Rentrée scolaire 2020 : « L’école fait juste ce que fait la société »

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Dans le cadre de la rentrée scolaire, nous avons accordé une interview à Défis Actuels. Le traitement de cette prise de parole, à la publication, donne un résultat mitigé en raison de nombreuses coupures. Des impératifs techniques ou autres expliquent cela. Voici le texte intégral de cette interview parue dans Défis Actuels N°521 du 08 au 11 octobre 2020.

  1. La rentrée scolaire 2020-2021 est encadrée par des mesures anti Covid-19. Pensez-vous que ces mesures soient efficaces?

Roger Kaffo Fokou : D’un point de vue matériel, beaucoup est en train d’être fait pour mettre à la disposition des élèves et des encadreurs des kits de masques faciaux et de gels ou de solutions hydro alcooliques. Dans de nombreux établissements, là où il y a de l’eau, on a mis en place des points d’eau pour le lavage des mains. La désinfection des campus et des salles de classes s’est faite à peu près convenablement au moment des examens officiels. On n’avait alors que 24 élèves par classes. Cette rentrée, on passe du simple à plus du double : 50 élèves par classe au moins. Ce ne sera donc pas facile, davantage dans les régions reculées où il manque habituellement de tout. Nous devons sortir de cet aveuglement qui veut que lorsque les choses vont à peu près bien dans nos villes, nous croyons que le pays va bien. La plus grande partie de notre jeunesse scolarisée se trouve encore dans les zones rurales. Et celles-ci sont souvent oubliées, lésées, démunies de presque tout. C’est dans ces zones-là que se trouveront les plus grands défis, tant infrastructurels, équipementaires, sanitaires que pédagogiques. Dès le 05 octobre, nous avons pu constater dans les établissements que nous avons parcourus un incroyable relâchement des mesures anti-covid : de très rares porteurs de masques faciaux, aussi bien chez les apprenants que chez les enseignants. On a l’impression que la covid-19 n’est vraiment plus une préoccupation pour l’espace scolaire. Si des dispositions énergiques ne sont pas prises pour faire respecter les mesures édictées, il n’y aura aucune chance d’être efficace.

  1. Plusieurs établissements scolaires ont rouvert leurs portes aujourd’hui. Ils respectent tant bien que mal les mesures édictées par le gouvernement. Qu’est ce qui justifie cet état de choses?

Roger Kaffo Fokou : Les établissements respectent plutôt mal que bien les mesures édictées par le gouvernement et cela se comprend. L’école est dans la société, elle n’en est pas en dehors. Depuis des mois, les mesures anti-covid ne sont plus respectées nulle part. Il suffit d’observer les marchés, les cérémonies de mariages avec leurs soirées de gala, les deuils et les funérailles, les églises et j’en passe. Peu de masques faciaux, aucune espèce de distanciation physique, tout semble indiquer que la pandémie est depuis passée. Nous savons tous que ce n’est pas le cas, mais comment convaincre ceux chez qui la désinvolture quotidienne et quasi généralisée installe un doute ? Même dans les installations publiques, les administrations publiques, le port du masque est depuis un temps devenu l’exception qui confirme la règle. On s’entasse dans les ascenseurs, les cars de transport. L’école fait juste ce que fait l’ensemble de la société parce qu’elle en fait partie. Cela traduit également l’état général du respect des instructions données et reçues dans notre pays aujourd’hui. Nous traversons une crise sévère de discipline à tous les niveaux de la chaîne hiérarchique qui explique que des mesures sont constamment prises et tout aussi constamment violées. Et quand tout cela affecte à ce point l’éducation, le lieu où se façonnent les citoyens de demain, vous commencez à être vraiment inquiet de ce que sera notre société de demain.

  1. En tant que syndicaliste, pensez-vous vous que ces mesures peuvent être appliquées le long de l’année scolaire ?

Roger Kaffo Fokou : Au-delà des mesures anti-covid proprement dites, je suis plus intéressé aujourd’hui, en tant que syndicaliste, par le dispositif pédagogique en cours pour assurer la continuité de l’éducation des jeunes en cette année de crise sanitaire. Il faut rappeler que dans nos grandes métropoles, notamment en ce qui concerne l’éducation de base, le système à double flux se pratiquait déjà, avec des effectifs pléthoriques. Il sera donc impossible d’avoir dans ces établissements-là des effectifs de 50 élèves par classes sans un dédoublement de l’espace infrastructurel ou sans une déscolarisation massive. Aucune des deux solutions n’est ou viable ou applicable. Là où il sera possible de mettre en place le double flux, il y aura une perte sèche de 2 heures à 2 heures 30 de temps d’apprentissage pour les élèves. Le télé enseignement mis en œuvre pour compenser ce manque risque fort bien d’accentuer les inégalités déjà existantes sur le terrain, entre les villes et les campagnes, les pauvres et les riches. Le découragement et la démotivation du corps enseignant clochardisé depuis des années pourraient faire le reste. Vous avez pu voir le sort qui a été fait cette année 2020 à la journée mondiale des enseignants : rien, le black out complet. Les Palmes Académiques sont même passées à la trappe alors que le décret du Premier Ministre instituant celles-ci dispose clairement qu’elles sont attribuées le 05 octobre de chaque année. Et cette omission s’est faite en silence, sans aucune espèce de pédagogie. Encore une instruction, cette fois-ci de très haut niveau, non appliquée. Avec quoi va-t-on booster le moral des enseignants quand l’on s’achemine vers un dispositif pédagogique qui va les soumettre indiscutablement à un surcroît de contraintes ?

  1. Au regard de la situation, quelles autres mesures auriez vous suggéré au gouvernement, quel est la position de votre syndicat ?

Roger Kaffo Fokou : Nous avons dit et écrit au gouvernement que cette crise pouvait être transformée en une opportunité pour l’école camerounaise. Toutes ces démissions que nous avons accumulées, et qui ont abouti à un déficit infrastructurel et d’équipements chronique peuvent commencer réellement à être inversées. Dans les villes de Douala, Yaoundé, Garoua, Limbé, plus de 70% des enfants qui présentent l’entrée en 6e ou le common entrance échouent, souvent avec des notes de 15 à 16 sur 20. Et malgré cela, les lycées ont des effectifs pléthoriques. Il faut donc davantage de lycées dans nos grandes villes pour équilibrer l’offre et la demande d’éducation. Cela permettrait de mettre plus aisément en œuvre les mesures sanitaires pour les crises à venir. Dans l’immédiat, nous avons suggéré au gouvernement de procéder à un recrutement conséquent d’enseignants pour cette rentrée. Il ne nous semble pas, en tout cas jusqu’ici, que cet appel ait été entendu.  Pour le télé enseignement, il faudra prévoir des solutions hors ligne, qui peuvent se passer des supports numériques. Sinon, ce dispositif risque fort de ne servir que les privilégiés habituels. Nous ne devons pas chercher à ruser avec la pandémie actuelle, en espérant qu’elle finira bien par mourir de sa belle mort. Nous sommes probablement entrés dans l’ère des pandémies globales, comme l’indique la numérotation de l’actuelle. Tout en luttant contre celle-ci, nous devons déjà nous préparer à affronter la prochaine.