectant la distanciation sociale, huit heures journalières d’enseignement obligatoire comme par le passé. Pour répondre à la difficulté liée aux mesures barrières, les instructions du Premier Ministre lors de l’année scolaire 2020-2021 étaient de limiter les effectifs canoniques à 50 par classe, ce qui avait contraint les établissements à forts effectifs à réduire le temps journalier d’enseignement à 5 , voire 4,5 heures dans un système à double flux (matin et soir). Cette année, on apprend par l’arrêté conjoint N°078/B1/1464 du 25 Aout 2021 fixant le calendrier de l’année scolaire 2021/2022 en son article 14, que cet effectif a augmenté de 20% pour atteindre les 60 recommandés ultérieurement par le MINESEC en 2016 pour une classe dite « normale » avant l’arrivée du Covid 19. Malheureusement, même avec cette augmentation de la capacité d’accueil des structures éducatives, une portion importante des élèves (environ 60%) aura une éducation de moindre qualité à cause d’un système de mi-temps dont les conséquences pour l’instant ne sont pas tout à fait prises en compte dans l’organisation pédagogique et les pratiques y afférentes.
En effet, si on se réfère aux nombreux travaux en chronobiologie (Montagner, 1992, Testu 1996, 2000…) notamment en ce qui concerne le rythme circadien lié à la vigilance et le rythme ultradien associé à l’efficacité et à l’attention, il ressort qu’il n’y a que dans l’intervalle de 8h30/9h00 à 11h00/11h30 que la vigilance est forte pour la mémoire à court terme (mémoire travail, acquisition du savoir prédicatif, factuel…), et de 15h00/16h00 à 19h30/20h00, elle est forte pour la mémoire à long termes (réinvestissement, transfert, savoir opératoire…). Les élèves qui iront à l’école le matin et pratiqueront une éducation à l’endroit, puis essaieront de résoudre les situations de transfert le soir capitaliseront leur moment de vigilance au service de leur développement intellectuel. Au contraire, ceux qui le matin essaieront de faire à la maison les exercices données la veille à l’école, l’après-midi de 12h00 à 16h00, pendant l’essentiel de leur temps scolaire, seront dans la phase de faible vigilance d’où ils se réveilleront à 16h00 pratiquement à la fin du déploiement des enseignants (à 17h30). Autant dire que dans cette configuration, seuls les élèves ayant des répertoires cognitifs primaires conséquents pourront s’en sortir, ceux qui iront à l’école dans l’après-midi avec pour objectif d’apprendre feraient alors mieux de trouver une alternative pour plus d’efficience. Les apprenant qui seront du flux de l’après-midi hériteront d’un plus mauvais traitement que ceux du matin.
Il faut noter qu’à ce problème chronobiologique, s’ajoute le libertinage, l’ennui, le besoin, le vice et la tentation, occasionnés d’une part par les longues périodes sans encadrement formel (ni scolaire, ni parental) le matin, le retour tardif de l’école au milieu des embouteillages, des bouchons et des délinquants, puis d’autre part, par la période d’adolescence qui pousse l’élève à expérimenter son corps à travers toutes les formes d’expériences imaginables ou non. Si la pandémie nous impose en zone urbaine à forts effectifs un fonctionnement en double flux, il nous appartient de faire tout notre possible pour ne pas jeter en pâture à toutes les formes de vices et de déviances une partie de notre jeunesse. Si des mesures conséquentes ne sont pas prises à temps, la déscolarisation, le décrochage scolaire, la délinquance juvénile et l’inefficacité de notre éducation tant interne qu’externe risquent de s’exacerber davantage.
Quelques aménagements pédagogiques s’imposent alors pour ne pas complètement se laisser dépasser par ces faits biologiques.
Premièrement, il faut tout faire pour améliorer le climat social délétère qui règne dans le corps du personnel des Enseignements Secondaires avec des mesures concrètes, parce qu’un enseignant démotivé jour après jour ne peut pas produire un bon rendement, encore moins quand il est “de midi”. Deuxièmement, les élèves “de midi” doivent absolument être soumis à une pédagogie active de type classe inversée avec dans la première partie de l’après-midi (jusqu’à 15H) des activités simples, participatives et animées grâce à des techniques d’apprentissage dynamique qui peuvent même être ludiques dans la mesure du possible, de préférence dans les matières du deuxième ou troisième groupe pour le cas des classes de spécialité ou du second cycle. Dans la deuxième partie de la soirée, les activités de construction des schèmes cibles ou de transfert (régulation constructive et productive) par le biais d’inducteurs de problématisation efficaces doivent avoir cours. il s’agirait ici essentiellement d’activités de haut degré cognitif et non pas de faire recopier les élèves comme il est encore malheureusement coutume dans plusieurs cas de figure de pratiques pédagogiques courantes. Troisièmement, un dispositif de continuité pédagogique efficace doit être mis sur pied, permettant d’encadrer tant les apprenants du matin, le soir, que ceux de l’après-midi, le matin. Un enfant qui passe toute sa journée au champ, dans les marchés à vendre, devant la télévision à se distraire ou à ne rien faire, ne sera pas capable d’être ni vigilant, ni attentif et encore moins efficace dans l’après-midi pour répondre aux exigences d’une école des compétences.
Quelle que soit la détermination des élèves, l’aménagement et la gestion de leur temps extra scolaire et la bonne volonté des parents, si des mesures conséquentes au sujet des rythmes circadien et ultradien en lien avec la Vigilance, l’efficacité et l’attention des élèves ne sont pas prises, nous allons acter le sacrifice des enfants qui fonderont leur espoir d’apprentissage sur l’école publique du Cameroun. Vivement que la stratégie éducative des Enseignements Secondaires prenne en compte ces problèmes et intègre les pistes de solutions disponibles, dont celles présentées ici.
[1] Selon le fichier SPIDER des Ressources Humaine du MINESEC
[2] Chiffre du Système d’information et de Gestion de l’éducation donnée par le Partenaire Mondial pour l’Education en Mai 2020