En ce moment, le MINESEC est engagé dans un train de réformes dont l’objectif affirmé est la professionnalisation à terme des enseignements et des enseignés. On peut distinguer parmi les wagons de ce train la réforme des programmes qui touche le second cycle cette année, la réforme des méthodes avec l’accent mis sur les approches par compétences, la réforme du manuel scolaire avec l’entrée en vigueur et du livre unique et du manuel unique, la digitalisation du recouvrement des frais exigibles et des contributions des candidats aux divers examens certificatifs, la réformes des filières dans le second cycle du secondaire, pour ne s’en tenir qu’aux réformes les plus saillantes. Nous n’allons pas évoquer la réforme de la gestion du personnel avec l’introduction et le financement à hauteur de 100 millions de francs CFA de la régionalisation des conseils de discipline en vue de sanctionner les enseignants, une option pour une répression musclée dirigée vers un corps dont les problèmes posés depuis des lustres ne rencontrent ordinairement que de sourdes oreilles.
Sur la procédure desdites réformes, il y a de bonnes et de mauvaises choses. Du côté des bonnes, on peut citer l’encadrement du processus par des enseignants du supérieur chevronnés, notamment des enseignants des Ecoles Normales Supérieures. Ceci a permis de donner une certaine hauteur de vue à celles-ci. C’est sans doute l’apport de Madame la Ministre et de Mme L’IGE, dont les profils d’universitaires ont ici abouti à cette conséquence positive. Du côté du déplorable, on peut citer le refus d’impliquer les syndicats, et qui traduit une volonté de repli et d’enfermement de l’administration sur elle-même. C’est un indice d’arrogance et d’opacité : l’administration du MINESEC a le sentiment qu’elle sait tout, et que personne ne peut rien apprendre à ses experts sur le sujet comme sur bien d’autres. Cette défiance du MINESEC à l’égard des syndicats a énormément nui à la défense des droits des enseignants du secondaire et fait qu’aujourd’hui ceux-ci restent les plus grandes victimes de la crise de l’éducation au Cameroun.
Parlant de l’efficacité vérifiée ou potentielle des réformes en cours, plusieurs cas de figures se présentent. L’APC entre au second cycle avec de nouveaux programmes, mais enseignants comme parents, personne ne sait si au bout de quatre années, cette méthode a été évaluée et quels ont été le cas échéant les résultats de cette évaluation. L’APC est une nouveauté au Cameroun, mais il ne faut pas oublier qu’elle est très ancienne ailleurs, et fait partie des conséquences de mai 68 en France et dans le monde. Fortement débattu en France, elle ne semble susciter aucun débat d’envergure au Cameroun. Son ambition fondamentale de s’attaquer aux savoirs en leur substituant les savoir-faire, de transformer les enseignants en simples facilitateurs, eux qui étaient des passeurs de cultures, cadre avec une vision marchande de l’éducation qui recycle subtilement les théories tayloriste et behaviouristes du début du XXe siècle, derrière lesquelles il y avait la volonté de diviser le travail. Ce choix est-il conforme à notre choix de société et savons-nous quel est notre choix de société ? Ne s’agit-il pas d’une fuite en avant ? Nul n’ignore que quatre après l’introduction de l’APC, les enseignants n’ont toujours pas bénéficié d’un recyclage sérieux leur permettant d’apprivoiser les concepts ni la pratique de cette méthode. Il n’est même pas évident que ce soit le cas pour l’inspection pédagogique. On le voit bien, même si cette réforme était bonne, – pourquoi pas ? – comment le saurait-on quand ceux sur qui repose son application ont un mal fou à savoir en quoi elle consiste ?
Sur la réforme du manuel scolaire, il y avait une forte demande en raison des scandales qui ont émaillé ces dernières années le travail du Conseil national d’agrément des manuels scolaires et du matériel didactique (CNAMSMD). Mais on confond souvent le livre unique avec le manuel unique. Le livre unique est indiscutablement une bonne chose dans notre contexte de paupérisation extrême. On ne saurait demander aujourd’hui à un parent d’avoir en français six ouvrages pour la lecture méthodique, la lecture suivie, la grammaire, la rédaction, l’orthographe, la conjugaison, sans oublier le dictionnaire. Le manuel unique touche un autre aspect, qui a consisté ces dernières années à mettre en concurrence dans les mêmes niveaux 6 à 7 livres par matière, au choix des établissements scolaires. Outre que cela permettait au CNAMSMD de transférer le travail de sélection pour lequel il était payé – plutôt mal que bien il faut le dire – aux conseils d’enseignement des établissements scolaires, cette manière de faire ouvrait grande la porte de la corruption à tous les échelons de la sélection du manuel et ne rendait au final service ni à l’enseignant, ni à l’élève, ni à l’éditeur, ni même au libraire. En faisant cesser ce scandale, on a ouvert la possibilité de faire un chemin vers le progrès, à condition que la politique du livre ne vienne pas doucher les espoirs ainsi nés. Pourtant, il faut le dire, passer d’un extrême à un autre, de 6 ou 7 manuels à un seul revient à promouvoir la pensée unique, puis à la longue l’impuissance de penser. Sous prétexte de lutter contre la corruption, on ne saurait imposer à l’école des manuels uniques comme autant d’évangiles, et c’est finalement un aveu d’échec dans la lutte contre la corruption puisque la toute puissance de celle-ci aboutit à faire prendre des décisions d’une pertinence discutable pour l’intérêt supérieur du pays. Toutefois, sans une bonne politique du livre en général, le problème du manuel scolaire se posera toujours au Cameroun. Sa disponibilité tardive cette année trahit la programmation inappropriée des travaux du Conseil qui aboutit à sortir les listes en mai alors que le pays ne dispose pas d’infrastructures de production à la hauteur du défi que représente l’option du manuel unique. Est-ce que la sélection des ouvrages a tenu compte de la surface financière des éditeurs concernés ? Il ne faut pas oublier que ces derniers doivent aller produire en Inde ou en Chine, faire transporter par bateau, faire dédouaner à l’arrivée, acheminer dans tous les coins du pays : il faut pour cela disposer d’un temps suffisant – au moins 6 mois – et de ressources financières suffisantes.
La digitalisation des paiements des frais exigibles des élèves et candidats aux examens officiels est une procédure de facilitation en ce qu’elle multiplie les guichets de paiement et les rapproche des usagers. Désormais, chaque parent, chaque élève peut trouver un guichet de proximité pour s’acquitter de ses frais. L’entrée dans le digital est donc une très bonne chose, qui en plus ouvrira la porte à la transparence. Les parcours des élèves, la carte scolaire réelle pourront désormais être suivis et de cette façon, des trafics de tous ordres évités. Il y a là une dimension pédagogique indirecte qui est indéniable. Mais la gestion du processus pourrait, si elle n’est pas rigoureuse, en faire affaiblir la portée. Déjà il n’est inexplicable que l’on ait attendu le dernier moment pour en expliquer le fonctionnement aux principaux concernés, les élèves et parents. La couverte internet du territoire étant loin d’être parfaite – le réseau électrique la limite forcément – quel est le plan B et y en a-t-il un ?
Une des plus emblématiques réformes de cette rentrée et qui est susceptible de marquer positivement ou négativement le passage de Mme Nalova au MINESEC concerne les filières. De nouvelles séries entrent en scène : sciences humaines et arts du cinéma, avec de nouvelles disciplines. Une nouvelle distribution des disciplines intervient également : la philosophie entre en seconde, mais pas en C et D où elle ne commence qu’en première ; l’histoire disparaît en série D et ne figure pas en TI, clignote en C puisque qu’enjambe allègrement la première. La situation est moins chaotique pour la géographie. Choix idéologique ? Il semble difficile de comprendre pourquoi les réformateurs des programmes ont pensé que certains Camerounais pouvaient ne pas avoir besoin de connaître l’histoire. De manière plus globale, cette réforme des filières semble faire fi de la loi d’orientation de l’éducation de 1998 qui réduit le second cycle du secondaire francophone à deux ans, entre autres. Cette non prise en compte était déjà évidente dans les programmes du premier cycle où la réduction des quotas horaires dans certaines disciplines ne prend plus en compte le fait que celles-ci s’ouvraient sur des filières à part entières après la classe de 3e.
Il reste une grande réforme absente de cet impressionnant catalogue : la réforme des conditions de travail et de vie des enseignants. Il n’y a pas d’éducation de qualité sans enseignants de qualité. Et la qualité des enseignants dépend de leurs conditions de formation, de travail et de vie. Mais qui s’en soucie ? Depuis des années, la prime des Animateurs pédagogique n’est plus payée : on ministère, on parle d’un insoluble problème de procédure. Mais chacune et chacun des dames et messieurs touche ses propres primes. Tant mieux pour eux et tant pis pour les autres ? La gestion quotidienne des dossiers des enseignants, des mutations, a replongé dans la plus virulente des corruptions. Le regroupement familial a laissé voir cette année de véritables curiosités qui ne s’expliquent pas logiquement. Le personnel d’appoint travaille dans des conditions particulièrement indécentes, et j’en passe. Il n’y a rien à donner aux enseignants, mais il y aura les moyens nécessaires pour les sanctionner… Drôle de pédagogie pour le ministère des enseignements secondaires !
La Redaction.