Vous acceptez une main aux fesses le mardi mais êtes intraitable les autres jours ? Tentez le fleximinisme !

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Par Jean-Marc Proust

Publié le 28/07/2022 à 12:34

Venu de la côte est des États-Unis, un nouveau mouvement féministe s’installe dans l’Hexagone : le fleximinisme. Une nouvelle étape, à la fois radicale et pragmatique de la lutte contre le patriarcat, décrypte notre chroniqueur Jean-Marc Proust. Attention, toute ressemblance avec des personnes ou des situations ayant existé ne saurait être que fortuite.

Elle s’appelle Aurélie (les prénoms ont été changés) et se définit comme flexiministe, c’est-à-dire « féministe enragée », mais « pas à plein temps ». Le vendredi soir où nous l’avons rencontrée, elle collait des slogans féministes sur les murs du 18e arrondissement de Paris : « Patriarcat partout, justice nulle part », « Non à toutes les violences sexuelles et coloniales ». Avec une vie familiale et professionnelle « bien remplie », elle indique ne pas pouvoir se consacrer entièrement aux luttes. « Mon féminisme est à temps partiel. Je dois choisir mes combats et le temps à leur consacrer. Au bureau, j’accepte d’être moins bien payée et à la maison, c’est moi qui fais à peu près tout mais je suis très active sur les réseaux sociaux. » Aurélie a immédiatement été séduite par le fleximinisme, qui lui permet d’être à la fois « en alerte permanente, hyperrevendicative et informée » et de « relâcher la pression de temps en temps ».

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Associant flexibilité et féminisme, ce mot-valise nous vient tout droit des États-Unis où le mouvement est né il y a moins de deux ans. « Le concept est proche de celui du flexitarian qui refuse de manger de la viande par conviction, mais assume de faire parfois honneur à un bon hamburger en famille explique Martina Denocke, professeure en neo gender studies à l’université de Pricelton. C’est une démarche progressiste qui accepte de faire un bout de chemin avec les conservateurs pour nouer le dialogue et faire avancer la cause. Par exemple, si vous êtes flexi-minist vous n’acceptez pas d’être attrapée par la chatte mais vous pouvez rire de la bonne blague. Vous acceptez une main aux fesses le mardi mais vous êtes intraitable les autres jours. Ça permet de discuter avec l’ennemi. »

DURA FLEX, SED FLEX

De fait, lassées d’être en opposition permanente avec le patriarcat, de plus en plus de néoféministes optent pour le « flexi », qui leur permet de souffler entre deux luttes. Quitte à mettre parfois de côté leurs convictions. Nora a ainsi renoncé à demander une augmentation cette année, parce qu’elle sait qu’en décembre, elle devra préparer les fêtes de fin d’année. « Mon mec n’en a rien à foutre, ça lui passe totalement au-dessus de la tête. Mais, moi, j’y tiens. On a invité toute sa famille et j’ai envie qu’ils se sentent bien reçus. J’aurai un cadeau personnalisé pour chacun, je vais cuisiner des heures… Si en plus je devais demander une augmentation… Ça doublerait ma charge mentale… » Heureusement, après le flex vient le minisme : dès le mois de janvier, elle prendra dix jours pour un « stage de sororité émancipatrice ». « Ça me coûte un bras mais… la lutte avant tout. » Pour avoir l’esprit tranquille, elle demandera à la nounou de faire des heures supplémentaires « et un peu de ménage. Pas envie de retrouver la maison en vrac à mon retour ! »

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Ce ne serait pas un peu contradictoire tout cela ? Maîtresse de conférences au département des études « genre, slam, food, intersectionnalités » de l’université Romorantin-III, Agnès Berthelot balaie l’objection : « l’immersion régulière dans l’oppression est nécessaire pour retrouver le sens de l’émancipation. En d’autres termes : faire la vaisselle pendant que Monsieur regarde le foot vous donne envie de porter plainte. Si Monsieur s’occupe des enfants et fait le ménage, votre charge mentale diminue et vous ne comprenez plus pourquoi la lutte est nécessaire. » Des propos confirmés par Martina Denocke : « Autre exemple : vous pratiquez l’écriture inclusive, mais vous devez utiliser un ordinateur patriarcal [dont le clavier ne permet pas le point médian]. Alors vous êtes obligé.e d’envoyer un mail non inclusif. Et le flex vous met dans une rage telle que votre féminisme gagne en vigueur. »

FLEXI-ÉDUCATIF

C’est exactement ce que ressent Véronique, pour qui la « pause ponctuelle du féminisme » est un outil redoutable. Pour elle, la confrontation avec la violence patriarcale est une nécessité car elle renforce le sentiment d’injustice et donc les convictions. « La semaine dernière, mon mari voulait faire l’amour mais je n’en avais pas envie. J’ai fini par accepter et me laisser faire, parce que le viol conjugal nourrit mon combat. Quand il a eu fini, je lui ai dit : “merci de m’avoir violée, ça m’aide !” Je crois que ça l’a fait progresser lui aussi. J’ai senti qu’il était un peu déconstruit. » Au petit-déjeuner, Véronique a expliqué aux enfants que « cette nuit, maman a été violée par papa », pour les aider à s’approprier la notion de consentement. « Mon mari était un peu réticent, mais il a fini par comprendre la démarche. Les enfants étaient très à l’écoute, c’était un beau moment de justice. Hadrien a même prévu d’en faire un exposé en classe », se réjouit-elle.

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Par sa souplesse, le fleximinisme gagne en effet de nombreux hommes à sa cause. Certains sont tellement convaincus qu’ils se rendent à peine compte du changement opéré dans leur vie de couple et de famille. Ainsi, joint par téléphone, Antoine, le compagnon d’Aurélie, se dit surpris : « Je ne savais pas qu’elle était flexiministe. Évidemment, je sais qu’elle sort avec ses copines dingos pour tagger des murs mais si ça lui fait plaisir, ça me va, du moment que la maison est bien tenue. » Ouille, c’est pas un peu patriarcal, ça, comme remarque ? Il sourit : « Bien vu ! Disons que je suis flexiministe, moi aussi. » Ou flexipatriarcal ?