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CES de Nkol-Melen : le RENAFE descend sur le terrain. 

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CES de Nkol-Melen : le RENAFE descend sur le terrain

Le Réseau National des Femmes du SNAES (RENAFE) a effectué une visite de travail dans le département de la Lékié et principalement au CES de Nkol-Melen, le mardi 12 Septembre dernier. Profitant de la tenue de l’Assemblée Générale des personnels de cet établissement, le RENAFE est allé à la rencontre des enseignantes et les enseignants. L’objet de cette visite savamment préparée était la présentation de la convention 190 (C190) de l’Organisation Internationale du travail (OIT) sur la violence et le harcèlement dans le monde du travail et la recommandation N°206 qui l’accompagne.

Cette rencontre a aussi été l’occasion de présenter la faiblesse du leadership féminin dans le ministère des enseignements secondaires. La faible représentativité des femmes aux postes de responsabilité est la conséquence de leur faible mobilisation et de leur faible engagement que ce soit dans le mouvement syndical ou dans la profession enseignante. Les femmes semblent se contenter de très peu et préfèrent pour la plupart se faire entretenir. Ce manque d’ambition est un véritable frein au développement de la profession et de la société toute entière.

Et pourtant chaque femme est une valeur. Elles ont toutes quelque chose à donner. C’est donc le défaut de leadership transformationnel qui peut expliquer la léthargie au sein du milieu féminin dans la profession enseignante. Or la société a besoin de tous ses talents et de toutes ses compétences pour se développer. D’où l’urgence d’une formation en leadership transformationnel.

Le RENAFE a également profité de la tribune pour présenter la convention nationale des femmes pour la paix au Cameroun, mouvement né en juillet 2021 et qui regroupe à ce jour plus de 70 associations féminines unies pour lutter contre les violences et construire la paix. Il s’agit là d’un autre terrain sur lequel les femmes enseignantes sont attendues. Leur double rôle de mère et d’éducatrice les prédispose à être à l’avant-garde de cette lutte pour la paix durable au Cameroun.

Les enseignantes du CES de Nkol-Melen ont été invitées à s’investir pleinement dans le combat au sein de leur établissement à travers le projet un pas vers la paix. De leur engagement dépend l’avenir du Cameroun  qui en a tant besoin pour son essor véritable.

                                                                                      KAPTCHE DEFFO Désirée

La règle du trentième indivisible non conforme à la Charte sociale européenne

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Comité européen des droits sociaux, 14 février 2023, réclamation n°155/2017, Confédération générale du travail (CGT) c. France1

Thomas Boussarie

RÉSUMÉ

En confrontant la règle du trentième indivisible à la Charte sociale européenne, le Comité européen des droits sociaux prend part à un débat aussi ancien que passionnel relatif à l’exercice du droit de grève. Il se positionne – sans surprise – contre les retenues sur traitement effectuées par l’administration française qui prélève l’équivalent d’une journée de travail pour toute grève inférieure à journée. Cette décision de non-conformité permet de revenir sur une règle dont l’histoire et la pratique demeurent assez méconnues malgré les nombreuses controverses qui jalonnent son existence. Au-delà des postures antagonistes, remplacer la règle du trentième indivisible par un dispositif prorata temporis pourrait être autant défavorable aux agents grévistes qu’à l’administration…

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PLAN

I/- L’objet incertain de la règle du trentième indivisible

A/- L’objet neutre : une règle comptable de liquidation des rémunérations

B/- L’objet punitif : une règle de sanction des grèves infrajournalières

II/- Les effets contestables de la règle du trentième indivisible

A/- Une restriction injustifiée du droit de grève

B/- Une discrimination entre les agents publics

TEXTE INTÉGRAL

1Le Comité européen des droits sociaux a dû apprécier la conformité à la Charte de la règle du trentième indivisible, l’une des plus vénérables du droit français de la fonction publique, dont l’héritage bi séculaire s’adapte difficilement aux évolutions ayant traversé la matière depuis le début du XIXe siècle. Commençons par la fin : la lecture de la décision du Comité suscite un sentiment mitigé en raison de la complexité de l’affaire. Les sources ne se laissent pas facilement domestiquer, tant s’en faut, car elles sont devenues disparates sous l’effet des multiples réformes entreprises depuis les années 1960 et récemment parachevées par la publication du code général de la fonction publique (CGFP). La réclamation navigue en eaux troubles : la nature comptable de la règle du trentième indivisible impose une connaissance minimale des mécanismes de liquidation de la rémunération des agents publics et, surtout, de sa pratique. L’analyse juridique se heurte à des arguments éminemment politiques qui justifient en grande partie l’existence de cette règle ancienne contraire au droit de grève et au principe de non-discrimination. Le débat en ressort désincarné comme bien souvent face à la règlementation du droit de grève2.

2La compréhension de la décision du Comité nécessite au préalable un long détour généalogique pour restituer le patrimoine de la règle du trentième indivisible. Elle aurait pour origine – à lire la plupart des auteurs – le règlement général sur la comptabilité publique de 1838 puis de 18623. Cette observation s’avère partiellement inexacte, car ces textes se contentent de reprendre la règle du service fait sans référence explicite à une part indivisible du traitement4. La règle du trentième indivisible naquit plutôt dans la multitude des règlements pris pour l’application du règlement général sur la comptabilité publique. La source la plus ancienne, du moins à notre connaissance, réside à l’article 90 du règlement de comptabilité des dépenses du ministère des Finances du 26 janvier 1846 : « Chaque mois, quel que soit le nombre de jours dont il se compose, compte pour trente jours ; le douzième de l’allocation annuelle se divise en conséquence, par trentième, et chaque trentième est indivisible »5. Cette fiction facilite la liquidation mensuelle des rémunérations, car elle l’uniformise en présumant que chaque mois se compose de trente jours dont chacun correspond à un trentième (indivisible) du douzième de l’allocation annuelle. Loin d’être générale, la « règle » ne fut à ses débuts qu’une somme de dispositions spéciales appliquées aux ministères l’ayant consacrée dans leur texte de comptabilité.

3La règle ne pose aucune difficulté particulière pendant plus d’un siècle jusqu’à la reconnaissance du droit de grève des fonctionnaires. L’administration est alors tentée d’en tirer toutes les conséquences, afin de prévenir les grèves de courte durée. Certains services déduisent de la règle du trentième indivisible que toute absence inférieure à une journée, serait-ce de quelques minutes, emporte une retenue du traitement afférent à une journée entière de travail ; symétriquement, le service incomplet ne fait l’objet d’aucune rétribution en dérogeant ainsi à la règle du service fait. L’administration exploite les conséquences négatives de la règle du trentième indivisible sur les interruptions de travail de moins d’une journée suivant une interprétation extensive. Quand bien même son existence est-elle antérieure au droit de grève, le déploiement de ses effets infrajournaliers à partir de la seconde moitié du XXsiècle – au moment même de la reconnaissance de ce droit – suffit à douter de sa « neutralité » comptable et révèle la volonté indicible de « sanctionner » certaines grèves. Le Conseil d’État prend d’ailleurs conscience du dévoiement de la règle. La section du contentieux annule d’abord une circulaire du ministère de la Fonction publique prescrivant que toute grève limitée à une fraction de la journée doive entraîner la privation du traitement pour la journée entière6. Le juge se contente d’invoquer la règle du service fait en l’absence d’un règlement particulier applicable à ce ministère consacrant la règle du trentième indivisible – qui « ne peut être regardée comme ayant une portée générale » – et sur le fondement de laquelle aurait pu être éventuellement discutée une telle privation. L’année suivante, l’Assemblée du contentieux est saisie d’un décret du ministre des PTT pris pour l’exécution du règlement général sur la comptabilité publique et instituant la règle du trentième indivisible7. Le Conseil d’État refuse l’interprétation de l’administration qui consiste à l’utiliser pour fonder une privation de traitement : « ces prescriptions, qui n’ont été édictées que pour des fins d’ordre comptable, n’ont ni pour objet ni pour effet d’autoriser l’administration à ne pas payer le traitement afférent à une journée de travail au cas où le fonctionnaire intéressé n’a accompli son service que pendant une partie de la journée »8. La porte n’est pas complètement fermée, car le juge rappelle que « tout service fait par un agent d’un service public doit comporter une rémunération, à moins qu’une disposition présentant un caractère subsidiaire n’autorise expressément une dérogation à cette règle »9. Le Conseil d’État bâtit un raisonnement toujours d’actualité : les agents doivent être rémunérés après service fait (principe) sauf si une disposition expresse déroge à cette règle (exception). La règle du trentième indivisible ne peut être assimilée à une telle exception, tout du moins avant 1961, dans la mesure où elle se contente de fractionner le temps de travail à des fins comptables sans préciser explicitement sa vocation à priver les agents de leur traitement dans les cas où ils accomplissent leur service pendant une partie de la journée. Elle reste en soi parfaitement légale à condition de ne pas être interprétée de manière extensive, comme le fit l’administration, en refusant le paiement des jours partiellement travaillés, notamment pour cause de grève. À défaut de disposition contraire, la règle du service fait impose une retenue prorata temporis en cas de grève inférieure à une journée : si l’exigibilité de la rémunération dépend du service fait, elle ne peut être que proportionnelle au temps de travail effectué par l’agent.

4En réaction à la jurisprudence du Conseil d’État, le Gouvernement adopte le 19 mai 1961 un décret qui consacre la règle du trentième indivisible à l’ensemble de la fonction publique de l’État et, surtout, précise les effets d’une absence de service pendant une partie quelconque de la journée : « [elle] donne lieu à une retenue dont le montant est égal à la fraction du traitement frappée d’indivisibilité »10, c’est-à-dire un trentième de la rémunération mensuelle. Malgré son caractère explicite, cette disposition ne résiste pas aux nouvelles sources du droit de la fonction publique : d’une part, l’ordonnance du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires attribue une valeur législative à la règle du service fait11 ; d’autre part, l’article 34 de la Constitution de 1958 permet de l’assimiler à une garantie fondamentale accordée au fonctionnaire. Le Conseil d’État ne pouvait qu’annuler le décret de 1961, pris sur le fondement de l’ordonnance de 1959, en ce qu’il apportait une restriction à un principe législatif par la voie réglementaire12. Entre-temps, le Gouvernement anticipe13 la décision du juge administratif en faisant adopter par le Parlement une disposition législative qui reprend le contenu du décret querellé (article 4 de la loi de finances rectificative pour 1961)14. Pendant une vingtaine d’années, le champ de la règle du trentième indivisible s’élargit d’un point de vue organique et matériel : elle s’applique au-delà des personnels de l’État et de ses établissements publics administratifs à certaines collectivités territoriales ainsi qu’aux institutions chargées de la gestion d’un service public15 ; et, la notion de service fait s’adapte aux nouvelles formes de grève en excluant les cas où les agents, même lorsqu’ils effectuent leurs heures de service, n’exécutent pas tout ou partie de leurs obligations16. La censure partielle du Conseil constitutionnel conjuguée aux abrogations prévues par la loi de 1987 complexifient l’état du droit : si le juge accepte le mécanisme de retenue automatique s’agissant de la rémunération des agents de l’État et de ses établissements publics administratifs, à l’inverse, il refuse son application aux collectivités territoriales ainsi qu’aux autres institutions chargées d’une mission de service public17.

5Le Comité européen des droits sociaux dut composer avec un édifice byzantin : pour la fonction publique de l’État, s’applique donc la règle du trentième indivisible telle que consacrée par la loi de finances rectificative de 1961 et codifiée depuis aux articles L. 711-1 à L. 711-3 du CGFP ; et, pour la fonction publique territoriale et hospitalière, l’absence de texte induit un retour aux solutions jurisprudentielles, c’est-à-dire à un prélèvement proportionné au temps de grève, même s’il est inférieur à une journée18.

6Le Comité a été saisi d’une réclamation collective présentée par la CGT à l’encontre de la règle du trentième indivisible appliquée aux agents de l’État et à ses établissements publics administratifs. Les conclusions de la CGT se contentent de demander au Comité de constater que la France ne satisfait pas à ses obligations tirées de la Charte concernant le droit de grève. Face à un dispositif juridique variant au gré de la qualité des agents, le Comité élargit son contrôle en confrontant également la règle du trentième indivisible au principe de non-discrimination (cf. §28). Sans grand étonnement – compte tenu des positions antérieurement exprimées par le Comité dans le cadre de la procédure d’examen des rapports nationaux (cf. §57) – la règle du trentième indivisible emporte une double violation de la Charte à la fois du droit de grève et du principe de non-discrimination.

7Gageons que la décision de non-conformité du Comité ne suscite aucune réaction : son audace s’avère inversement proportionnelle à sa magistrature d’influence19. Cette absence d’effet ne prive pas la décision d’intérêt, car les arguments du Comité et des parties révèlent les faiblesses juridiques de la règle trentième indivisible, tenant à son objet incertain (I) et à ses effets contestables (II), qui résisteraient difficilement aux contrôles juridictionnels auxquels elle pourrait être éventuellement soumise.

I/- L’objet incertain de la règle du trentième indivisible

8Depuis le milieu du XXe siècle, la règle du trentième indivisible balance constamment entre un objet neutre et un objet répressif20 selon qu’elle est considérée comme une règle comptable (A) ou comme une sanction à l’encontre du droit de grève (B).

A/- L’objet neutre : une règle comptable de liquidation des rémunérations

9L’argument est celui du Gouvernement en défense : la règle du trentième indivisible serait « neutre », car « purement comptable » (cf. §45). Il peut se prévaloir, en droit interne, de l’appui du Conseil constitutionnel dont sa jurisprudence a déjà tranché le débat : « la retenue sur traitement est une mesure de portée comptable et n’a pas, par elle-même, le caractère d’une pénalité financière »21. La neutralité de la règle serait induite par l’indifférence de l’administration envers le comportement des agents : quel que soit le motif d’absence au cours d’une journée, celui-ci implique toujours une retenue d’un trentième. L’ensemble des services incomplets tombent indistinctement dans le champ de la règle sans particulariser les grèves des autres situations. L’adoption de ce raisonnement revient à désaxer le débat contentieux de la dialectique qui oppose la règle du trentième indivisible à l’exercice du droit de grève en neutralisant son objet.

10La défense du Gouvernement fait volontairement fi des enjeux politiques. Elle repose sur une conception de la comptabilité qui confine à la caricature, comme si sa prétendue « pureté » permettait de la réduire à une somme d’actions apolitiques effectuées par des comptables robotisés. Parfois, les tenants de la neutralité invoquent un argument chronologique : la règle du trentième indivisible apparaissant un siècle avant la consécration du droit de grève, sa préexistence refléterait une forme de désintéressement originel envers les motifs d’absence des agents. Cette (re)lecture de l’histoire peine à convaincre, car le déploiement de ses effets négatifs coïncide avec la multiplication des mouvements de grève. Les débats qui précèdent les réformes de la règle du trentième indivisible ont toujours été entièrement tournés vers l’exercice du droit de grève. En 1961, lorsque le projet de loi de finances rectificative propose d’attribuer à la règle un caractère législatif, les travaux du Sénat résument sans ambages la volonté du Gouvernement : « En clair, ce texte signifie que lorsqu’un fonctionnaire se mettra en grève pour une durée inférieure à la journée, il se verra privé de la rémunération afférente à la journée entière, fraction indivisible de son traitement »22. En 1982, à l’inverse, l’abrogation de la retenue résulte d’un engagement de compagne de François Mitterrand relayé ensuite par le ministre chargé de la fonction publique : « une de mes premières préoccupations concerne le droit de grève dans la fonction publique, dont les limitations doivent être supprimées »23. En 1987, le Gouvernement de Jacques Chirac appelle de ses vœux un retour de la règle en raison du fait que « les récents évènements démontrent qu’il est désormais possible de multiplier abusivement les grèves de courte durée, provoquant des perturbations considérables dans la vie économique et sociale de la nation, sans que les agents concernés en subissent de conséquences financières vraiment significatives »24. Le décalage entre la neutralité formelle de la règle et la politisation de ses enjeux ne constitue pas un moyen recevable pour fonder un contrôle juridique. Le Comité contourne ce « terrain miné » en adoptant une interprétation littérale des disposions du nouveau code général de la fonction publique dans un registre tout aussi formaliste que celui du Gouvernement.

11La loi de finances rectificative de 1961 a été codifiée de manière lacunaire. Les trois anciens alinéas de l’article 4 ont été scindés en trois articles : l’article L. 711-1 consacre la rémunération des agents publics après service fait (anc. alinéa n°1), l’article L. 711-2 définit la notion de service fait (anc. alinéa 2) et l’article L. 711-3 déclare que toute absence de service pendant une fraction quelconque de la journée donne lieu à une retenue dont le montant est égal à un trentième (anc. alinéa 3). La difficulté provenait de la variation du champ d’application de ces alinéas, car les deux premiers concernent l’ensemble des agents publics et le dernier seulement ceux de l’État et de ses établissements publics administratifs. Par une volonté salutaire de faciliter la lisibilité du dispositif, le codificateur a complété l’ancien alinéa 3 de manière à préciser ses destinataires. S’il eût été satisfaisant d’écrire que « les dispositions du présent article sont applicables aux seuls agents publics de l’État », les rédacteurs ont souhaité apporter une précision supplémentaire en ajoutant à la fin de l’article L. 711-3 que « les dispositions du présent article sont applicables aux seuls agents publics de l’État déclarés grévistes ». Cette formule maladroite fait perdre à la règle sa « neutralité » comptable : elle ne vise plus tous les motifs d’absence, mais uniquement les situations de grève. Le Comité s’engouffre dans la brèche en soulignant que « le fait générateur de la retenue est précisément la grève et non l’inexécution du service en tant que telle, contrairement à ce que le Gouvernement a indiqué dans son mémoire » (cf. §62). Toutefois, il est fort probable que la nouvelle rédaction de l’article L. 711-3 ne produise pas les effets que lui prête le Comité et que tout service incomplet, au-delà de la grève, impose toujours une retenue d’un trentième. Cette supposition peut être confortée par les termes de l’habilitation à codifier à droit constant : si le Gouvernement pouvait introduire – ce qui n’a rien d’inhabituel – des éléments qui facilitent la lecture des dispositions, comme des définitions ou des précisions relatives au champ d’application de certains articles, il lui était impossible d’amputer ainsi la règle du trentième indivisible sans habilitation explicite à entreprendre une telle modification. Prolonger l’argument du Comité dans le cadre du droit interne susciterait inévitablement une interrogation sur l’éventuelle violation de la loi d’habilitation par l’article L. 711-3, d’autant plus que l’ordonnance du CGFP n’a pas encore été ratifiée25. Quoi qu’il en soit, l’erreur de plume révèle l’objet premier de la règle dans l’esprit du codificateur qui sert surtout à « sanctionner » les grèves infrajournalières.

B/- L’objet punitif : une règle de sanction des grèves infrajournalières

12La CGT allègue que « sanctionner pécuniairement » les agents de l’État limite injustement le droit de grève et incite les agents à éviter les cessations concertées de travail inférieures à une journée (cf. §42). Le Gouvernement lui oppose la jurisprudence du Conseil constitutionnel – qui fait écho à celle du Conseil d’État – en considérant que la retenue opérée n’a pas « le caractère d’une pénalité financière »26 ou « le caractère d’une mesure disciplinaire »27 compte tenu de sa nature comptable. Le Comité retient le « caractère punitif » (cf. §66) de la règle du trentième indivisible dans le sillage de la position de la CGT. Le raisonnement suivi interdit tout mécanisme qui installe une disproportion entre le temps de grève et ses effets financiers : sauf à être assimilée à une « sanction » contraire à l’article 6§4 de la Charte, la retenue ne peut être supérieure à la rémunération qui aurait dû être normalement perçue par l’agent gréviste durant cette période (cf. §63). Dès lors, la règle du trentième indivisible apparaît comme consubstantiellement incompatible avec le droit de grève, du moins tel que protégé par la Charte, lorsqu’il s’exerce dans un délai inférieur à une journée.

13« Punition », « sanction », « répression » sont des qualificatifs dont l’emploi paraît inadapté pour décrire les conséquences de la grève dans la mesure où elle ne constitue pas une faute susceptible de faire l’objet d’une mesure disciplinaire. Qu’importe la légalité de la règle du trentième indivisible, elle ne saurait sanctionner l’agent sur le fondement d’un manquement à une quelconque obligation professionnelle, car l’inexécution du service reste ici parfaitement licite28. Le concept de « sanction disciplinaire déguisée »29 pourrait servir de pis-aller, mais son domaine de prédilection est celui des mesures injustement prises dans l’intérêt du service par l’administration en réponse, la plupart du temps, à un acte de l’agent jugé fautif – à l’inverse de l’exercice du droit de grève. Cette qualification restreint également le potentiel de la règle qui ne réside pas tant dans la « sanction » que dans la limitation des grèves inférieures à une journée en raison de ses effets dissuasifs.

14Le propos se heurte à un débat binaire : ses opposants utilisent la notion de sanction pour mieux disqualifier la règle du trentième indivisible sans qu’aucune faute ne soit identifiable ; ses partisans l’excluent pour lui préférer une qualification comptable qui l’enferme dans le domaine prétendument « neutre » de la liquidation des rémunérations. En l’état de la législation française, le raisonnement peut conduire tout autant à qualifier la règle par son objet comptable (comme les juridictions nationales) ou par son objet répressif (comme le Comité). Les deux positions peuvent même cohabiter : « S’il n’est pas douteux que la règle du trentième indivisible est une mesure de portée comptable qui n’a pas, en elle-même, pour objet de porter atteinte au droit de grève, n’a-t-elle pas indirectement un tel effet lorsque la grève a une durée inférieure à une journée de travail »30. Cette oscillation manifeste l’inadéquation du dispositif français pour limiter les grèves infrajournalières à partir de la comptabilité publique. La règle du trentième indivisible est le produit d’une double lacune du droit de la fonction publique : l’absence de volonté politique suffisante pour règlementer le droit de grève conjuguée à la faiblesse du droit disciplinaire français. Le domaine de la comptabilité publique offre une solution de facilité, car elle dispense le Gouvernement et le Parlement d’un débat sur les limites du droit de grève et ses éventuelles sanctions. De deux choses l’une en réalité : soit les grèves de moins d’une journée deviennent explicitement interdites pour des raisons tirées de la continuité du service, auquel cas leur exercice constituerait une faute pouvant être sanctionnée par une retenue financière supérieure au temps d’absence ; soit elles restent légales, auquel cas une retenue prorata temporis devrait être substituée à la règle du trentième indivisible afin de s’adapter aux exigences conventionnelles du droit de grève. Le Comité aurait pu se contenter de déclarer la non-conformité de la règle sur le fondement de son objet répressif. C’eût été toutefois écarter de l’analyse ses effets restrictifs susceptibles, eux aussi, d’emporter la conviction.

II/- Les effets contestables de la règle du trentième indivisible

15La règle du trentième indivisible emporte une restriction injustifiée du droit de grève (A) et installe une discrimination entre les différents agents de la fonction publique (B).

A/- Une restriction injustifiée du droit de grève

16La Charte sociale européenne reconnaît « le droit des travailleurs et des employeurs à des actions collectives en cas de conflits d’intérêt, y compris le droit de grève » au sein de l’article 6 paragraphe 4 consacré au droit de négociation collective. À l’instar de l’ensemble des droits et principes énoncés par ce texte, ceux-ci peuvent faire l’objet de restrictions dès lors qu’elles sont prescrites par la loi, poursuivent un but légitime et sont nécessaires, dans une société démocratique, pour atteindre cet objectif (article G). Le raisonnement suivi est identique à celui de la CourEDH à la seule différence que la Cour se fonde sur la liberté d’association dans la mesure où la Convention ne proclame pas explicitement le droit de grève31.

17La première condition ne suscite aucune observation particulière : la règle du trentième indivisible est consacrée à l’article 4 de la loi de finances de 1961 aujourd’hui codifié aux articles, à valeur législative, L. 711-1 et s. du CGFP. La deuxième condition est également remplie et, selon le Comité, à double titre (cf. §65). D’une part, la règle du trentième indivisible poursuit le but légitime d’assurer la continuité du service public. Cette position peut être confortée par les motifs ayant conduit à son adoption par le législateur français, à savoir prévenir la multiplication abusive des grèves de courte durée32 et celles intervenant à des « heures stratégiques »33 qui parfois paralysent le service pendant toute une journée. D’autre part, cette règle poursuit l’objectif légitime de rationaliser les procédures de liquidation des traitements. Elle facilite l’action des services gestionnaires dont la saisie des absences et le calcul de la retenue. À l’inverse, un dispositif prorata temporis alourdirait de manière non négligeable la pratique des liquidations, car sa mise en œuvre imposerait un raffinement des procédures. Il faudrait notamment définir une valeur de l’heure de travail, notion qui varie suivant les services34, et prévoir un système fiable de récolement des absences.

18La règle du trentième indivisible ne satisfait toutefois pas la troisième et dernière condition. Le Comité considère que la restriction du droit de grève n’est pas nécessaire pour atteindre les deux buts légitimes invoqués par le Gouvernement : « il n’est pas démontré qu’une continuité adéquate des services publics ne puisse être obtenue par d’autres moyens, ni que les contraintes d’ordre pratique inhérentes tant aux modalités de détermination de la cessation du travail qu’au décompte de la durée de la grève seraient de nature à empêcher l’application de déductions proportionnées » (cf. §65). La continuité du service public pourrait être effectivement assurée par un mécanisme moins alambiqué, mais plus radical, qui consisterait à interdire les grèves inférieures à une journée dans les services idoines. Le droit de la fonction publique se singularise déjà sur ce point par la prohibition des grèves tournantes, affectant par échelonnement successif ou par roulement concerté la continuité du service, dont l’exercice peut entraîner l’application d’une sanction35. Les contraintes comptables – si elles existent indéniablement – ne constituent pas non plus un obstacle insurmontable pour instituer une retenue proportionnée au temps de grève. L’argument ne résiste pas à la comparaison : des centaines de milliers d’agents de la fonction publique hospitalière et des collectivités territoriales sont déjà soumis à une retenue prorata temporis en application de la jurisprudence du Conseil d’État. L’abandon de la règle du trentième indivisible à leur endroit n’a entraîné aucune difficulté dirimante pour les services gestionnaires.

B/- Une discrimination entre les agents publics

19Le Comité prend l’initiative – en l’absence d’argument de la CGT à cet égard (cf. §71) – de confronter l’article E de la Charte, c’est-à-dire le principe de non-discrimination36, à la règle du trentième indivisible, dans la mesure où son champ d’application organique se limite aux seuls agents de la fonction publique de l’État et de ses établissements publics administratifs (cf. § 29). Le débat consiste à déterminer si cette différence de traitement est susceptible d’être justifiée par un élément « objectif et raisonnable » (cf. §75).

20En défense, le Gouvernement se réfère à la décision du Conseil constitutionnel du 28 juillet 1987 dont la censure partielle de la loi du 30 juillet 1987 a eu pour effet d’exempter les agents qui ne relèvent pas de la fonction de l’État du champ de la règle du trentième indivisible. Le Gouvernement prétend que la jurisprudence du Conseil constitutionnel « permet de trouver un équilibre entre l’exercice du droit de grève et la nécessité de garantir la continuité des services publics assurés par l’État » et que la différence de traitement se justifie en raison de la « nature des services publics de l’État » (cf. §74).

21Le Comité n’a pas été convaincu par les arguments du Gouvernement – jugés « sommaires et généraux » (cf. §79) – et, en creux, par ceux du Conseil constitutionnel. Cette explication laconique échoue à justifier les particularismes de la fonction publique de l’État et, à l’inverse, à démontrer pourquoi les autres agents ne sont pas également dissuadés de réaliser des grèves inférieures à une journée. À l’échelle de l’ensemble de la fonction publique de l’État, laquelle regroupe non moins de 2,52 millions d’agents placés dans des situations très diverses, aucune cause objective et raisonnable ne fonde cette différence. Qu’un certain nombre d’entre eux, exerçant des activités réservées à l’État et indispensables à la continuité du service public, soient traités différemment compte tenu de la « nature » de leurs fonctions ne suscite pas de difficulté. Appliquer toutefois sans nuance la règle du trentième indivisible à plus de deux millions de personnes échappe à toute justification satisfaisante, alors même que le reste des agents (assurant des missions aussi variées) bénéficient d’un système plus avantageux. L’emploi d’un vocabulaire abscons par le Gouvernement révèle que cette différence est « injustifiable »37 : la « nature » prétendument spécifique des services de l’État ne renvoie à aucune réalité tangible. Au mieux, la distinction repose sur un critère formel : le statut juridique des agents de l’État est différent de celui des autres agents. Cette justification est probablement celle ayant convaincu le Conseil constitutionnel en 1987. Elle se fonde néanmoins sur une conception française du principe d’égalité inadaptée aux évolutions portées par le principe de non-discrimination, notamment dans le domaine de la fonction publique38, lequel privilégie une approche plus concrète de comparaison des situations analogues dont la différence de traitement ne saurait être justifiée à partir de considérations purement juridiques. En commentaire de la décision du Conseil constitutionnel de 1987, Bruno Genevois esquissait déjà des doutes à propos de ce raisonnement formaliste : « S’il n’y a pas atteinte au principe d’égalité car la situation des personnels en cause présente des différences sur le plan juridique, le profane comprendra difficilement pourquoi les conséquences pécuniaires des grèves ne sont pas les mêmes pour l’ensemble des services publics »39.

22Dans une ultime tentative, le Gouvernement essaie de renverser l’argument : la règle du trentième indivisible s’appliquant sans distinction entre les causes d’inexécution du service, différencier entre la situation de grève et les autres cas porterait atteinte au principe de non-discrimination (cf. §72). Le Comité écarte cette idée en se fondant sur le nouvel article L. 711-3 du CGFP. Il considère que le code opère déjà une distinction entre les faits générateurs d’absence, car la retenue d’un trentième est restreinte aux seuls agents de l’État « déclarés grévistes » (cf. §77). Quand bien même cet obstacle rédactionnel serait franchi, la position du gouvernement n’emporterait pas davantage l’adhésion. La différence de traitement entre la grève et les autres cas d’absence repose sur une cause objective et raisonnable. Il s’agit d’une situation dans laquelle s’exerce un droit fondamental qui peut justifier une protection spécifique à l’inverse des autres motifs de service non fait. Le Gouvernement souhaite prévenir une supposée « discrimination » qui, en réalité, a existé pendant plusieurs années dans le système juridique français sans difficulté particulière. En effet, entre 1982 et 1987 (voire jusqu’en 2007 pour les entreprises publiques40), la loi du 19 octobre 1982 introduisait une dérogation à la règle du trentième indivisible limitée aux seuls faits de grèves et ses conséquences négatives se maintenaient pour les autres causes lorsque l’absence était inférieure à une journée.

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23La décision du Comité, même si elle ne provoque aucune réaction en droit interne, met clairement en évidence les faiblesses de la règle du trentième indivisible et les difficultés à justifier son adéquation avec le droit de grève et le principe de non-discrimination. Convient-il, pour autant, de l’abroger ? Malgré les apparences, il est douteux que cette solution soit la meilleure pour les agents. L’action des syndicats pourrait paradoxalement desservir l’intérêt des personnes qu’ils entendent défendre. Seule la pratique des retenues sur traitement permet de le comprendre : substituer à la règle du trentième indivisible un dispositif prorata temporis généralisé conduirait à une augmentation des retenues entre 15 et 38% suivant certaines projections de l’administration41. Cette règle est avantageuse pour les agents dès lors qu’ils font grève un nombre de jours entiers, ce qui reste le cas le plus fréquent, car elle présume qu’ils effectuent trente jours de service alors que leur travail effectif équivaut plutôt à vingt-deux jours42. Un système fondé sur la proportionnalité opérerait ainsi une retenue qui correspond en moyenne à 1/22 du traitement mensuel pour chaque jour de grève. La lecture des archives ministérielles de 1982 – dans lesquelles se trouve le projet d’abrogation de la règle du trentième indivisible – révèle toute l’ambiguïté de l’exercice43. La volonté politique de mettre fin à un dispositif jugé contraire au droit de grève se heurte à une double difficulté à la fois pour les services (multiplication des grèves de courtes durées et alourdissement des procédures comptables) et pour les agents (augmentation des retenues hormis pour les grèves infrajournalières). À l’époque, cinq mois de concertations interministérielles ne suffisent pas pour parvenir à une solution faisant consensus. Les archives contiennent des discussions arides entre les services qui recherchent le moyen pénalisant le moins les agents à partir d’équations et de systèmes de calcul relativement complexes. Le sujet finit par être arbitré par le Premier ministre : ses services retiennent une solution qui allie une dose de proportionnalité pour les grèves inférieures à une journée et maintient la retenue d’un trentième pour celles supérieures à une demi-journée. Dans le même ordre d’idées, mais selon un point de vue plus sociologique lié aux rapports de force, l’administration ne semble pas toujours encline à appliquer des retenues d’un trentième en réponse à des grèves de moins d’une journée44. Finalement, la pratique des retenues contrebalance en grande partie les désavantages juridiques de la règle qui apparaît, de prime abord, comme étant fondamentalement hostile au droit de grève. Avec un brin de provocation, l’une des stratégies possibles consisterait à maintenir une forme de statu quo qui, pour l’administration, prévient les grèves de courte durée tout en facilitant la liquidation des rémunérations, et qui, pour les agents grévistes, évite une augmentation sensible des retenues. La pratique actuelle est somme toute préférable à une réforme dont les effets risqueraient de n’être favorables ni à l’administration ni aux agents.

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24Comité européen des droits sociaux, 14 février 2023, réclamation n° 155/2017, Confédération générale du travail (CGT) c. France

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Les Lettres « Actualités Droits-Libertés » (ADL) du CREDOF (pour s’y abonner) sont accessibles sur le site de la Revue des Droits de l’Homme (RevDH) – Contact

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NOTES

1 Décision sur le bien-fondé, n°155/2017

2 Il convient d’appeler à la vigilance de notre lecteur : enclos par la décision, son commentaire verse dans les mêmes travers qui laissent une place prépondérante au formalisme juridique. En guise de consolation, plusieurs pièces d’archives contrebalançant le propos seront abordées essentiellement en conclusion.

3 Ord., 31 mai 1838, portant règlement général sur la comptabilité publique et D., 31 mai 1862, portant règlement général sur la comptabilité publique.

4 Les règlements généraux sur la comptabilité publique précisent seulement que « sont considérés comme appartenant à un exercice les services faits » (art. 3, ord., 31 mai 1838, préc. et art. 10, D., 31 mai 1838, préc.). Cette règle est aujourd’hui codifiée à l’article L. 711-1 du CGFP. V. concernant la règle du service fait : P. Amselek « Une institution financière en clair-obscur : la règle du service fait », in B. Beck et G. Vedel, (dir.), Études de finances publiques : mélanges en l’honneur du Professeur Paul Marie Gaudemet, Economica, 1984, p. 421. Qu’il nous soit également permis de renvoyer sur ce point vers l’une de nos études : T. Boussarie, « Deux codes administratifs ignorés : les règlements généraux sur la comptabilité publique de 1838 et 1862 », RFAP, 2022, n°183, p. 693 et s.

5 V. J.-B. Guilgot, Manuel de l’employé des douanes, Pontarlier, 1853, t. 1., p. 79.

6 CE, sect., 13 mars 1959, Syndicat national « Force ouvrière », p. 178.

7 CE, ass., 25 avril 1960, Boucher, p. 265.

8 Ibid.

9 Ibid.

10 D., n° 61-500, 19 mai 1961, tendant à préciser les modalités d’application de l’article 22 (alinéa 1) de l’ordonnance n° 59-244 du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires.

11 Art. 22, Ord., n°59-244, 4 février 1959, relative au statut général des fonctionnaires.

12 CE, ass., 7 décembre 1962, Fédération générale des fonctionnaires CGT, FO et Union générale des fédérations de fonctionnaires, p. 667.

13 R. Denoix de Saint-Marc, « Les retenues sur traitement pour absence ou insuffisance de service fait », AJDA 1977, p. 597.

14 Art 4, L, n°61-825, 29 juillet 1961, de finances rectificative pour 1961 et l’art. 1 du D., n°62-765, 8 juillet 1962, portant règlement sur la comptabilité publique en ce qui concerne la liquidation des traitements des personnels de l’État.

15 L., n°77-826, 22 juillet 1977, insertion d’un nouvel alinéa entre les alinéas 2 et 3 de l’art. 4 de la loi n°61-825 du 29-07-1961 (cas où il n’y a pas service fait).

16 Art. 2, L., n° 82-889, 19 octobre 1982, relative aux retenues pour absence de service fait par les personnels de l’État, des collectivités locales et des services publics.

17 Cons. Const., n°87-230 DC, 28 juillet 1987, Loi portant diverses mesures d’ordre social.

18 V. pour les collectivités territoriales : CE, sect., 17 juillet 2009, M. Patrice W., n°303588. Jusqu’à la réforme du code du travail de 2007, il fallait même ajouter une troisième hypothèse pour les organismes, entreprises et établissements publics ou privés en charge de la gestion d’un service public, car se maintenait à leur égard le dispositif complexe créé en 1982 et qui était codifié à l’article L. 521-6 du code du travail (v. pour ces trois hypothèses : F. Melleray, « Les retenues pécuniaires pour fait de grève dans les services publics », AJDA, 2003, p. 1648).

19 V. J.-P. Marguénaud et J. Mouly, « Le Comité européen des droits sociaux, un laboratoire d’idées sociales méconnu », RDP, 2011, p. 685 et J.-M. Belorgey, « La charte sociale du Conseil de l’Europe et son organe de régularisation (1961-2011), le comité européen des droits sociaux : esquisse d’un bilan », RTDH, 2011, n°88, p. 787.

20 V. not H.-M. Crucis, « Les retenues de traitement pour fait de grève dans la fonction publique », RDP, 1988, p. 1315 et s. et E. Devaux, La grève dans les services publics, thèse, PUF, t. 2, p. 649.

21 Cons. Const., n°87-230 DC, 28 juillet 1987, préc., §9.

22 M. Pellenc (Sénat), Rapport n°310 fait au nom de la Commission des Finances sur le projet de loi de finances rectificative pour 1961, juillet 1961, p. 72.

23 Correspondance d’Anicet Le Pors avec le ministre de l’économie en date du 19 août 1981 (Archnat., n° 19990466/24).

24 L. Boyer (Sénat), Rapport n°273 fait au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi portant diverses mesures d’ordre social, 16 juin 1987, p. 121.

25 V. art. 55 de la L, n°2019-828, 6 août 2019, de transformation de la fonction publique.

26 Cons. Const., n°87-230 DC, 28 juillet 1987, préc., §9.

27 CE, 24 mars 1943, Sieur Gase, p. 78.

28 R. Denoix de Saint-Marc, préc., p. 596.

29 Concl. B. Genevois, CE, sect., 9 juin 1978, SpireRevue administrative, 1978, p. 631.

30 B. Genevois, « Quels sont les fondements juridiques des retenues pécuniaires consécutives à une grève ? », RFDA, 1987, p. 815.

31 CEDH, n° 53574/99, 10 janvier 2002, Unison c. Royaume-Uni.

32 L. Boyer (Sénat), préc., p. 121.

33 M. Pellenc (Sénat), préc., p. 72.

34 V. par ex., les difficultés à quantifier la retenue pour la situation dans laquelle l’agent est soumis à un régime de garde (CE, sect., 17 juillet 2009, n°303588, M. Bigot et les conclusions de L. Derepas, « Le régime des retenues en cas de grève des sapeurs-pompiers professionnels », DA, 2009, n°34, p. 1892).

35 Art. L. 114-2 du CGFP.

36 V. not. T. Gründler, « Quelle effectivité de la lutte contre les discriminations ? Les enseignements du système de la Charte sociale européenne, in T Gründler et J.-M. Thouvenin, La lutte contre les discriminations à l’épreuve de son effectivité. Les obstacles à la reconnaissance juridique des discriminations, Recherche financée par le GIP, 2016, p. 114.

37 F. Melleray, préc.

38 On songe notamment à l’influence de la jurisprudence de la CJUE sur celle du Conseil d’État à propres des différences de traitement entre fonctionnaires et contractuels (v. not. CJUE, aff. C-72/18, 20 juin 2019, Ustariz Aróstegui et CE, 12 avril 2022, n° 452547, Fédération Sud Éducation).

39 B. Genevois, « Quels sont les fondements juridiques des retenues pécuniaires consécutives à une grève ? », préc, p. 815.

40 Abrogation de l’article L. 521-6 du code du travail par l’art. 12 de l’Ord., n°2007-329, 12 mars 2007, relative au code du travail.

41 Chiffres issus d’une note ministérielle sur l’abrogation de la règle du trentième indivisible (Archnat., n° 19990466/24).

42 V. CE, 4 décembre 2013, n°351229, M. A…B… et, surtout, les conclusions de V. Daumas disponibles sur Ariane Web.

43 Les fonds du Bureau du statut général relevant de la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (services du Premier ministre) contiennent un carton dans le lequel se trouve une lettre d’Anicet Le Pors (alors ministre de la fonction publique) demandant aux différents services ministériels de réfléchir aux moyens d’abroger la règle du trentième indivisible. En réponse à cette concertation interministérielle, trois notes de service ont été produites (cfArchnat., n° 19990466/24).

44 Deux références sur ce point « Ces règles n’ont pas toujours été appliquées par les administrations concernées (…) Faut-il s’en étonner ? Certainement pas dans la mesure où le droit en général, et les règles relatives à la grève en particulier, ne sont jamais que le résultat de différents rapports de force pouvant varier dans le temps et dans l’espace » (F. Melleray, préc.) et « On peut cependant affirmer que l’administration ne se plie pas constamment à cette obligation. Non seulement de très nombreuses interruptions de service inférieures à la journée résultant d’agissements individuels ne donnent lieu à aucune retenue ; mais encore est-il très probable que les “débrayages” collectifs limités à quelques heures n’entraînent, en fait, aucune conséquence sur le traitement des agents grévistes » (R. Denoix de Saint-Marc, préc.).

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POUR CITER CET ARTICLE

Référence électronique

Thomas Boussarie, « La règle du trentième indivisible non conforme à la Charte sociale européenne », La Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 11 septembre 2023, consulté le 11 septembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/revdh/18478

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AUTEUR

TRAVAIL INDÉCENT : le plancher inférieur des salaires mensuels des personnels d’appoint dans les lycées et collèges est désormais réglementé à plus de 59 999 fcfa.

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À partir de cette année scolaire 2023-2024, les Proviseurs et les Associations des Parents d’Élèves (APE) sont attendus sur le respect à la lettre de la loi. Les enseignants vacataires et les autres personnels d’appoint, bien souvent victimes du mépris de classe, devraient tout au moins percevoir un salaire mensuel minimum net de 60 000 FCFA à la faveur du décret 2023/00338 signé le 21 Mars 2023 par le Premier Ministre, fixant le Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG) au Cameroun.

Il faut le rappeler, au chapelet des traitements inhumains et indécents infligés aux personnels d’appoint caractérisés par un travail au noir, illégal et sans aucune réglementation, plusieurs chefs d’établissements scolaires publics de la cité capitale ont décidé comme de commun accord, par manipulation des décisions des APE, d’instituer une sorte de joug cabalistique consistant à plafonner les salaires des personnels d’appoint, et ceci, quelle que soit la contribution des parents au budget de l’APE. Pour ces derniers, cinquante mille francs CFA (50 000 FCFA) correspondraient à la rétribution standard que mériteraient ces personnels malgré le fait qu’ils travaillent bien souvent plus que certains personnels fonctionnaires qui paradoxalement ont des salaires d’un montant de quatre à sept fois plus élevés. Pire encore, d’après des révélations de certains d’entre-eux, ils auraient même adopté ce montant dérisoire pour échapper à l’obligation de déclarer ces travailleurs à la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale, affirmant ainsi leurs velléités esclavagistes à leur retirer la possibilité d’avoir une sécurité sociale. Quoi qu’il en soit, si ces travailleurs ont toujours eu la réglementation en leur défaveur, cette fois, grâce au décret cité en sus, ils ne sont ni rangés dans la catégorie des agents de l’Etat relevant du Code du Travail dont le SMIG est de 41 850 FCFA, ni dans la catégorie des travailleurs du secteur agricole et assimilé dont le SMIG est de 45 000 FCFA, mais bien dans la dernière catégorie (autres secteurs d’activités) dont le SMIG a été fixé à 60 000 FCFA.

Tout est donc clair, les chefs d’établissements n’ont donc plus aucune excuse pour ne pas augmenter les salaires des personnels d’appoint, d’autant plus qu’à cause de l’inflation galopante, tous les secteurs d’activités ont dû être boosté. Il est à souhaiter qu’un peu d’humanité gagne aussi bien les Cœurs des Proviseurs que celui du Ministre du Travail et de la Prévoyance Sociale, pour qu’ils fassent respecter la loi en vu de contribuer à faire de la profession des ces personnels d’appoint, un travail un peu plus décent.

Roland ASSOAH

SNAES

Conseil National ordinaire : le SNAES se donne des orientations pour l’année scolaire 2023-2024.

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Conseil National ordinaire : le SNAES se donne des orientations pour l’année scolaire 2023-2024

Réunis le 30 août dernier en Conseil National à Yaoundé, les Délégués venus des quatre coins du pays ont tenu une importante réunion au siège du syndicat National et Autonome de l’Enseignement Secondaire (SNAES). La crème du leadership syndical s’est donné le temps de définir quelques axes de réflexions et d’actions pour l’année scolaire 2023-2024 dont l’horizon dévoile déjà les couleurs. La présence des délégations venues des régions Septentrionales et de l’Est, malgré les difficultés liées à la rareté des moyens de transport, témoigne de l’intérêt que revêt cette rencontre statutaire.

                Après l’exécution de l’hymne national et de celui du SNAES, le bal des allocutions a débuté par le mot de la Section Départementale hôte du Mfoundi, délivré par le camarade Roland Assoah qui a présenté ses civilités aux Délégués présents tout en leur souhaitant un agréable séjour et des travaux fructueux. Ces paroles aimables ont servi de rampe de lancement pour le Secrétaire Général le camarade Roger Kaffo fokou dont le discours a imprimé quelques actions fortes pour l’année scolaire en cours notamment la campagne dans les régions du Littoral, de l’Ouest, de l’Est, du Nord et de l’Extrême-Nord contre la privatisation et la marchandisation de l’éducation en partenariat avec l’Internationale de l’Éducation (IE) avec pour slogan  « Go Public ! Fund Education » (en français « la force du Public ! Ensemble on fait école ») ; la formation des communicateurs et des femmes du SNAES ; une campagne de formation en ligne des enseignants sur les actions syndicales dont les négociations sont en cours avec les partenaires ; le congrès de la Fédération des Syndicats de l’Enseignement et de la Recherche (FESER) en décembre prochain.

                Le plat de résistance de cette rencontre capitale dans la marche en avant du SNAES était l’organisation de son septième congrès ordinaire. Les débats autour de la question ont permis de fixer l’événement au mois d’août 2024. Au-delà du renouvèlement des organes de base qui constituent une condition sine qua none à la tenue du congrès,  la présentation du projet de budget a dévoilé la tâche immense à laquelle devront s’atteler les militantes et les militants pour l’atteinte des objectifs fixés.

                Le Conseil National ordinaire du SNAES a examiné les mots d’ordre de grève lancés par certaines organisations d’enseignants notamment le Syndicat des Enseignants du Cameroun pour l’Afrique (SECA) et On a Trop Supporté (OTS). Si les Délégués reconnaissent la pertinence et la légitimité de certaines revendications qui sont effectivement quelques-unes posées par les enseignants, ils regrettent cependant l’absence de concertations préalables entre les organisations d’enseignants en vue d’actions concertées de grande envergure pouvant produire un impact certain. Les Délégués ont réaffirmé la disponibilité du SNAES à discuter avec toutes les organisations pour fixer un calendrier d’actions commun et espèrent que cette main tendue trouvera la bonne volonté des acteurs pour l’implémentation d’une synergie d’idées et d’actions que les enseignants appellent de tous leurs vœux.       

                La gestion de la dette due aux enseignants a également été débattue. Cette dette, à proprement parler est un problème des enseignants créé de toutes pièces par  l’État pour masquer la plaie béante des véritables problèmes que constituent les conditions déplorables de vie et de travail des enseignants, ainsi l’état lamentable du système éducatif. L’échéancier de paiement des rappels d’intégration et de non logement ayant connu son terme au mois d’août 2023, les Délégués se sont appesantis sur le projet du plan d’apurement des rappels d’avancements étalés sur 26 mois. Ces derniers ont porté unanimement les voix cohérentes de la base qui conteste la durée projetée de ce plan et exige son raccourcissement à un délai plus raisonnable.

                Au terme de sept heures de travaux intenses et fructueux qui se sont déroulés dans une ambiance conviviale, le Conseil National ordinaire du SNAES session de 2023 a refermé ses carnets en exhortant l’assistance à répercuter la consistance des échanges sur le terrain.

                                                                              YONGUI HEUBO Patrick William

                                                                                        Rédacteur SNAES

Interview : « Qu’est-ce qui fait que les agendas, pour des actions et des déclarations conjointes, ne se concordent pas régulièrement ? »

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Interview : « Qu'est-ce qui fait que les agendas, pour des actions et des déclarations conjointes, ne se concordent pas régulièrement ? »

Interview spontanée de Roger Kaffo Fokou SG du SNAES réalisée par le Pr Alexandre T. Djimeli, enseignant de communication à l’Université de Dschang, ancien rédacteur en chef du quotidien Le Messager, sur la plateforme Médiation ST le 25/08/23. Celle-ci s’est faite dans le contexte de la rentrée scolaire 2023-2024 et de l’organisation d’un point de presse par un collectif de syndicats d’enseignants, alors que les stratégies des syndicats ne semblent nullement harmonisées sur le terrain…

Alexandre T. Djimeli : Le timing est bon. C’est le moment des grandes attentions sur l’école du fait de l’actualité sur les rentrées scolaires et académiques. Je suggère tout de même d’inviter des syndicats de l’enseignement supérieur et de la recherche pour assister à cette manifestation au moins en qualité d’observateurs.

Réponse : Nous sommes sur les mêmes plateformes et leur implication est acquise mais leur agenda doit être difficile à ajuster. On n’a pas à les inviter comme observateurs alors qu’ils pourraient organiser avec nous et même prendre le lead n’est-ce pas?

Alexandre Djimeli T.: Tout à fait. Mais mon inquiétude c’est que, alors que tous les syndicats de l’enseignement et de la recherche devraient avoir des combats communs au moins à 70 voire 80%, j’observe que les syndicats de l’enseignement maternel, primaire et normal évoluent de leur côté, ceux du secondaire du leur, de même que ceux du supérieur. Les syndicats de la recherche, quant à eux, sont bien peu visibles. L’observateur ne peut que formuler l’hypothèse d’une dispersion ruineuse pour les combats syndicalistes dans ce secteur de la vie nationale. Qu’est-ce qui fait que les agendas, pour des actions et des déclarations conjointes, ne se concordent pas régulièrement ?

Intervention inattendue de X : Autre hypothèse de païen, c’est que l’école n’est pas le vrai enjeu des mouvements syndicaux, autrement, la première quête aurait pu être celle d’une tutelle unique, harmonisée, harmonieuse, plutôt que l’éclatement actuel qui, en réglant peut-être les problèmes du politique, laisse l’école à ses… Angoisses. Je suis sûr que je me trompe… désolé

Réponse à X : Vous ne vous trompez pas, vous jugez de l’extérieur, comme nombre d’intellectuels qui pensent que l’action est facile, et elle le semble en effet vue d’une tribune. Cabral Libii qui a troqué la tribune pour le terrain comprendrait mieux mon observation. Vous voyez que je ne vous accuse de rien, je comprends bien votre position, dans la pluralité des sens de ce mot…

Alexandre T. Djimeli : SG, excuse-moi de revenir. Effectivement, vous n’accusez personne de rien. Mais à titre personnel, je pense que la (ou les) fédérations de syndicats qui existe(nt) doi(ven)t effectivement fédérer. Elle devrait justement exercer la prérogative de fédération parce qu’il y a quelque chose de très commun entre l’enseignement du premier degré, l’enseignement du deuxième degré, l’enseignement supérieur et la recherche. Je veux juste savoir, évidemment sans juger, pourquoi une communauté articulée d’action, sur les aspects communs entre ces niveaux de formation, est-elle si difficile.

Réponse : Alex, il faut utiliser l’analyse systémique et la théorie des champs de Bourdieu. Les positions dans le champ ne sont pas le fruit du hasard, et aux stratégies répondent de contre-stratégies. Vous voulez fédérer ici, en face on ne se croise pas les bras: on débauche et quand on ne peut pas, on crée des structures fantoches, etc. Tout cela marche parce que les structures qui par essence sont de masse fonctionnent avec des poignées de gens, souvent les plus durs qui acceptent de tout perdre au besoin, et les structures ainsi anémiées deviennent de fausses organisations de masses et de vraies organisations d’élites, au sens où seule une élite de la profession s’y risque. Et petit à petit une fracture s’installe, devient cassure et gouffre. Si vous croyez que le système est étranger à cette évolution de l’occupation du champ stratégique, c’est que vous le sous-estimez ou le comprenez mal. La critique endémique des syndicats (qui a pour pendant celle tout aussi endémique des partis politiques d’opposition) qui en résulte parachève la mécanique en faveur du statu quo et de l’ordre établi. Mais le résultat à long terme sera le chaos, qu’a préfiguré de façon exemplaire OTS.

Alexandre T. Djimeli : Merci pour cette première explication. Comment est-il possible de faire triompher les syndicats et le syndicalisme de production face aux puissances organisées de l’inertie ?

Réponse : Ce n’est pas facile mais on peut risquer quelques réponses. 1. Ne pas croire qu’un tel message de rupture va passer comme une lettre à la poste. 2. Travailler en profondeur son élaboration et procéder méthodiquement à sa dissémination. Convaincre ceux dont la parole est la première fonction sociale. 3. Commencer à poser des actions d’illustration sans se départir totalement de la vision jusque-là partagée (créer une transition). Ne pas avoir peur de laisser le chantier inachevé parce qu’il demande du temps. etc.

Alexandre T. Djimeli : Quelles chances ce programme a-t-il de réussir lorsqu’on sait que, un peu partout dans le monde, la force du changement est tributaire de la qualité de la réflexion certes, mais repose sur l’action cohérente et collective des “masses”. Comment donc entrevoir le changement si on admet, dans le contexte camerounais, que beaucoup d’enseignants reculent devant les propositions ou les offres syndicales?

Réponse : Il faut d’abord cesser de sous-estimer l’adversaire. S’acharner sur les syndicats (ou les partis d’opposition dans le champ politique) vient de ce qu’on sous-évalue l’adversaire que ces derniers affrontent, et au lieu de chercher à donner un coup de main, à contribuer, on stigmatise. Ce sont les idées qui l’ont toujours emporté à toutes les époques, mais elles doivent progressivement devenir dominantes. Cas pratique, la France: elle a été longtemps gouvernée à droite mais peu à peu la gauche y a gagné la bataille des idées. Ici, le premier conflit à gagner est celui des idées. Les professionnels de ce secteur ne sont d’accord sur rien, il suffit de regarder la télé tous les dimanches. Et cela “indécide” la pauvre masse qui ne sait plus à quel saint se vouer… Voilà le début du chantier. Les matérialistes pensent qu’ils vont gagner la bataille des moyens avant de s’attaquer à celle des idées. Je voudrais voir cela…

Alexandre T. Djimeli : Ouais, on va s’en sortir ? Mais je voudrais toutefois relever que parler de l’acharnement contre les syndicats ne me paraît pas juste. Je pense que les medias – en tout cas ceux qui proclament une certaine neutralité- qui interrogent les syndicats souhaitent leur amélioration. Ces médias ne sont souvent pas aussi tendres vis-à-vis de ceux qui organisent la contre-lutte syndicale.

Réponse : Alex, tu n’y es pas: il ne s’agit pas d’une question d’équilibre, cette fiction inventée pour forcer les médias à défendre malgré eux le statu quo. Il s’agit de prendre parti et de s’engager auprès des acteurs qui défendent les causes auxquelles on croit. Il ne faudra pas moins que cela. Il ne s’agit pas de faire de l’opinion mais de la sensibilisation. Etre neutre en face d’un déséquilibre flagrant, c’est se faire complice d’un massacre. La question syndicale mérite-t-elle un traitement particulier des médias? Oui, parce que nous sommes à 98% tous des travailleurs et que normalement la société devrait avoir 98% de syndiqués et de syndicalistes. Le journaliste qui me reçoit, et qui gagne si mal sa propre vie de journaliste, pourquoi n’est-il pas syndicaliste et solidaire de mes échecs et de mes réussites? C’est là que le jeu se situe avec ses enjeux.

Alexandre T. Djimeli : Comment penser que je n’y suis pas, SG, quand on cherche tous à comprendre ? Il ne s’agit pas d’abord d’y être; il s’agit d’abord de comprendre pour tirer des leçons et agir. Tout à l’heure j’ai posé des questions auxquelles vous avez apporté des réponses. Je voulais comprendre: (1) pourquoi la prégnance de la division dans le champ syndical; (2) que faire pour avancer face à l’adversité. Vous avez apporté un éclairage. Dans votre éclairage, il y a un aspect sur ce que l’on pourrait appeler un déficit de solidarité de ceux qui ont pour métier “la parole”. Il m’a semblé constructif de relever l’esprit qui prévaut dans le champ médiatique, relativement aux représentations sur l’action syndicale, pour que l’on en approfondisse la compréhension. Il ne s’agit donc pas de prendre parti contre les syndicats, ou d’accuser ceux que l’on pense qu’ils doivent accompagner l’action syndicale, mais d’abord de comprendre la situation …

Réponse : Je ne me fais sans doute pas bien comprendre sur ce point. Je veux faire passer l’idée que ce que les syndicats (organisations de travailleurs) attendent des travailleurs des médias, c’est qu’ils pensent à (n’oublient pas de) contribuer leur quote-part d’effort à la lutte commune. Ils ne sont pas d’abord des arbitres, ils sont partis d’un camp et l’autre camp les pousse subtilement à se désolidariser de leur propre lutte sous couvert d’une neutralité qui est une pure fiction. La ligne de la neutralité, comme toute ligne, est si tenue qu’on s’y trouve toujours soit dans le positif, soit dans le négatif, en déséquilibre en tout cas. Il faut choisir à mon avis. Est-ce que je me fais comprendre mieux?

Alexandre T. Djimeli : Je le comprends mieux mais je souhaite faire une ou deux précisions.

 (1)         Au sujet de l’équilibre, je souhaite relever qu’il ne s’agit pas d’une fiction. Il s’agit d’une règle de conduite professionnelle. On sait que le journaliste ne peut être objectif ; c’est clair. Mais il a l’obligation de respecter la règle de l’équilibre dans le traitement des informations polémiques, notamment lorsqu’il use des genres pour présenter ou expliquer les faits. Faire un article déséquilibré sur un sujet polémique, dans la catégorie des genres d’information (compte-rendu, reportage, entrefilet, etc.),  est une faute professionnelle. Mais on peut se l’autoriser dans les genres d’opinion (éditorial, chronique, billet, humeur, etc.) sans que ce soit une faute.

Réponse : Tout à fait d’accord. Mais qui a établi ces règles? L’avait-il fait sans arrière-pensée de conservation du statu quo? La pensée dominante de chaque époque étant celle de la classe (ou du groupe dominant) dominante, il faut songer sérieusement à violer les règles qu’on ne peut faire changer (théorie de l’insoumission qui a une origine révolutionnaire comme tu sais) par les voix de droit si l’on veut augmenter les chances de bouger le statu quo.

Alexandre T. Djimeli : (2) Relativement à la défense du statut quo, peut-être faudrait-il se souvenir de ce que le champ médiatique est fait, comme tous les autres champs, de forces oppositionnelles. Il y a des acteurs qui luttent pour le statu quo et d’autres qui se battent pour que les choses avancent. Il y a des médias qui soutiennent vivement certains syndicats et en combattent d’autres. Tout dépend de la configuration des acteurs dans le système, pas seulement dans un champ particulier. Mais un soutien peut être critique et le syndicat devrait accepter cette critique pour s’améliorer aussi et poursuivre son combat, probablement avec de nouveaux arguments.

Réponse : Les médias ne sont pas des monolithes: on y trouve quelques patrons qui font travailler (et les font baver souvent) une foule de travailleurs. Est-ce que leur conscience professionnelle, aux journalistes, est au-dessus de leur conscience de groupe? Ils sont avant tout journalistes et accessoirement travailleurs? Dans cette hypothèse, il y a chez eux un déficit idéologique à combler. Le linge sale se lave en famille, dit-on. S’ils se sentent de la famille des travailleurs, qu’ils viennent au syndicat apporter leurs critiques plutôt que sur la place du marché.

Alexandre T. Djimeli : Quand vous parlez de « s’engager auprès des acteurs qui défendent les causes auxquelles on croit », je vous comprends bien. Cela existe dans le champ médiatique. La ligne éditoriale, définie par chaque média, devrait nous départager ici. Des expériences de médias d’opinion et plus précisément de la presse politiquement marquée, solidaire des causes syndicales, existent bel et bien. « La question syndicale mérite-t-elle un traitement particulier des médias? » Ici, il me semble que nous sommes d’accord. Mais le journaliste qui mène une action syndicale fait-il la même chose lorsqu’il est dans l’exercice de son métier ? Là, il y a une distinction à faire. Dans les grandes affaires traitées par les médias, et qui concernant parfois-même la vie des journalistes, vous verrez qu’il y a l’information journalistique publiée à l’attention du public sur l’affaire et qu’à côté il y a les messages des organisations associatives ou syndicales sous diverses formes, publiées de manière distinctes dans les mêmes médias. « Le journaliste qui me reçoit, et qui gagne si mal sa propre vie de journaliste, pourquoi n’est-il pas syndicaliste et solidaire de mes échecs et de mes réussites? C’est là que le jeu se situe avec ses enjeux » De nombreux journalistes que vous voyez dehors là sont syndiqués. Beaucoup sont dans des organisations associatives dont l’action poursuit également une amélioration des conditions de vie et de travail. Je peux vous dire que tout journaliste est sensible à l’injustice ; c’est ce qui le motive même à travailler. Mais comment rendre compte de cette injustice pour ne pas se retrouver en train de faire autre chose que le métier que l’on croit exercer ?

Réponse : En effet, il s’agit de outsmart l’adversaire, pas d’y aller avec de gros sabots. C’est ce que je demande à l’enseignant dans sa salle de classe. Il y a le pouvoir de façonner les futures générations (comme le journaliste a le pouvoir de sculpter l’opinion): mais comment en use-t-il? Le fait-il à son avantage et à celui de la vision sociale qu’il porte au cas où il en porte une?

Alexandre T. Djimeli : A-t-il, au-delà des illusions, un avantage propre en faisant ce qu’il fait?

Réponse : Peut-être pas. Certainement pas, à bien y penser. Mais il peut lui arriver de croire qu’il en a un. C’est une méprise courante, soigneusement entretenue la plupart du temps par le camp d’en face. On utilise avec lui ce que nous appelons le pouvoir rétributif à la fois dans sa version positive (récompenses pour service bien rendu) et négative (faveurs pour zèle démontré). C’est un baume formidable contre la mauvaise conscience. Il finit par se convaincre qu’il ne fait que son travail, et qu’on aurait tort de lui en vouloir pour cela. Il met cela dans la rubrique conscience professionnelle, respect de l’éthique et de la déontologie du métier. Et c’est une véritable aubaine pour le camp d’en face qui peut se frotter les mains et boire du petit lait. Parce qu’au bout, il contribue au triomphe de la légalité sur la justice sociale. Il a accepté d’être ou est devenu sans le savoir/vouloir un puissant gardien de l’ordre établi contre son camp et lui-même. Généralement, il ne s’en rend compte que trop tard, quand le système n’a plus besoin de lui et que ses œillères lui sont alors ôtées sans ménagement. Mais il y a ceux qui se battent, subissent la rigueur du pouvoir répressif du patronat et avancent la lutte avec d’énormes difficultés. En clair, s’aligner au dogme établi, quoi qu’on croie avoir gagné, c’est presque toujours perdre du côté de l’essentiel, c’est se retrouver, consciemment ou inconsciemment, en train de passer à côté de l’histoire.

D’une pédagogie poétique à une poétique de la pédagogie.

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D’une pédagogie poétique à une poétique de la pédagogie

Publié 25 juillet 2023, Écrit par: Diana Léocadie et Sydalise Dufestin

La pédagogie parle de l’enfant. La poésie s’adresse à l’enfant, celui qu’on a été. Il est peut-être alors possible, dans cette alliance de mots, de trouver quelque chose d’encore inexploré, ou de si simple qu’on n’y a pas pensé. Quelque chose qui ouvrirait de nouvelles portes, de nouveaux chemins, en renouvelant le regard sur l’école.

« On m’a souvent demandé : la poésie, à quoi ça sert ? (…) j’ai beaucoup réfléchi, et aujourd’hui, je sais : la poésie, c’est comme des lunettes. C’est pour mieux voir. »

Jean-Pierre Siméon

Utiliser le prisme de la poésie pour réfléchir à la pédagogie serait-ce mettre des lunettes pour mieux voir ? Parce qu’elle parle de l’enfant, parce qu’elle s’adresse à lui, la pédagogie se veut légère, aérienne et non trop lourde à porter. Pour cela, elle doit sans cesse se réinventer.

De son côté, la poésie touche aux émotions et aux sensations. Elle éduque l’enfant aux valeurs humanistes, au sublime et elle l’élève. Elle donne le pouvoir aux mots, à la parole. Elle le conduit sur le chemin de la connaissance en lui parlant son langage, lui qui sait jouer si savoureusement avec les mots. Elle fait appel à sa créativité.

Au travers des images, des métaphores, la pédagogie prend délibérément une fonction poétique et s’intéresse au rythme. Celui de l’enfant, des programmes, des apprentissages. Tout ce qui va donner au poème sa musique – les temps, les pauses, la mesure, le mouvement, le tempo, les cycles – fait écho à une autre partition qui se joue dans le temps de l’école et celui de l’élève. « De la musique avant toute chose » nous rappelle Verlaine dans son Art poétique.

L’école est un jardin

 The gardener does not make a plant grow. The job of the gardener is to create optimals conditions.” [« Le jardinier ne fait pas pousser la plante. Le travail du jardinier est de créer les conditions optimales. » ]

Sir Ken Robinson

Enseignantes dans un collège en Education Prioritaire Renforcée [1], nous avons co-écrit un ouvrage, L’Ecole est un jardin. L’élève, un être en fleur, qui met en avant et explicite cette démarche. La métaphore florale, en filigrane, propose une entrée novatrice, celle d’une poétique de la pédagogie : L’Ecole, un jardin ; l’élève, un être en fleur, en devenir. Elle montre, à travers diverses expérimentations, qu’il est possible d’appuyer sur le levier de l’environnement, qu’il soit réel ou rêvé, pour renouveler le rapport aux apprentissages et au savoir. Un levier simple d’utilisation, efficace, disponible immédiatement et transposable. Elle place ainsi l’environnement et son impact au cœur des enjeux pédagogiques.

Notre école-jardin prend ancrage dans un concept, celui de la médiation par l’environnement. Concevoir ce dernier comme un médiateur c’est en percevoir toutes les inflorescences au cœur des programmes, des parcours pour recréer les liens entre les disciplines. C’est aussi explorer d’autres chemins pour réconcilier l’élève avec les apprentissages. Pour reprendre un des principes de la pédagogie Reggio Emilia concernant la petite enfance, l’environnement apparait alors comme « ce ou cette troisième professeur·e » qui, en appui au personnel enseignant, aux parents, aux pair·e·s, peut favoriser l’apprentissage et développer le potentiel des élèves. L’espace devient donc à la fois éducateur et objet éducatif. Eduquer par et à l’environnement, c’est à la fois transmettre un patrimoine unique et partager des valeurs. C’est aussi remotiver l’élève à partir de son environnement immédiat, en travaillant à la fois l’ancrage et le voyage au cœur du savoir. Une école, un collège, un lycée ont plus que jamais leur place au milieu des arbres. L’inverse est vrai aussi. Dans son ouvrage, Les Sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Edgar Morin nous le rappelle « La terre est notre patrie, notre maison commune ; elle est notre jardin ». Il s’agit de prendre connaissance et conscience à la fois de son identité complexe et de son identité commune avec toute l’humanité.

Faire résonner l’Ecole

Avant toute chose, l’Ecole est le lieu des relations, des connexions humaines. À travers les alliances éducatives, les valeurs telles que la coopération, la solidarité, la créativité, la confiance, la compassion, nous pouvons tisser des liens, ce lien social qui développe et optimise notre quotient relationnel. Une pédagogie de la résonance, comme l’explique le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa. Pour lui, elle constitue un espace de résonance fondamental : « À l’école, la relation au monde se déploie dans des processus d’interaction très denses, avec les personnes comme avec les choses, à l’intérieur de la classe, mais aussi dans la cour de récréation, sur le chemin de l’école, en voyage scolaire… ». Elle s’inscrit aussi dans une relation poétique avec le monde. C’est lorsque le professeur actionne des leviers de résonance : pratiques artistiques et culturelles, reconnexion avec la nature, engagement des élèves…« que le monde, pour l’élève, commence à chanter ».

Un enjeu de société car ces lunettes poétiques sont une opportunité pour redonner du pouvoir d’agir aux citoyennes et citoyens de demain, en écho aux propos de François Cheng. « Si l’Homme a naturellement besoin de faire, ce n’est pas seulement au niveau d’une production matérielle et directement utile au plan social, c’est surtout dans la dimension de ce que les Grecs appelaient poïen, qui signifie ‘faire’ au sens de la poïesis, la ‘création’. C’est par ce ‘faire’ créatif, par le travail en vue d’une réalisation que l’homme donne un sens à sa vie, qu’il devient le ‘poète’ de sa vie. Telle est sa vocation, ce à quoi il est appelé. »

Penser la pédagogie à travers le prisme de la poésie, oui, c’est mettre des lunettes pour mieux voir. Cette démarche met en avant une vision systémique de l’enseignement et vise au final à induire un changement sociétal dans lequel chacun et chacune d’entre nous est partie prenante. Nous sommes le tout et la partie : cultiver chacun et chacune sa capacité d’émerveillement et de créativité peut changer le tout.

N’est-ce pas une chose vivifiante et qui se pose comme une évidence, que la faculté de trouver de la poésie, de la joie, du sublime dans le monde qui nous entoure et à fortiori dans la pédagogie, art et science qui construit l’homme de demain ?

En France, la politique d’éducation prioritaire se fond sur une carte des réseaux d’établissements primaires et secondaires – REP et REP+ – et vise à réduire les écarts de réussite entre les élèves scolarisé·e·s en éducation prioritaire et ceux qui ne le sont pas.

https://www.ei-ie.org/fr/item/27847:from-poetic-pedagogy-to-a-poetics-of-pedagogy?_

Management de l’éducation : la Ministre des enseignements secondaires désavoue ses collaborateurs ?

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Management de l'éducation : la Ministre des enseignements secondaires désavoue ses collaborateurs ?

Le 30 mai 2023, madame Nalova Lyonga, Ministre en charge des enseignements secondaires au Cameroun a publié un communiqué radio sous la référence 70/23/CR/MINESEC/SG/ DRH/SDP/SFCP dont la teneur est la suivante :

Le ministre des enseignements secondaires informe tout le personnel de son département ministériel qu’il est désormais possible de dénoncer, sous anonymat, les personnels en position d’absence irrégulière à l’adresse www.minesecdrh.cm.

Le Ministre invite tous ceux qui ont connaissance des enseignants absents de leurs postes de travail à bien vouloir le signaler à l’adresse susmentionnée.”

Cette correspondance fait depuis sa publication, les gorges chaudes dans le milieu enseignant dont les forums sont inondés de messages par milliers. Entre ceux qui accueillent favorablement l’appel de Madame Lyonga et leurs collègues qui lui adressent une fin de non recevoir dans des joutes teintées à la fois de bon sens et de passion, un élément unit les deux camps: la sincérité de cette démarche ministérielle.

En effet, que cache l’invitation de la Ministre des enseignements secondaires à “tous les personnels de son département ministériel” pur dénoncer “les personnels en position d’absence irrégulière”, et pourtant toute une administration mise en place est chargée de remplir cette mission d’assainissement ?

Une réponse à cette question réside dans la crise de confiance au sein de la chaîne hiérarchique. Disons-le sans langue de bois: le milieu scolaire est gangrené par la prolifération des pratiques malsaines sous le regard complice de la hiérarchie. Tout est faux. Des rapports des assemblées générales aux recensements des personnels en passant par les statistiques, rien n’échappe à l’industrie du trucage des données. En somme, le travail est bâclé, voguant ainsi dans des eaux troubles au gré des vents capricieux de ceux qui ont les godasses pour s’accrocher. Tenez par exemple : en pleine période COVID, alors que de nombreux établissements scolaires avaient adopté le système de double flux entraînant l’érosion d’un nombre important d’heures d’enseignement, le taux de couverture des programmes contre toute attente, a pris une trajectoire inverse, tutoyant sans scrupule les 80%. Et tout le monde a applaudi sans aucune réserve, donnant ainsi de l’amplitude à cet exploit mortifère. Ce malaise qui transpire du “SOS” de madame Nalova Lyonga augure-t-il d’un grand coup de balai pour donner au “Green School” et au “Clean School” toute leur envergure ? Ceux qui vivront verront.

L’illusion du mouvement peut également être convoquée pour expliquer l’appel à la “dénonciation” lancé par madame la Ministre. L’art de faire semblant d’avancer tout en marquant le pas sur place que nous empruntons au professeur Claude ABÉ, pourrait également justifier cette sortie et étayer le doute que les enseignants projettent sur la sincérité de l’auteur. Rappelons que cette correspondance intervient en pleine période d’examens certificatifs avec toutes les menaces à leur déroulement comme autant d’épées de Damoclès pendus au-dessus de ces derniers. Les enseignants boudent de plus en plus ces examens et ne supportent plus que leurs dus leurs soient payés dans des délais qui se dilatent à l’infini. Ils en ont marre de ces tâches ingrates, rémunérées en monnaie de singe tandis que certains de leurs collègues se la coulent douce sous des cieux paisibles, avec la bénédiction de la hiérarchie qui les couvre de sa bannière protectrice.

Une autre illustration de ce deux poids deux mesures: en plein examen du probatoire de la session 2021, la rareté des épreuves dans les centres d’examen à défrayé la chronique conduisant ainsi à des retards inédits. Ce dysfonctionnement hautement préjudiciable à plus d’un titre est curieusement passé sous silence alors que c’était là une occasion idoine de siffler la fin de la récréation. Mais il n’en a rien été. Cette impression de deux mondes parallèles aux destins opposés jette un voile de doute légitime sur les intentions actuelles de madame Nalova Lyonga. L’ouverture d’une fenêtre d’impunité pour les uns (bourgeois, haut placés et leurs affidés) et l’application de la tolérance zéro pour les autres (ouvriers, travailleurs) crispent l’atmosphère de la collaboration.

Au-delà de toutes ces questions qui émergent avec plus ou moins de réponses satisfaisantes, se pose celle de la finalité de la démarche. Qu’espère obtenir madame la Ministre ? Nous pensons humblement que rien. Peut-être quelques victimes expiatoires seront servis en holocauste justement pour donner l’illusion du mouvement. Les enseignants dans leur immense majorité n’y croient pas, nargués qu’ils sont sur le terrain par ceux qui ont le bras long.

Cette approche hautement clivante et à tête chercheuse réfute la voie officielle (qui part du Surveillant Général aux services centraux en passant par le Proviseur et les délégations du MINESEC) pour lui préférer celle de la dénonciation anonyme. Or il est connu que l’action sous anonymat porte très souvent en elle les germes de l’irresponsabilité et de la délation.

Comment dont feront-ils pour démêler l’écheveau, pour distinguer la dénonciation de la délation, face à ce flux important de données disparates dont sera inondé le site web dédié à cet effet? En plus des nouveaux comptoirs qui seront ouverts pour accroître le mal qu’on dit vouloir combattre avec le lot de harcèlement qu’il pourra charrier, il y a que les personnels visés par le communiqué de la Ministre pourront être les principaux dénonciateurs/délateurs, leur action consistant à saturer les serveurs dans l’optique de noyer la cellule informatique sous une masse d’informations plus ou moins exactes, l’objectif final étant de rendre impossible leur exploitation.

Pourquoi tant de gesticulations pour des résultats chétifs au détriment de véritables solutions à même de réduire le mal à sa plus simple expression ? Les chemins sont balisés et les acteurs connus. Seule manque à l’appel la volonté authentique pour le plus grand désarroi de l’école qui se meurt.

YONGUI HEUBO Patrick William

Rédacteur SNAES.

Syndicalisation et renouveau syndical : quelles leçons de “la guerre contre le personnel enseignant” au Royaume-Uni?

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Syndicalisation et renouveau syndical : quelles leçons de “la guerre contre le personnel enseignant” au Royaume-Uni?

Écrit par: Howard Stevenson , Les Mondes de l’Education, 20 Mars 2023

Comment les syndicats peuvent-ils s’engager dans un véritable processus de renouveau syndical et renforcer leurs capacités d’action afin de répondre aux besoins de leurs membres dans un environnement politique en évolution rapide ?

Dans notre nouveau livre, « Lessons in Organising: What trade unionists can learn from the war on teachers (Leçons de syndicalisation : ce que les syndicalistes peuvent apprendre de la guerre contre les enseignantes et les enseignants) », nous analysons l’expérience du National Education Union (NEU) [1] qui a su rassembler tout au long de la pandémie, en œuvrant pour que les politiques publiques privilégient la santé, la sécurité et le bien-être des élèves, des personnels de l’éducation et des populations.

Une victoire syndicale de taille pour la sécurité des écoles et des populations : le chemin parcouru

À l’époque, le gouvernement britannique avait à décider si les écoles en Angleterre devaient être entièrement ouvertes ou fonctionner en « mode confinement », les élèves vulnérables et les enfants de travailleuses et travailleurs essentiels allant seulement physiquement à l’école tandis que les autres élèves apprenaient en ligne. Ce qui est maintenant clair, c’est que le gouvernement était profondément divisé sur la question. L’organisme spécialisé chargé de transmettre des informations fiables et approfondies sur la gestion de la pandémie, recommandaient aux écoles de travailler en mode confinement, et il est récemment apparu que le ministre responsable de la santé soutenait cette approche. Cependant, le ministre responsable de l’éducation était déterminé à ce que les écoles restent entièrement ouvertes. Dans ce différend entre ministres de haut rang au cœur de la gestion de la crise de santé publique, le Premier ministre Boris Johnson s’est rangé du côté de son ministre de l’Éducation et la décision a été prise, contre l’avis des spécialistes, de garder les écoles totalement ouvertes à la rentrée.

Le dimanche 3 janvier, Boris Johnson est intervenu dans les programmes politiques du week-end à la télévision et a déclaré qu’il n’avait « aucun doute » que les écoles étaient sûres et que les parents devaient « absolument » envoyer leurs enfants à l’école le lendemain.

Le même jour, le Syndicat national de l’éducation NEU a organisé une réunion Zoom en ligne à laquelle ont assisté 40.000 membres et qui a été regardée en direct sur d’autres médias sociaux par 400.000 autres personnes.

Le résultat a été une mobilisation dans tout le syndicat au cours de laquelle les membres ont invoqué leurs droits en matière d’emploi et de santé et sécurité au travail pour exiger des lieux de travail sûrs. Cela a nécessité une action immédiate et bien organisée à grande échelle, dans 24.000 écoles différentes, pour exiger que les écoles ne rouvrent complètement que lorsqu’il était tout à fait sûr pour elles de le faire.

Dans la soirée du 4 janvier, jour de la rentrée scolaire, Boris Johnson a participé à une émission télévisée en direct spécialement organisée pour dire que les écoles étaient des « vecteurs de transmission » et qu’elles devaient fonctionner à distance jusqu’à la mi-février au moins.

Ce fut un moment extrêmement important : l’instant où un gouvernement très fort (avec une large majorité au parlement) a été contraint de faire volte-face dans un domaine politique clé de la pandémie et de faire passer la sécurité des populations avant ses propres priorités politiques.

« L’action du NEU au cours de ces journées a sauvé des milliers de vies – pas principalement la vie d’enfants ou même celle de la majorité des enseignantes et enseignants – mais de ces personnels, parents et grands-parents qui étaient cliniquement extrêmement vulnérables et qui n’avaient pas encore été vacciné·e·s ».

Kevin Courtney, Secrétaire général conjoint du NEU.

Notre argumentaire dans le livre est que la réussite du syndicat à ce moment-là n’était pas le résultat fortuit d’un ensemble particulier de circonstances inhabituelles et de jugements rapides de la direction du syndicat, mais plutôt le résultat d’au moins 10 ans de stratégie de (re-)syndicalisation dans laquelle les membres du syndicat s’étaient engagé·e·s dans un processus actif de renouveau syndical.

Le renouveau était nécessaire parce qu’il était apparu depuis longtemps que les gouvernements anglais successifs étaient déterminés à affronter, vaincre et détruire les syndicats de l’éducation afin de pouvoir aller de l’avant avec leurs plans radicaux de restructuration des écoles selon un projet néolibéral (faire fonctionner les écoles comme des entreprises individuelles en concurrence sur un marché). C’est ce que nous entendons par l’expression « guerre contre le personnel enseignant» présente dans le titre du livre. L’une des caractéristiques de cette « guerre contre le personnel enseignant » a été la création délibérée d’un environnement hostile à l’activité syndicale traditionnelle [2]. Ce qui est également devenu clair, c’est que dans cet environnement fortement modifié, le syndicat ne pouvait pas continuer comme si rien n’avait changé. Les changements subis par le contexte exigeaient une transformation du syndicat.

Dans le livre, nous analysons le processus de renouvellement du NEU alors qu’il cherchait non seulement à combattre la restructuration néolibérale du système scolaire, mais aussi à à travers sa propre transformation afin de renforcer le pouvoir syndical dans un environnement très différent. Nous présentons nos conclusions sous la forme de trois « leçons de syndicalisation » que nous résumons ici :

Leçon 1 : le syndicat est présent sur le lieu de travail

La première leçon consiste à se concentrer sans relâche sur le renforcement de la présence, de la visibilité et de l’influence des syndicats sur le lieu de travail. « Le syndicat » peut souvent sembler distant et détaché de la vie professionnelle quotidienne des membres du syndicat. Les affilié·e·s « voient » le syndicat lorsqu’un courriel apparaît dans leur boîte aux lettres électronique ou lorsque le ou la secrétaire général·e apparaît au journal télévisé. Ce qui est important, c’est que les membres du syndicat « voient et ressentent » le syndicat sur leur lieu de travail, où les personnels sont directement confrontés aux problèmes qui façonnent leur capacité à effectuer leur travail. C’est sur le lieu de travail que les membres développent une identité collective – c’est là que le syndicat est réel et que l’appartenance au syndicat est tangible et significative. Cela ne se produit pas dans un sens abstrait, et cela ne peut pas être créé à distance. À son niveau le plus fondamental, il faut que quelqu’un agisse comme point focal de cette visibilité et attire les autres dans le collectif. Pour le NEU, il s’agissait de se concentrer sans relâche sur le recrutement, le soutien et le développement des membres du syndicat pour agir en tant que « représentant syndical d’établissement». Un tel rôle sera différent selon les syndicats et les systèmes, mais la personne qui joue ce rôle clé sur le lieu de travail fait une réelle différence en rendant le syndicat tangible dans la vie des membres.

Leçon 2 : la syndicalisation doit être politique

La lutte sur les objectifs, l’importance et les valeurs de l’éducation publique est une lutte politique. C’est une lutte qui porte sur la forme que prendra l’avenir et elle sera toujours contestée. Il ne s’agit pas de politique partisane, mais de politique éducative dans un sens beaucoup plus large. S’organiser sur le lieu de travail autour d’importantes questions de rémunération et de conditions de travail est évidemment essentiel, mais cela ne peut pas être suffisant. De telles luttes remettent en question les principales injustices, mais elles remettent rarement en question les causes les plus fondamentales du problème.

Notre deuxième leçon met en évidence la nécessité de relier les préoccupations immédiates à un ensemble plus large de questions et d’utiliser ces questions pour tourner le syndicat vers l’extérieur. Par exemple, pendant la pandémie, le NEU a évidemment fait campagne autour des problèmes de santé et de sécurité dans les écoles, mais il a lié ces problèmes au besoin de santé et de sécurité dans la collectivité. Il a également lié les problèmes d’apprentissage à distance aux questions plus larges de la pauvreté des enfants, de nombreux enfants n’ayant pas accès aux ressources pour participer à l’apprentissage à domicile. Une campagne sur les repas scolaires gratuits a souligné les liens entre la réussite scolaire des enfants et la nécessité de lutter contre la pauvreté et les inégalités structurelles au-delà des écoles.

Il est nécessaire de s’organiser autour d’idées et d’une vision alternative de ce que l’éducation publique doit signifier. Cependant, ce travail ne se limite pas aux messages de haut niveau élaborés par des spécialistes de la communication au siège du syndicat, aussi important que cela puisse être. Il doit impliquer les membres du syndicat à la base, à la fois en éduquant les membres du syndicat et en les encourageant à agir dans leur communauté.

Leçon 3 : le leadership est important

Les leçons 1 et 2 pointent inexorablement vers notre troisième leçon : le leadership est important, car ce sont les gens qui font changer les choses. Cependant, nous ne nous intéressons pas aux « leaders » au sens strict (par exemple, celles et ceux qui occupent de hautes fonctions dans le syndicat), mais à l’ensemble de celles et ceux qui, dans le syndicat, s’engagent pour aider les autres à comprendre leur environnement, imaginer des alternatives et à agir collectivement pour faire changer les choses. Le leadership ne concerne pas un poste ou un rôle, mais il est défini par la fonction exercée. Ainsi présenté, le leadership au sein du syndicat peut (et doit) s’exercer à tous les niveaux de l’organisation. En effet, notre troisième leçon est centrée sur la nécessité de se concentrer de manière pertinente sur la construction de ce type de leadership dans toute l’organisation et de veiller à ce que les « niveaux » du syndicat ne soient pas discrets et déconnectés, mais plutôt qu’ils soient organiquement intégrés. Vu sous cet angle, nous soutenons que la qualité clé de n’importe quel·le leader est la capacité à développer le leadership chez les autres.

Pas un manuel prêt à l’usage, mais une source d’inspiration pour passer à l’action

En présentant ces trois leçons ici, nous savons que nous condensons des éléments en réalité plus nuancés et controversés, dans un format qui ne permet pas de rendre compte facilement de la complexité. Nous présentons également une étude de cas d’un seul syndicat de l’enseignement dans un contexte national très spécifique. Il appartiendra à d’autres de décider comment et dans quelle mesure ces leçons peuvent s’appliquer dans des circonstances très différentes. Dans le livre, nous le reconnaissons clairement – ces trois leçons ne sont pas les seules leçons, et elles ne sont certainement pas un ensemble de leçons à suivre et à mettre en œuvre de manière simpliste. Elles sont présentées pour encourager la réflexion, provoquer la discussion et encourager l’apprentissage collectif. Le livre ne prétend pas être un manuel à l’usage des syndicalistes, mais nous espérons qu’il servira d’inspiration au moment du passage à l’action des personnels qui partout s’engagent dans la lutte pour une éducation publique de qualité.

1. Le National Education Union (NEU) a été formé en 2017 à la suite de la fusion du National Union of Teachers (NUT) et de la Association of Teachers and Lecturers (ATL).

2. Par exemple, la négociation collective au niveau national a été abolie en 1987 et les réformes scolaires ont délibérément fragmenté le système scolaire pour donner à chaque école le pouvoir de déterminer la rémunération et les conditions d’emploi du personnel.

Éducation : la colère des enseignants du Cameroun élève de nouveau sa voix.

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Éducation : la colère des enseignants du Cameroun élève de nouveau sa voix.

Et voilà que çà recommence. Les enseignants du Cameroun n’en peuvent plus d’être parqués dans les bantoustans infects de la fonction publique, jetés en pâture à tous les vautours qui se sentent pousser les ailes de la profanation de cette profession qui forme pourtant l’élite de demain.

Le 15 mars dernier, l’intersyndicale de l’éducation s’est réunie à Yaoundé pour tirer une fois de plus, la sonnette d’alarme sur les problèmes des enseignants qui s’amoncellent au fil des ans et qui pourraient être le terreau fertile d’une déflagration sociale de grande ampleur. 

Au rang des sujets abordés figurait la discrimination salariale pratiquée par le gouvernement, dans la rémunération des personnels civils et militaires dont il a la charge. Ce déni de la loi fondamentale fièrement assumée et de manière décomplexée par ceux qui président aux destinées de notre cher et beau pays, a une fois de plus pour cible l’enseignant dont le dos est si large qu’on pourrait lui faire porter tous les fardeaux.

Tenez par exemple : aux indices identiques (1140 par exemple), la différence entre les salaires de base des personnels civils et militaires est une béance inexplicable qui tutoie les 157%. De plus, quelles explications cohérentes pourraient rendre compte du plafonnement indiciaire des enseignants à l’indice 1140 alors que dans le même temps, les autres fonctionnaires continuent d’avancer dans leurs carrières ? C’est tout simplement du mépris, un doigt d’honneur brandi sans scrupule à la face de l’enseignant qu’on pousse dans ses derniers retranchements. Mais attention à la bête féroce qui se laisse acculer dans une pièce sombre et sans exutoire.

Outre les questions relatives à la rémunération des enseignants, l’assassinat à Massourtouk de monsieur AYANG KOFTOUNG Emmanuel enseignant au lycée bilingue de Kaélé, par des éléments du Bataillon d’Intervention Rapide (BIR), a également été discuté. Cet autre crime odieux semble être enrobé d’un manteau qui entretient l’omerta. À ce jour, aucun retour favorable ne permet de dire sans équivoque qu’une suite favorable sera donnée à la profession enseignante qui crie après la justice.

Les exactions sur les enseignants sont devenues monnaie courante au point de faire désormais partie des faits divers dont on parle en passant, comme s’il s’agissait des « no name ». Méprisé par le gouvernement et abandonné dans une société désincarnée, l’enseignant subit les foudres de tous les éléments de son biotope, sans que jamais la justice ne soit à son chevet. Et quand ces dérives arrivent à leur comble, quand la violence atteint son paroxysme dans le tissu social, c’est encore la victime d’hier qui est pointée du doigt, avec le fallacieux argument qu’il fait mal son travail d’éducation et de diffusion des valeurs. Mais qu’attend-on de l’enseignant, tout garant de la qualité de l’éducation qu’il est, quand il est constamment humilié au milieu de ceux qu’il est sensé transformer ?

Le gouvernement espère-t-il comme à son habitude, moissonner sur des champs de ruine, au moyen de la technique du pourrissement qu’il déploie de manière atavique pour taire les revendications sociales et corporatistes ? Rappelons à toutes fins utiles que le Forum National de l’Éducation dont les travaux préliminaires sont achevés depuis 2019 sanglote désespérément dans les tiroirs du gouvernement qui reste sourd aux sirènes avant-gardistes.

YONGUI HEUBO Patrick William, Rédacteur SNAES.

Adhésions massives et popularité en hausse : la réforme des retraites sauvera-t-elle les syndicats ?

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Adhésions massives et popularité en hausse : la réforme des retraites sauvera-t-elle les syndicats ?

Par Lou Fritel, Publié le 24/02/2023 à 6:00

Les organisations syndicales revendiquent de nombreuses nouvelles adhésions depuis le début du conflit social et apparaissent comme la meilleure opposition à la réforme des retraites d’Emmanuel Macron. Regain réel ou sursis déguisé ?

Plus de 10 000 adhésions à la CGT, 10 000 à la CFDT, 5 000 pour Force ouvrière,… À écouter les représentants syndicaux, leurs organisations ont le vent en poupe depuis les mobilisations records du mois de janvier contre la réforme des retraites, celle du 31 janvier, tout particulièrement, avec 2,5 millions de personnes dans les rues, selon les syndicats, contre 1,27 million de manifestants pour le ministère de l’Intérieur. Plus, donc, que les 997 000 protestataires décomptés par Beauvau en 2010 contre une autre réforme des retraites, celle de François Fillon.

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Chez Europe 1 le 10 février, Philippe Martinez s’enorgueillissait que son syndicat ait « dépassé les 10 000 nouvelles adhésions en un mois ». Même son de cloche chez Laurent Berger qui annonçait un bond de 10 000 adhésions en janvier, 7 000 demandes sur la seule dernière semaine quand, « d’habitude, c’est 3 000, un peu moins que ça chaque semaine », précisait-il sur RTL le 1er février. Force ouvrière se félicite également de 5 000 adhésions en plus sur la même période, rapporte encore l’antenne du groupe M6. Sur France Bleu, l’Union nationale de syndicats autonomes (UNSA), aussi, se gargarise d’avoir retrouvé en janvier 2023 le niveau d’adhésion de 2019, avant la crise sanitaire, avec une augmentation de 2 000 adhérents en quatre ans.

COMPTER LES ARRIVÉES… MAIS AUSSI LES DÉPARTS Des adhésions « massives », selon les mots de Rémi Bourguignon, professeur à l’Université Paris-Est-Créteil, interrogé par RMC, qui « constituent une véritable originalité », mais pas nouvelle en temps de mobilisation sociale forte, comme le soulignent plusieurs spécialistes interrogés par Marianne. « Chaque fois que des manifestations ou des mouvements sociaux réussissent, les syndicats expliquent qu’il y a une augmentation des adhésions pour montrer leur réussite », nous rappelle Dominique Andolfatto, professeur de sciences politiques à l’université de Bourgogne. Stéphane Sirot, socio-historien expert des mobilisations sociales, abonde et cite en exemple « le Front populaire, les grèves de 1936 ou même, dans une moindre mesure, le mouvement de mai 1968 » où les « afflux d’adhésions ont parfois été assez massifs ».

Ces chiffres doivent surtout se lire à l’aune du nombre d’adhérents à jour de cotisation. « Il faut bien voir que la syndicalisation est un flux : chaque année des gens arrivent et chaque année des gens s’en vont, détaille Dominique Andolfatto. Ce que nous disent les syndicats, c’est que les adhésions iraient deux fois plus vite que d’habitude. Mais ils ne nous donnent pas le nombre de partants. Or, il y a des adhérents qui déménagent et ne renouvellent pas leur carte, d’autres qui partent à la retraite. »

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En prévision de son 53e congrès, en mars, la CGT publiait un rapport précisant son nombre d’adhérents et leur évolution. En 2018, ils étaient 638 656. En 2020, ils ne sont plus « que » 605 603. Des chiffres plutôt dans la fourchette haute des estimations, quand les observateurs les plus sévères situent plutôt leur nombre autour de « 450 000 », précise encore Dominique Adolfatto, et qui témoignent en tout cas d’une perte de vitesse de l’organisation. Pour Stéphane Sirot, « la question qui se pose aujourd’hui » aux syndicats « est leur capacité à conserver » leurs adhérents.

« L’un des problèmes actuels est qu’il y a beaucoup de turn-over, beaucoup d’entrées mais aussi de sorties, poursuit-il. Depuis les années 1970-1980, la tendance lourde est à la désyndicalisation », alors que le taux de personnes syndiquées en France tourne « au mieux autour de 10 % » contre 20 à 25 % durant les Trente glorieuses. Ce désamour est d’autant plus palpable lors des élections professionnelles. En décembre, celles concernant les salariés de la fonction publique ont été boudées par les fonctionnaires, avec un taux de participation de 43,7 % seulement, un « recul de 6,1 points » par rapport au précédent scrutin en 2018, détaillait la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) dans un communiqué de presse à l’issue du scrutin.

PRISE DE DISTANCE AVEC LES PARTIS POLITIQUES

Ces considérations n’empêchent pas d’observer un regain réel des syndicats en ces temps de réforme des retraites. Selon un sondage de l’Ifop réalisé pour Le Journal du dimanche le 18 février, ces organisations apparaissent comme la meilleure opposition à Emmanuel Macron « pour 43 % des Français », précise l’institut. Loin devant le Rassemblement national (25 %) et la Nupes (23 %). Grâce à une prise de distance ostensible vis-à-vis des formations politiques ? « L’une des critiques des Français contre les syndicats était qu’ils étaient trop politisés. Depuis une vingtaine d’années, toutes les organisations essayent d’être autonomes des partis politiques. Même la CGT fait des efforts », observe Dominique Adolfatto.

Or, la dernière séquence parlementaire a, justement, rendu très visible cette prise de distance. Philippe Martinez, surtout, dont les sympathies pour la gauche ne sont pas un mystère, se lâchait contre les partenaires insoumis sur BFMTV le 19 février : « L’Assemblée nationale doit être au service de ce mouvement social. Or, au travers de nombreux incidents, on a plus évoqué ces incidents que le fond du problème et ce qui est en débat dans la rue », fustigeait-il alors que le comportement de LFI durant les discussions a déplu jusque dans les rangs socialistes et écologistes. Le patron de la CGT, qui passera la main en mars, accusait même certains de « vouloir s’approprier le mouvement social en reléguant les syndicats au second plan ».

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« Que la CGT soit si véhémente à l’égard des partis est un fait nouveau, reconnaît Dominique Adolfatto. Ils se respectaient plus ou moins jusque-là. On assiste à une forme de rupture même si beaucoup de militants sont toujours très proches de LFI ou de la gauche en général. Il s’agit donc plus d’une guerre des chefs et des stratégies », poursuit-il, estimant que ce changement de pied est « relativement populaire aux yeux des Français » et « peut jouer en la faveur » des syndicats.

REGAIN OU SURSIS ?

Pour l’heure, difficile de dire si cet apparent retour au syndicalisme a de beaux jours devant lui. Les organisations pourraient tout autant pâtir du jusqu’au-boutisme du gouvernement qu’elles ont profité de la vacuité des discussions à l’Assemblée. Depuis le début des années 2000, les syndicats ont perdu quasiment tous leurs bras de fer avec l’exécutif : la réforme Fillon en 2003, celle de Woerth en 2020, la loi Travail en 2016. Même la réforme des retraites de 2020, malgré une mobilisation dure et très suivie – 800 000 manifestants selon l’Intérieur le 5 décembre 2019 et « 55 ou 55 jours de grèves d’affilée », se souvient Stéphane Sirot –, n’avait pas empêché l’exécutif de passer en force en recourant au 49.3. Avant que la crise sanitaire n’y mette un terme.

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Sans effets dans la rue, l’opposition se manifeste dorénavant dans les urnes, comme en 1997 après les manifestations de 1995 ou en 2012 après la réforme de 2010. « Par leur amnésie et leur autisme, les politiques font monter encore un peu plus l’extrême droite, cingle Stéphane Sirot. Amnésie, comme lorsque Macron oublie avoir dit que les résultats de la présidentielle l’obligeaient. Autisme, parce que le gouvernement n’engage plus aucune négociation avec les organisations syndicales mais ne fait que les consulter. D’ailleurs, la Première ministre parle pour eux de “concertation” mais emploie le mot “négociations” quand il s’agit des députés LR », avec qui le gouvernement a topé sur les carrières longues.

Débat des lecteurs

 « Celui de la sous-traitance, des autoentrepreneurs, des Ubers, des précaires », égrène Stéphane Sirot. Assez pour faire naître des collectifs citoyens à l’importance parfois supérieure à celle des syndicats, comme les Gilets jaunes. Alors que 68 % des Français soutiennent l’opposition à la réforme selon un sondage pour Le Figaro datant du 17 février, ces « déserts syndicaux » couplée à l’impuissance des organisations face au gouvernement ne seront pas sans conséquences, prévient l’universitaire : « Nous assisterons peut-être à la résurgence de mouvements plus insurrectionnels type Gilets jaunes. »

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